Participants :
1) Jean-Marc Huissoud
2) Jean-Michel Crosnier
3) François Bonnaz
Première conférence du Festival de Géopolitique hors les murs. Pour la deuxième année consécutive les Clionautes organisent, dans le cadre du partenariat avec le GEM, une rencontre au café des arts autour des questions de pouvoir en démocratie participative. C’est donc autour d’un Perrier (ou d’une bière selon les personnes), que nous nous attablons pour écouter les interventions du chercheur François Bonnaz et de Jean-Michel Crosnier, camarade clionaute initiateur de la rencontre.
Jean-Michel est le premier à prendre la parole, pour nous apporter un regard de praticiens d’histoire et de géographie sur la question. Nous nous permettons ici de reprendre le verbatim de son intervention introductive.
« Je me propose en tant qu’enseignant d’histoire-géographie à Grenoble et membre du Comité Editorial des Clionautes de vous faire part de 3 éclairages (quand je parle de Grenoble, il s’agit ici pour des raisons de commodité de l’aire urbaine au sens de l’Insee ; sinon je précise en disant « ville ») :
1 – Quelle échelle de territoire serait la plus adéquate pour l’exercice de la démocratie représentative grenobloise ?
« Le sous-titre de votre conférence « la ville sur le terrain de la métropole » m’évoque au premier abord un rapport de force imposé par la ville – c’est à dire la municipalité ou la représentation politique la plus forte après celle de Président de la République – à la métropole dont les contours spatiaux et les compétences politiques restent flous au citoyen de base. Pourtant il me semble bien que c’est l’agglomération grenobloise qui définit le mieux Grenoble. Parlons chiffres comme l’Insee : la ville c’est administrativement 170 000 hab par rapport aux 450 000 hab de la Métro ; Parlons échelles comme les géographes ou les randonneurs : il suffit de gravir un GR que ce soit en Chartreuse, sur le Vercors ou en direction de Belledonne pour appréhender les contours du « Y » grenoblois dont la ville n’est qu’au mieux son centre.
-> Dans ces conditions parler de démocratie participative grenobloise englobe quel périmètre ? Celui de la ville ? De son agglomération à travers la Métro ? Et quid des relations avec les espaces ruraux-montagnards qui l’entourent ?
2- Mais peut-on parler de tradition démocratique ancienne pour Grenoble ?
Si la capitale du Dauphiné bénéficie de fonctions régaliennes liées à son nom, justifie-t-elle son statut de « capitale de province » que Fernand Braudel prend en ex. dans son ouvrage « Civilisation matérielle et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles » ? Tissu très majoritairement rural-montagnard du Dauphiné, manque d’attractivité économique vis à vis des capitales proches (Lyon, Genève, Turin, Marseille), contraintes naturelles fortes liées à la géographie, Grenoble est au 27e rang des villes françaises à temps des effervescences révolutionnaires de 1788 qui braquent alors le projecteur de la France absolutiste et royale sur ce qui se présente comme une répétition de 1789.
-> Il faut vraisemblablement chercher ici la cause lointaine des difficultés pour la ville à entrainer ce vaste espace auquel je faisais allusion dans le 1er point sur la question du périmètre, et la résistance des différentes composantes du dit périmètre, mais aussi une tradition contestataire, matrice des développements démocratiques originaux à venir.
3- Quels seraient alors les étapes qui ont fait de Grenoble un laboratoire de démocratie locale ?
L’adhésion des populations au vote républicain (dans une ville de garnison) puis socialiste dès le début du XXe siècle avec Paul Mistral, maire élu en mars 1919 (la chambre des députés élue au sortir de la 1ère GM est dite « bleu-horizon ») et réélu jusqu’à sa mort en 1932.
La forte identité résistante de Grenoble, de l’armée des Alpes ayant tenu victorieusement en 1940 aux martyrs et aux résistants des maquis de 43-44, soit 2 des 5 communes françaises avec Vassieux-en-Vercors à avoir reçu en 1944 des mains du Gal de Gaulle la croix de la Libération (avec l’île de Sein, Nantes et Paris).
La victoire de l’ingénieur et ancien de l’école navale, le socialiste et nouveau Grenoblois Hubert Dubedout aux élections municipales de 1965 face au héros de la Résistance Albert Michalon instaure une ère nouvelle caractérisée par l’alliance entre les socialistes, les ingénieurs et industriels et le mouvement citoyen. Lors de la « vague rose » des municipales de 77 de jeunes élus socialistes de villes importantes comme Rennes ou Nantes s’inspirent de l’expérience grenobloise. A noter que 2 des maires suivants sur 3, Michel Destot, socialiste, issu de la filière atomique et Eric Piolle, écologiste, issu de celle du génie industriel symbolisent par leurs parcours personnels l’importance de la technologie locale et la montée en puissance des mobilités humaines liées à l’attraction des territoires (ici l’innovation au sens large).
L’arrivée de la gauche écologiste et citoyenne au pouvoir municipal depuis les élections de 2014 relance dans les intentions affichées, sinon dans les actes, le caractère de laboratoire démocratique national de la ville et braque les projecteurs sur ce que serait à l’échelle « locale » une politique de transition verte, qui a amené les différentes collectivités (ville, Métro, communautés de commune) à mettre en place des plans de prévention.
-> Cette histoire peut-elle être revivifiée par la nouvelle équipe ou est-elle vouée à l’échec, faute de structures territoriales adéquates à la construction d’une politique cohérente ville-Métro voire à l’échelle pôle urbain / espaces ruraux-montagnards ?
