Comment le littoral peut-il évoluer à une vitesse compatible avec l’actuel changement des forçages anthropiques qui le frappent ?
Son recul est-il inéluctable ou se reforme-il autrement ? Et quelles en sont conséquences sur l’occupation humaine du littoral ?
Pour Hervé REGNAULD, professeur de géomorphologie à l’université de Rennes 2, il y 3 théories possibles. Celles-ci nous sont présentées avec des exemples tirés de lieux marins principalement en Bretagne, mais aussi dans le monde entier.
Théorie 1 : Les côtes sédimentaires sont supposées reculer quand le niveau marin s’élève.
La loi de Bruun (1962) : R=S[L(h+B)], loi créée pour les besoins de la construction d’écluses sur le lac Michigan dans l’Amérique des Grands Lacs dans les années 60. Sachant que R= recul, S= montée du niveau de l’eau, L= longueur du littoral impacté, H= partie sous-marine impactée, B= partie aérienne des accumulations
Ce modèle théorique fonctionne souvent quand on l’applique en mer, mais ce modèle suppose : 2 mouvements pour l’eau, une montée de surface, une dynamique de la colonne d’eau. Donc il faut du sédiment disponible et une direction constante des houles dominantes, sinon une dérive littorale se produit par rapport au modèle prévu. Exemple : à Guernesey le littoral se déplace, l’amplitude et la direction des houles changent, le profil sous-marin aussi. C’est pourquoi les Anglais ont introduit la notion d’ « espace d’accomodation », soit l’espace nécessaire pour la variation du niveau marin. Ainsi la notion de ligne de côte est inopérante pour signifier la profondeur du changement qui peut varier de 25 mètres (St Malo) à 40 m (Bretagne sud) ou 50m en Iroise, selon la hauteur des houles. Le trait de côte est juste une cote d’altitude, le littoral est lié à l’espace disponible sur lequel la mer « se meut ».
À Ouessant, le cordon de galets n’avait pas bougé de 1913 à 2008. En 2008 la plus grosse tempête répertoriée avec des vagues de 21 mètres a eu un résultat nommé « OVERTOPPING » : la construction par la tempête et l’élévation du cordon de galets dont certains de plus de 7kg ont recouvert l’ancien cordon.
La Théorie 2 : Les falaises
Pour qu’il y ait des sédiments disponibles, il faut qu’il y ait des falaises qui s’écroulent… ceci doit être acquis surtout pour ceux qui construisent des maisons ! La falaise est le produit de l’érosion car en s’écroulant elle se forme.
Ainsi souvent les scientifiques demandent à ce que les arbres soient abattus sur le haut des falaises car leurs racines la fragilisent. Ce qui peut soulever des tollés…
De plus il est impossible de calculer une vitesse moyenne de recul et de prévoir à quel moment une maison installée sur une falaise cessera d’être en sécurité.
Mais on peut toujours prévenir bien sûr. Ici l’exemple de la falaise de Santorin, où hôtels et maisons sont en bordure ou perchés et entourés d’éboulis !
Exemple de l’anse du Verger à St Malo :
En 1952, presque pas de tourisme, pas de marque d’érosion, 2-3 voitures par jour sur la plage. Puis l’usine de la Rance est construite en 1966 grâce au sable des dunes pour le béton. Conséquences : photo de 1982 : les dunes ont disparu, la falaise a reculé de 50 mètres. Photo de 1996 : après suppression des parkings sauvages et reconstruction des dunes, on observe un ralentissement du recul.
Donc, la préservation permet une restauration, même si toute falaise est amenée à reculer et que de toutes façon« à la fin, « c’est la mer gagne ». Mais les collectivités locales en phase avec l’opinion publique cherchent à cercler l’arche d’Etretat… Comme au Mont St Michel actuellement, où la mer peut encercler le célèbre rocher lors des marées d’équinoxe !
Théorie 3 : Les marais
Selon A. Corbin, le marais, pour la plupart des gens et des époques, c’est un lieu « dégueulasse »… Ou bien un lieu ayant sa raison d’être ?
Les sédiments s’accumulent, forment des tombolos, des cordons dunaires qui s’accumulent dans les marais (voir le bec d’Andaine et Tombelaine dans la baie du Mont St Michel).
L’exemple de l’anse de Rotheneuf (à Saint Malo) : en 1967, presque personne ; en 1982, 3 campings de 199 places, la jauge légale maxi étant de 200 places (!) ; en 1996, le marais est remis en réserve et les campings supprimés ; en 2010, valorisation des anciennes pêcheries romaines.
Le littoral, ce n’est ni un trait ni un lieu, mais un ensemble de lieux dont on ne sait pas modéliser la destination et l’accumulation.
La pointe du Van, dans la presqu’île de Crozon, est un exemple emblématique d’un milieu littoral avec lieu-source (la falaise), lieu de transit (matériel érodé), et lieu réceptacle (la plage), soit une « cellule complète » ! Le niveau de la mer monte statistiquement globalement, la plage s’est transformée en 4000 ans à partir d’une tourbière d’eau douce néolithique à un milieu marin avec une dune accumulée dessus, puis la dune qui recule. Le modèle de Bruun n’est donc pas automatique, avec des systèmes d’alternance et la notion ponctuelle d’événements intenses, comme les tempêtes.
Modèles ?
La baie de Suscinio : le recul de la côte menace les sites archéologiques et le château. On définit les sites archéologiques qui méritent d’être protégés avec les collègues archéologues. Si on veut penser le littoral, il faut considérer en même temps le recul de la falaise : « site source », le transit des sédiments, l’accumulation des sédiments dans le « site-puit », le changement du niveau marin. Donc penser un ensemble de lieux en dynamique et savoir tenir compte d’événements ponctuels intenses qui sont marquants et impactent l’évolution du littoral. Autre exemple : la plus longue plage du monde en Australie a été bouleversée par un tsunami.
Pour résumer : la règle de base est souvent vraie. Il faut penser le littoral comme un volume et un espace, le placer dans un cercle variable selon les jours, les tempêtes, les vents…
Alors, que faut-il protéger ? les paysages ? les populations animales ? le «patrimoine », comme l’arche d’Etretat amenée à s’écrouler ou qu’on la bétonne pour la conserver ? la « culture », c’est-à-dire les sites archéologiques ? HR se demande avec humour s’il faudrait protéger le championnat du monde des châteaux de sable à Taîwan ?
Les enjeux sont donc complexes : pas de conclusion, chacun la fera…
Juste des observations, des faits indiscutables, une analyse rigoureuse, claire, non dénuée d’humour en plus ! les rédacteurs séduits, conquis par cet exposé. Seul reproche – pas au conférencier, mais aux organisateurs du FIG, la salle, mal adaptée à la projection de documents, indispensables à une conférence aussi brillante. Un grand bravo et merci à vous, Hervé Régnauld pour nous avoir donné votre montage PDF qui éclairera ce CR pour les Clionautes et un plus large public !
Pour les Clionautes, le trinôme Catherine Helmlinger, Jean-Michel Crosnier et Pierre Jégo.