Anne Sophie Leclerc, intervenante au MUNAé, le musée national de l’éducation à Rouen

Rappel : un TDC est spécialement édité pour ces RDV de Blois : n°117 du 15 septembre 2018 : l’image et le réel.

Les illustrations qui accompagnent cet article peuvent être recherchées dans la base de données du site du MUNAé. Certaines ont été photographiées par l’intervenante qui a aimablement autorisé leur reproduction.

Les images scolaires sont variées car elles sont issues d’un matériel divers, des planches à découper, des livres de prix, des bons points, des buvards, des planches didactiques murales ou des jeux de l’éditeur « le pélican blanc », des manuels, des cartes murales. Toutes véhiculent une imprégnation iconique de l’univers colonial et contribuent à agir sur le regard des plus jeunes.

Comment l’imagerie scolaire nourrit-elle le roman national ? Quelle représentation de l’Autre véhicule-t-elle ?

Ces illustrations s’inscrivent dans la tradition des images enfantines. Elles sont très colorées et édulcorées pour s’adapter aux plus jeunes. L’esclavage intra-africain est par exemple illustré pour justifier une colonisation qui s’oppose à ce trafic et s’érige en humanisation des Africains. Ici, la violence n’est montrée que par la métonymie de la cangue qui attache les captifs. On est dans un désert, ce qui permet de diaboliser la traite arabe.

Quels sont les thèmes forts que l’on retrouve dans cette imagerie ?

a-) La conquête

Une illustration au Tonkin ne montre pas « l’indigène », tandis que celle à Kalé dans l’ancien Dahomey (aujourd’hui le Benin) montre les autochtones combattant plutôt comme des sauvages, qui seront ensuite instruits pour entrer dans l’armée française coloniale. La technologie française est mise en exergue tandis que les marges arborent les couleurs du drapeau tricolore. Les uniformes de l’armée coloniale illustrent les couvertures de cahiers ou se collectionnent avec des soldats de plomb comme ceux des tirailleurs sénégalais ou ceux des spahis. Après 1870, le thème de la reprise des territoires perdus est sous-jacent  et lors de la Grande Guerre, l’apport des armées coloniales est valorisé.

Un bon point montre un tirailleur sénégalais qui garde un prisonnier allemand : « Ti viens voir sauvage » Ici, le sauvage est l’ennemi allemand (casque à pointe derrière). D’ailleurs, le noir est dessiné au même niveau que les blancs qui deviennent des spectateurs.

b-) Les missions « civilisatrices »

L’héroïsme de la mission Marchand et de la prise du Congo (épisode de Fachoda en 1898) est particulièrement accentué. Pierre Savorgnan Brazza ,« le bâtisseur d’Empire » proche des « indigènes », pose en burnous. Le livre de Josset, « A travers nos colonies », présente Brazza libérant des esclaves. Les vues à projeter pour des lanternes magiques narrent la conquête du Congo et la saga de l’explorateur. Dans cette profusion d’images, les buvards publicitaires véhiculent des dessins très caricaturaux comme ceux de la vache qui rit.

Certaines figures africaines méritent une attention particulière par le courage qu’ils ont manifesté à défendre leur peuple comme Behanzin, roi du Dahomey, présenté dans son palais d’Abomey ou Abdel Kader avec une représentation tirée du tableau d’Horace Vernet.

La cartographie contextualise les conquêtes en s’associant à des illustrations en marge. Un symbole s’ajoute : le blanc exprime les territoires à prendre ou à reconquérir. On note sur les cahiers que les écoliers doivent apprendre par cœur et reproduire les cartes de l’empire colonial.

c-) Les territoires colonisés, lieux apaisés par la mission civilisatrice de la métropole.

Des planches de 1938 illustrent la France d’outre-mer. Madagascar est surreprésenté. Seuls les « indigènes » sont dépeints, mais les colons sont présents en creux car le paysage est idéalisé, produit des Européens. 1931, « Madagascar » de Pierre Portelette montre des « indigènes » admiratifs d’une statue de Gallieni, créateur de l’école des Beaux-Arts de Tananarive.

S’institue une vision univoque des peuples colonisés dans leur exotisme et  la nature sauvage qui les entoure. La faune sauvage est accentuée avec la chasse au crocodile ou à l’éléphant, ce qui valorise la domestication de la nature dans la mission française colonisatrice.

Les buvards publicitaires présentent souvent des images dépréciatives, comme ceux des sous-vêtements « Petit Négro ».

 

 

 

d) La mise en avant des produits coloniaux.

L’iconographie scolaire insiste sur les bienfaits de la mise en valeur de la nature sauvage. Les instituteurs collaient des affiches montrant les produits coloniaux comme les bananes, la canne à sucre, le riz ou le caoutchouc. Un loto des colonies et des protectorats indiquent les productions de chaque territoire.

e) Les représentations des « indigènes ».

Une veine ethnologique cherche à représenter les colonisés mais les images accentuent le stéréotype de chaque peuple : le charmeur de serpent, le « nègre » du Congo. Les anthropologues ajoutent une panoplie d’objets aux images coloniales. Les « indigènes » sont assimilés à des sauvages, des barbares ou des cannibales et certaines pratiques sont présentées comme arriérées.

Le « bestseller », « Le tour de France par deux enfants » de G Bruno, manuel de lecture courante, véhicule les théories raciales de l’époque divisant l’humanité en quatre races.

On peut conclure que les images scolaires ont un sens plurivoque. Si l’école vise à éduquer et à séduire les jeunes Français, la dimension documentaire et esthétique cache la promotion politique d’un empire colonial puissant et nécessaire pour assouvir ce besoin de vengeance et de reprise des territoires perdus outre-Rhin. L’école prépare l’avenir de la France qui se joue à travers la richesse de son empire colonial.