TR-Déchets et viles -Blois

Une visite sur le site de l’ADEME (agence de la transition écologique) nous indique qu’en 2020, la France produisait 310 millions de tonnes de déchets et que cela augmente en 2023 puisqu’on en compte 315 millions. Ce sujet est un problème économique, social et écologique, notamment en raison de la question du recyclage de ces déchets.

Comment les sociétés anciennes avaient-elles appréhendé ces problématiques ?

Selon les époques, la notion de déchet a évolué. Le déchet, en tant que ressource, est important.

Quelle est la définition du mot déchet selon les différentes périodes ?

William Van Andriga

Les déchets sont partout quelle que soit l’époque fouillée. Ainsi, on peut observer sur les sites magdaléniens tout ce qui a été rejeté autour des foyers. Ils sont donc visibles et non cachés. Les déchets à l’époque magdalénienne ou romaine font, par conséquent, partie de l’environnement.

Aujourd’hui, la qualité des déchets a tout changé et ils mettent en péril la vie humaine.

À l’époque romaine, à Pompéi, au début du IIe siècle avant J.C. mais également plus tard en Gaule aquitaine, une massification des déchets apparaît : de grandes poubelles sont visibles. Le développement des déchets est lié au développement de l’urbanisme.

Les Romains ont introduit des polluants chimiques dans les sols, tel le plomb, qui perdurent  encore dans la terre agricole. Malgré tout, si l’essentiel des rejets est constitué de manières organiques, le deuxième matériau retrouvé est la céramique. Il peut être comparé au plastique actuel. La céramique pollue tous les sols : des mètres cube  de céramique sont extraits.

Les os des animaux sont également nombreux. En effet, le collagène des os est utilisé pour la colle, la papeterie, l’artisanat en général. Le fer est un déchet remarqué mais il est très recyclé.

Toutefois, lors des périodes de massification des déchets, on constate que le recyclage est moins important. Au Moyen Âge, la qualité des  déchets est proche : os, céramique, métal et matière organique. Au début du Moyen Âge, tous les terrains sont encore remplis de ce matériel. Il existe de nombreuses façons de jeter : le tri des ordures est une invention contemporaine.

Depuis les années soixante, le plastique est majeur.

Sandrine Victor

L’histoire de la construction du point de vue social et économique permet d’accéder à l’artisanat et à la consommation. Deux types de déchets émergent.

Tout d’abord, les restes recyclables et réemployables qui entrent dans le cercle vertueux du réemploi. Les vieilles pierres ou les vieilles tuiles des chantiers sont réutilisées pour de nouvelles constructions.

Ensuite, sur le plan artisanal, d’autres rejets sont du type polluants, ils corrompent l’eau ce qui constitue la grande inquiétude des populations. En effet, contaminer l’eau est dangereux. Ce sont des rejets qui perturbent les sens. Le déchet est donc à considérer du point de vue pratique mais également symbolique. Pour le médiéval, ce qui est beau est bon et ce qui sent mauvais est néfaste. Les pollutions doivent donc être éliminées pour le bien de la chose publique.

La souillure organique liée à la consommation des humains et aux échanges est visible  lors du marché : le sang, les viscères, les peaux. Ainsi, la queue de bœuf qui est consommée doit être présentée de façon à ce que la partie mangeable soit loin de l’anus qui est symboliquement souillée. La souillure,  le sang ou les viscères, doit doit être travaillée la nuit de façon à la rendre invisible. Par conséquent, on peut abattre des bêtes dans les abattoirs ou bien chez soi mais les volets fermés.

Les autres rejets sont les pollutions chimiques liées aux teintures : les alcaloïdes, la chaux, les résidus des savonniers ou le plomb. Elles vont corrompre l’air et surtout l’eau. Le terme « pollution » apparaît au XVe siècle en lien avec l’idée de contamination de l’eau. L’eau doit rester propre. 

Pour conclure, il existe, à cette époque, un rejet vertueux qui est recyclable et un autre qui met en péril le bien de la société.

Claire Judde De Lariviere

L’étude des déchets et des pollutions à Venise aux XVe s et XVIe s apparait, dans les sources, dans la gestion de l’eau ou des incendies.

Comment la ville de Venise et les communautés d’habitants gèrent-elles le problème des déchets ?

À Venise, on ne parle pas de déchet mais de la boue, des immondices et des gravats.

Ces trois éléments deviennent des problèmes à la fin du XIVe siècle. En effet, la lagune de Venise, vaste terrain marécageux, ne réussit plus à les absorber.

