C’est avec stupeur et quelques tremblements que la nouvelle est tombée cette semaine : Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, a pour projet de s’associer à l’association Dessinez créez liberté cofondée par Charlie Hebdo et SOS Racisme au lendemain des attentats, pour proposer aux lycéens d’Île-de-France un manuel de caricatures, à la rentrée 2025. L’association est surprenante et, au premier abord, le projet ne manque pas de pertinence. En effet, le 9 décembre prochain, nous rentrerons dans une année de commémoration qui culminera le 9 décembre 2025 avec les 120 ans de la loi de séparation des Églises et de l’État, et les 10 ans de l’attentat qui a coûté la vie à la rédaction de Charlie Hebdo.
Pourquoi ce projet ? L’ex-candidate malheureuse à la présidentielle s’en est expliquée au micro de BFMTV/RMC ce mercredi 13 novembre : c’est en Île-de-France que Samuel Paty a été assassiné. Certes, mais le drame ne concerne pas que la seule Région Île-de-France même si, dans cette dernière, le drame a sans doute été vécu de manière un peu plus intense. « On doit assumer que la liberté d’expression, le droit de caricaturer, est un droit français.» a-t-elle expliqué. « Des caricatures qui ont fait l’histoire de France, et des caricatures plus contemporaines » seront sélectionnées. Pourquoi pas ? Son affirmation est incontestable et toutes les bonnes volontés destinées à faire comprendre aux élèves l’intérêt démocratique des caricatures sont les bienvenues en ce moment.
Le loup derrière l’idée
Mais c’est au micro d’Apolline de Malherbe que le hic est très vite apparu avec cette déclaration. Interrogée par la journaliste qui insiste pour avoir une réponse claire, Valérie Pécresse finit par concéder une limite : « On ne présentera pas des caricatures du prophète dans le cadre de ce programme, mais on présentera des caricatures pour montrer qu’on peut se moquer des religions dans la République, de manière sereine ». Inutile de dessiner la polémique qui a éclaté dans la foulée.
Mais quand on commence à creuser, on s’arrête rarement comme l’indique un article du Figaro : «Face au tollé qu’a provoqué son intervention sur les réseaux sociaux, Valérie Pécresse a toutefois précisé, en commission permanente vendredi 15 novembre : « L’association [Dessinez Créez Liberté] n’a pas choisi non plus de prendre des caricatures de Jésus ou du Pape, parce qu’ils en ont choisi d’autres qui permettraient un débat plus nourri», et dénoncé une «polémique stérile ».
La distribution de ces manuels interroge. «Nous donnerons aux professeurs ces caricatures » affirme Valérie Pécresse lors de son entretien avec Apolline de Malherbe. Mais selon quel protocole ? Pour le moment, les modalités de distribution et d’exploitation restent très floues. La présidente de Région mentionne des tests réalisés dans des établissements mais n’indique pas lesquels et comment ils ont été pédagogiquement exploités.
Quelques remarques s’imposent
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la prétention à vouloir réunir des caricatures soigneusement sélectionnées pour l’absence de polémique qu’elles pourraient déclencher. Or, n’y a t-il pas une contradiction dans cette autocensure ? Le manuel est censé être destiné aux professeurs et non aux élèves. S’agirait-il de ménager les premiers ? Rappelons quelques éléments essentiels :
-La caricature en elle-même est faite pour choquer et comme le disait Cabu en 1968, elle est avant tout « un coup de poing dans la gueule« . Elle est l’arme qui s’attaque aux abus du pouvoir, qu’il soit économique, politique ou religieux. C’est ce point que les élèves doivent comprendre : la caricature n’est pas gratuite et il existe une différence entre « se moquer » et « critiquer ». Le professeur est là justement pour enseigner l’esprit critique.
-Penser que retirer des caricatures du Pape, de Jésus et de Mahomet résoudra la question de la provocation est utopique puisque, même si la question du prophète cristallise les tensions, il ne faut pas se leurrer : c’est la caricature du religieux, en général, qui est remise en question par les opposants religieux, quelle que soit leur confession.
-Au-delà de la critique, exercice essentiel de la démocratie et enseigné en classe, les caricatures sont aussi et avant tout des documents d’histoire, envisagés comme tels dans l’enseignement, et qui s’inscrivent dans un contexte spécifique et qui sont présentés, pensés et travaillés comme tels par les professeurs. Il semble que cette dimension ne soit pas retenue par ce futur manuel qui se veut pédagogique.
-Le professeur reste libre de sa pédagogie ; aucun texte ne lui interdit d’utiliser une caricature du prophète, du pape, de Jésus, Bouddha ou Ganesh si la pertinence pédagogique du moment l’exige et si l’appareil critique et scientifique qui l’accompagnent sont au service du programme. La présence de caricatures impliquant le Pape ou le prophète ne signifie en rien que les professeurs les utiliseraient en classe, sauf à vouloir, à terme, imposer ce manuel comme référence, ce qui serait inacceptable.
– Cinquième point et pas des moindres : dans une démocratie, ce n’est pas au politique de dicter au professeur les documents qu’il doit choisir. Merci pour lui, il est assez grand pour pouvoir le faire en son âme et conscience. En prime, voici une révélation : il sait où les trouver, un certain nombre de sites proposant des ressources en ligne de qualité accompagnées de dossiers pédagogiques. Irons-nous jusqu’à poser la question d’une telle dépense d’argent public ? Le débat est ouvert.
Une annonce pendant le procès des adultes de l’affaire Samuel Paty, assassiné pour une caricature
Mais le plus pesant n’est pas là. À l’heure où se déroule le procès Samuel Paty, cette annonce malheureuse semble vouloir envoyer quelques messages indirects au corps professoral. Chers professeurs, utiliser une caricature du prophète (ou du Pape) n’est point judicieux, vous pouvez l’éviter, vous risqueriez de froisser inutilement les élèves. Or, c’est justement ce qui a été reproché à Samuel Paty. Il est dommage que ni Valérie Pécresse ni l’association Dessinez créez liberté n’aient en tête cet aspect central du dossier, ce qui est étonnant pour la seconde. Ce mauvais timing et cette autocensure annoncée posent donc question.
Mais, en attendant, nous céderons sur un point : ce livre, nous ne l’avons pas encore entre les mains, il est donc difficile de juger de son utilité, de la pertinence des caricatures choisies et de l’appareil critique qui seront proposés. Mais nul doute que, d’emblée, le projet est vraiment très mal parti …