On touche ici au grand art du modérateur, Nicolas Offenstadt, grand spécialiste de l’urbex ( = exploration urbaine dans des lieux abandonnés), qui a réuni des spécialistes dont les livres n’ont aucun rapport avec le thème, sauf pour une toute petite partie de leur œuvre… d’où la difficulté d’en faire un C-R, vue la grande hétérogénéité des lieux.
Une définition générale de l’espace abandonné ? Pas simple, car les lois françaises en ont plusieurs. Il y a le cas où le propriétaire est inconnu ou qu’il il ne fait rien (alors la commune peut le saisir). L’usage : est-il vraiment abandonné ? Mais le propriétaire existe-t-il encore ? L’aspect : la nature reprend le dessus. La représentation : pas abandonné pour certains, « verrue » pour d’autres.
Les sources : ce sont les archives. Certaines sont heureusement passées dans les archives départementales. Celles d’entreprises toujours existantes sont ouvertes – ou non – aux chercheurs. Enfin, quand les entreprises ont totalement et rapidement disparu, les papiers gisent en vrac et au vent dans les bâtiments abandonnés.
1er cas : Venise au XVIIIème siècle, par F. Zamboni.
Constat de l’abandon des lieux par la justice. Dans une Venise très peuplée, des lieux abandonnés sont dénoncés à la justice qui, alors, vérifie si c’est le cas. Trouver le propriétaire est difficile car il n’y a pas de registre. La condition de propriété réside donc dans une occupation longue, publique et paisible.
Que se passe-t-il alors ? Le lieu déclaré abandonné est vendu aux enchères ; 1/3 de la somme va à la ville, 1/3 au fonctionnement du tribunal et 1/3 au dénonciateur anonyme. Mais qui est cet anonyme ? C’est généralement un voisin qui veut se débarrasser d’un locataire qui ne paie pas ou d’un voisin fâcheux ou de prostitués.es. Mais comment le dénonciateur anonyme peut-il récupérer son argent ? Il signe la lettre de dénonciation, découpe la signature et, le jour de la vente, arrive avec le morceau de papier manquant !
Et après ? Pas de changement : on a toujours affaire à des marchands de sommeil avec de la sous-sous location de pièces.
2ème cas : abandon de palais à Paris au XIXème siècle, par C. Charle.
Le cas étudié est exceptionnel. Encore plus, car il s’agit d’un abandon à répétition ! Il s’agit du palais d’Orsay. La construction a été commencée par Napoléon Ier. Mais il était loin d’être achevé quand Napoléon a abdiqué. Les rois suivants n’osaient prendre les décisions concernant ce bâtiment symbolique. Au bout d’une vingtaine d’années, il a été achevé et occupé par la Cour des Comptes. Toutefois, la position centrale de ce bâtiment ne lui réussit pas, car il est un des tout premiers à être incendié lors de la Commune.
Nouvel abandon. Que faire de cette ruine dont les murs extérieurs sont en bon état ? Elle devient « célèbre » puisque Zola et Alphonse Daudet l’évoquent dans l’un de leurs romans respectifs. D’aucuns la trouvent romantique avec son aspect de ruine italienne. D’autres – journalistes – suggèrent qu’elle sert de refuge à de « mauvais garçons » qui y préparent leurs « vilains coups ». La IIIème République voit ainsi passer de nombreux projets, mais n’a pas d’argent (il faut rembourser la dette due à la guerre franco-prussienne, construire le système scolaire et créer une armée efficace). Le libéralisme apporte la solution. La société de chemin de fer privé le PO (Paris-Orléans) veut une gare plus centrale que celle d’Austerlitz. L’Etat accepte, car toute l’opération ne lui coûte rien et que l’Exposition universelle approchant, une gare centrale et neuve serait la bienvenue.
Nouvel abandon ? Le temps passant, la gare d’Orsay n’est plus adaptée aux évolutions ferroviaires (en particulier avec le TGV). Qu’en faire ? Une fois de plus, les projets fleurissent, et c’est le Président de la République Giscard d’Estaing qui choisit d’en faire un musée.
3ème cas : nature et culture dans le monde colonial, par H. Blais.
1er cas de figure. Un constat de réorientation, sans qu’il y ait eu d’abandon. Dans les villes du monde colonial français (Tunis, Alger, Hanoï, Papeete), on avait créé des jardins scientifiques/d’essais qui servaient, jusqu’à la fin du XIXème siècle, à tester comment cultiver de nouvelles plantes comme le café. Une grande partie d’entre eux sont devenus des parcs urbains.
2ème cas de figure. Retour en France au Jardin d’agronomie tropicale, situé à l’extrémité du bois de Vincennes (jouxtant Nogent-sur-Marne). À la fin du XIXème siècle, on y fait des essais (sous serres) de plantes coloniales pour trouver les mieux adaptées. Ces essais sont parfois payés par des industriels (ex : MM. Poulain, Meunier). Ce jardin sera vite ouvert au public pour conforter la propagande coloniale. Puis cet espace sert et ressert, tant pour les Expos universelles que coloniales et devient un dépôt. Il devient ensuite une école d’agriculture coloniale. Avec la 1ère GM, nouvelle reconversion pour installer un hôpital… pour les soldats des troupes coloniales. Puis, la partie jardin est plutôt abandonnée, tandis qu’on continue à faire des recherches sur les plantes coloniales.
Que faire maintenant ? L’occupation est disparate avec des bâtiments coloniaux, pour certains restaurés, mais d’autres non, des serres très abîmées et des bâtiments accueillant des chercheurs. La Mairie de Paris ne sait pas vraiment qu’en faire. Un lieu de mémoire, mais qui ne glorifie pas le passé colonial ? Mais comme il n’y a pas d’argent, l’abandon risque de durer.
4ème cas à Montbéliard, issu de la thèse de J. Ronsin sur les ouvriers yougoslaves de Peugeot.
Ici, la situation est simple. Comme l’entreprise est toujours présente, les bâtiments qui ne servent plus (comme les logements) sont rapidement détruits. Et c’est même tout l’écosystème Peugeot (épiceries Ravi, boîte de nuit) qui est détruit physiquement.
Conclusion : la salle regrette qu’il n’y ait pas eu une intervention sur la diversité des réutilisations (squat et autres) en attendant – ou non – une reconversion des lieux