Tout au long du Moyen Âge, on a besoin de ces gravats pour renforcer et construire. Dès lors, la lagune est habitée, Venise est immense et bâtie. Le problème inverse se pose : ensablement, assèchement et atterrissement menacent. Comme il n’y a plus assez d’eau qui circule et expulse les déchets, ceux-ci deviennent un problème.

La boue, c’est-à-dire les rejets organiques donc les excréments de la population (entre 80 000 et 120 000 habitants et au XVIe s 170 000 habitants à cette époque et aujourd’hui 45 000 habitants). La ville n’a pas d’égout et se sert de la lagune : la marée de l’Adriatique toutes les six heures entre et sort donc évacue les déchets.

À cette époque, Venise est un chantier de construction (palais, églises, maisons) et les gravats sont partout. Ils tombent dans les canaux et assèchent tout. Les immondices, soit les déchets de la vie quotidienne, sont moins nombreux. La société du bas récupère ce que jette la haute société.

Concernant les aliments, les porcs, les chiens ou les chats mangent les restes alimentaires. Les céramiques cassées et non récupérables sont également présentes et utilisées pour combler la lagune. Ainsi, la ville et les communautés gèrent les déchets par l’assainissement.

 

L’époque romaine et le XVe s sont des périodes de croissance des déchets. Existe-t-il des moments de réduction de la quantité des déchets ?

William Van Andriga

On constate une évolution non linéaire dans la nature des déchets et dans la manière de jeter. Au Haut Moyen Âge, les matières organiques sont plus nombreuses et donnent les terres noires. Aux XIe s et XIIe s, l’étude d’un habitat groupé montre la multiplication des silos : des cavités creusées dans le sol destinées à conserver le grain pour un an. Une fois ce grain utilisé, ces cavités servent de poubelles.

La diversité des contenus varie selon les années : matière organique, pierres. Cet amas de pierres correspond à la mise en culture de l’espace de l’habitat groupé qui est alors abandonné. La pierre n’est pas recyclée à ce moment.

Sandrine Victor

Lors de la période de développement urbain et du commerce, la production de déchets s’accélère. Avec la mise en muraille, l’espace est serré, les fossés sont des dépotoirs.

Claire Judde De Lariviere

Les phases de croissance puis de stabilisation des populations reviennent régulièrement. À la fin du Moyen Âge, de nouvelles formes de consommation émergent.

Une forme ostentatoire, dans les ville italiennes de la Renaissance, les cours princières se développent, achètent de beaux vêtements, des tableaux, des objets venus d’Asie ou d’Afrique et montrent ainsi leur pouvoir. Cela produit donc des déchets différents. Par conséquent, une nouvelle société de consommation apparaît lentement.

 

La massification des déchets semble liée à la croissance des villes. À l’aune de la gestion des déchets, qui s’empare de cette question ? Est-ce une gestion politique et sociale des déchets ?

Claire Judde De Lariviere

Dans les sources, c’est par la gestion des déchets que nous accédons aux déchets. Les curages des canaux à Venise sont visibles à travers des contrats, des récits. Des ouvriers sont payés pour vider les canaux qui sont tout d’abord asséchés; on place des palissades de bois aux extrémités, on pompe l’eau et on enlève la boue, c’est le dragage.

Dans les pays de Nord, à Amsterdam et  à Bruges, il existait une corvée : les paysans devaient faire ce travail. Était-ce le cas à Venise qui était une ville ?

Des balayeurs et des éboueurs devaient pourtant nettoyer les villes. Ensuite, les déchets étaient placés dans des caisses dans chaque quartier. Ces caisses, placées près d’un canal ou au centre du quartier, sont toujours présentes à Venise.

Le recyclage existait également. En effet, une galère chargée de pierres a été coulée et donnée à une petite île où se situait un monastère. Cela a permis de consolider les rives. Ce navire a donc eu une seconde vie utile.

Près des actuels jardins royaux, des caisses placées à côté d’un grand entrepôt pour le blé ont été découvertes. À proximité, il y avait un grand marché. Avec un système de conduits souterrains, les déchets du marché sont évacués vers les caisses.

Le vocabulaire des déchets est intéressant. Les patois, langues régionales et les autres langues révèlent une grande variété de mots pour designer cette notion : déchet ? waste ? Le mot poubelle correspond au nom du préfet de Paris.

William Van Andriga

Les égouts sont aménagés en 1850 à Paris, la gestion est donc très contemporaine.

Dans la culture romaine ancienne, on voit la force du pouvoir municipal. À l’époque augustéenne dans les villes fondées en Gaule, les quartiers urbains sont des fronts pionniers sans que soit organisée la gestion des déchets.