Annexe (pour le cours du débat) : A une échelle plus grande, la question des rapports entre les habitants des territoires urbains et ceux des territoires ruraux-montagnards (dont certains font partie de la Métro comme les balcons de la Chartreuse) :
Les mobilités toujours plus importantes des humains (du rural vers l’urbain et inversement) posent des questions cruciales aux institutions territoriales : peut-on concilier la recherche d’égalité entre les territoires (« Une passion française » selon la formule du géographe Philippe Estèbe) et la concurrence inhérente à la recherche d’attractivité de ces mêmes territoires ? La loi en favorisant l’attractivité des métropoles dans un contexte de concurrence internationale ne favorise-t-elle pas les fonctions de commandement de ces mêmes métropoles avec pour risque d’agrandir l’incompréhension entre pôle urbain et territoires ruraux-montagnards voisins ? C’est ce que souligne Pierre Rosanvallon quand il propose le concept d’ »égalité-relation » ou comment (re)construire du lien dans la démocratie locale… Vaste programme ! »
A la suite de notre camarade, François Bonnaz prend la parole
François Bonnaz est doctorant sur la question des initiatives populaires dans le cadre suisse. C’est au titre de son expertise que qu’il a débuté une évaluation des politiques de démocratie participative mises en oeuvre dans le cadre de la métropole grenobloise Le rapport est entièrement disponible au [lien suivant->https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01467304/document] . Ce travail a duré un an et s’est focalisé essentiellement sur l’impact du processus plus que sur l’efficience et les résultats et c’est une partie des fruits de cette réflexion que je souhaiterais vous présenter ce soir.
Le terme « ville » est un terme polysémique. Ce mot revêt d’abord une notion administrative et politique évidente (définitions INSEE). Mais ce mot revêt aussi une notion urbaine, qui rentre en contradiction avec la délimitation politique : continuité urbaine du bâti entre en effet en contradiction avec la discontinuité politique. L’enjeu est donc de tenter une reconstruction du territoire politique, pour le mettre en adéquation avec la réalité physique, urbaine et économique, ce qui n’est pas sans induire des tensions, même dans le cadre de la démocratie participative.
Quant au terme « pouvoir » nous pouvons le définir en rapport avec la notion de puissance et de force (mise en branle de l’effectuation de la puissance). Le pouvoir est donc traduire en acte une potentialité de puissance. A ce titre la notion de pouvoir induit nécessairement la domination qui produit une violence que l’on légitime dans le cadre politique : on parle d’autorité. Pouvoir et ville se lient dans l’effectuation de la puissance des villes.
L’intérêt de cette présentation est donc de comprendre comment la ville se situe dans la situation de domination. Elle peut se poser comme dominante vis à vis de ses administrés mais peut se trouver dans un statut de dominé vis à vis d’un échelon politique supérieur ou envers d’autres acteurs, ce qui créent une situation complexe et variable selon le contexte.
C’est dans ce contexte que la démocratie participative bénéficie de la crise de légitimité de la démocratie représentative, pensée comme une modalité aristocratique (Rousseau) et donc critiquable. Cette démocratie participative puise ses racines dans la démocratie délibérative (Habermas).
Cette solution présente cependant des failles : les délibérations débouchent régulièrement sur des consensus mou, des rapports de domination se récréant dans ses espaces. Face à ces contradictions la démocratie participative doit se renouveler et se reconstruire pour dépasser ses problématiques et éviter l’écueil sur la pertinence d’une telle démarche.
Afin de dépasser ces critiques, plusieurs solutions sont envisagées notamment sur le champs de la quantité : par la masse remplacer la qualité des interventions. De démocratie participative, nous passons à une démocratie semi-directe. Quel intérêt pour les villes ?
- Renforcer la légitimité des politiques publiques, issues d’une consultation
- Désamorcer les conflits latents ou à venir.
- Renforcement de l’image à l’échelle nationale : Grenoble est perçue comme un labo. de démocratie locale.
A l’issue de ce travail, 10 questions et enjeux sont à soulever :
- Pourquoi la démocratie participative a t-elle besoin d’être représentative ?
- Comment se faire écouter des décideurs ?
- Comment le temps peut-il être un ami en démocratie participative ?
- Comment rendre la démocratie participative plus inclusive
- Comment organiser la gestion du temps ?
- Quelle place pour l’information en démocratie participative ?
- Quels types de contribution peut-on attendre et doit-on rendre compte aux décideurs politiques ?
- Comment parvenir à faire monter la participation dans la décision métropolitaine ?
- Quels types de contribution peut-on attendre en démocratie participative ?
- Quelle place pour les émotions politiques dans la participation citoyenne ?
Voici quelques pistes de réflexion. Le conférencier conclut en rappelant qu’au delà de la multitude des dispositifs qui existent l’apparente opacité du dispositif n’est que le reflet de la complexité et même de la conflictualité inhérente à la réalité. Pour rendre un phénomène intelligible au citoyen, afin de fournir une réponse plus juste car prenant en compte cette complexité et ne tombant pas dans l’essentialisme (le peuple vs l’élite).
Une intervention pertinente mais qui demeure trop technique pour permettre une réelle compréhension des enjeux du sujet des personnes non initiées aux rouages de ce nouveau paradigme. De plus, pour une conférence traitant de questions participatives, cela manquait très nettement d’interactions.