À Pompéi, à cette même époque, c’est un peu différent, les édiles produisent des règlements urbains, s’occupent des boues urbaines (excréments). Cela menace la santé et le bien-être, il faut donc les évacuer.

Les règlements municipaux indiquent qu’il est interdit de souiller les carrefours, ce qui montre que cela se faisait. La rue principale est gérée par les édiles publics quand les artères secondaires sont gérées par les chefs de famille. Le notable qui intervient sur la restauration de sa maison intervient également sur la rue. Ainsi, il fait paver en gros blocs de basalte, à ses frais, la ruelle lui permettant d’accéder à sa maison. Les familles gèrent le trottoir.

Le jardin est un lieu d’évacuation des déchets choisis. Les matières excrémentielles sont rassemblées dans des latrines lesquelles sont évacuées, une fois pleines, en dehors de la cité par des services municipaux. En effet, ce sont des fertilisants. Tout cela est bien organisé.

En revanche, des poubelles découvertes dans le jardin. On y retrouve les vestiges des rituels domestiques en l’honneur des divinités qui protègent la maison. Ce qui reste de la crémation des fruits, des oursins… reste près de la maison. Le sens protecteur demeure.

Sandrine Victor

Pour le médiéval, existe le lien entre la santé spirituelle et la santé physique, le lieu est beau donc bon.

Une belle ville est une bonne ville donc une ville puissante. À Paris et Barcelone au XIIe siècle, le même agent municipal interdit les jeux de dés, la prostitution, la divagation des porcs et le fait de jeter des cadavres d’animaux. Il s’agit de protection de l’environnement en termes de cadre de vie.

En Catalogne, un agent doit gérer les marchés : les métiers, la propreté de l’étal et les modalités de la vente. Les affaires doivent être faites dans les meilleures conditions. Quand les étals sont lavés, il faut rejeter en aval de la ville ou en amont mais la nuit. Il ne faut pas voir les salissures.

L’artisanat qui produit des saletés se déroule en dehors de l’enceinte. Les teintures, les polluants ne peuvent être rejetés dans l’eau ou dans l’air. Les tanneries et les boucheries sont installées dans des quartiers en aval de la ville ou sous le vent afin de ne pas incommoder les populations.

Quels sont les acteurs de la gestion urbaine des déchets ?

Claire Judde De Lariviere

À Venise, ces feuilletages de gestion se retrouvent. Les habitants et les agents portent une attention importante à la propreté : les déchets, l’herbe qui pousse mais aussi la neige. Il leur faut pelleter la neige ou casser la glace. Des employés municipaux sont payés par la municipalité. Les pêcheurs nettoient la lagune en retirant les algues, les gondoliers signalent les endroits bouchés où on ne circule pas facilement. On observe une collaboration entre les habitants et les autorités.

Des mouvements citoyens aujourd’hui remettent des formes (compost…) très anciennes de gestion de déchets au jour.

 

Comment fait-on pour travailler sur ces questions ? Quelles sont vos sources ?

William Van Andriga

Les objets sont la matière de nos recherches. En effet, on travaille sur des restes, des traces des  activités humaines : le concret. Ces traces ont pollué nos sols qui sont tous des anthroposols. Les déchets donnent accès au mode de vie des populations anciennes mais également contemporaines. Nos poubelles contiennent nos modes de vie.

Aujourd’hui, nos sols sont envahis de plastique.

Claire Judde De Lariviere

Les déchets à New York et leur collecte sont un défi majeur. Où poser les poubelles pour qu’elles soient ramassées? À NY, il n’y a pas de bacs. Les rats sont liés à la question des déchets.

Un article du New Yorker racontait la collecte des déchets par bloc de maisons, on sait exactement où votre poubelle a ensuite été déposée dans les décharges de Staten Island.

Sandrine Victor

Les textes, tels les ordonnances, permettent de vérifier si la gestion des déchets fonctionne. En effet, si une ordonnance est réitérée, cela signifie qu’elle n’est pas appliquée. Cette documentation est détaillée et fournit une justification fouillée. Les comptes liés à l’archéologie du bâti montrent les rejets des chantiers.

Si certains matériaux ne sont pas achetés, cela signifie qu’ils ont été récupérés. Ce sont des déchets  : pierre, briques, moellons sont réadaptés. Le réemploi est systémique et non ponctuel. Par exemple, à Toulouse, des femmes sont payées pour brosser des tuiles ayant été utilisées afin de les rendre présentables donc réutilisables. Le monde du chantier est pragmatique. Certaines pierres sont pulvérisées pour les retrouver dans des mortiers. Le fer, comme pour les clous, est recyclé sans arrêt : il est fondu quasiment à l’infini.