La semaine dernière, nous avions signé un édito concernant l’annonce de la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse de l’arrivée d’un kit pédagogique consacré aux caricatures, réalisé en partenariat avec l’association Dessinez créez liberté fondée par Charlie Hebdo au lendemain des attentats de 2015. Nous étions sceptiques, mais pas hostiles (précisons-le) face à cette annonce, mais nous attendions la diffusion de ce fameux kit pédagogique afin d’en juger la pertinence ou pas.

Ce dernier a été dévoilé sur les réseaux sociaux, samedi 23 novembre. Nous pouvons  donc désormais juger sur pièces la sélection des caricatures opérée par la Région Île-de-France, en association avec Dessinez créez liberté. Le kit pédagogique comprend :

– 12 dessins de presse et caricatures sur différentes thématiques de société telles que la liberté de la presse, la critique des idées politiques ou religieuses et les réseaux sociaux,

– 12 fiches de décryptage et de recontextualisation relatives aux dessins,

– des scénarios pédagogiques destinés aux professeurs souhaitant mettre en place des actions,

– une invitation à s’initier au dessin de presse et à la caricature pour les lycéens et lycéennes d’Île-de-France.

Ces fameuses caricatures, les voici ; elles sont réparties en 12 thèmes qui sont incontestables :

(Source : compte Instagram de la Région Île-de-France.)

Entendons-nous bien. Nous répétons que toutes les bonnes volontés destinées à soutenir et accompagner les professeurs dans leur démarche pédagogique pour faire comprendre ce qu’est une caricature à des élèves réticents voire hostiles, est la bienvenue, et nous applaudissons toute initiative tant que la démarche est sincère et honnête.

Déjà vues !

Mais, nous n’allons pas nous le cacher, cette sélection fait peine à voir et nous nous demandons combien de minutes a pu prendre cette sélection.

En effet, tout professeur aguerri remarquera d’emblée que sur les 12 caricatures retenues, trois voire quatre d’entre elles sont déjà présentes dans les manuels scolaires et par conséquent, sont vues, revues et re-revues :

-Les poires de Philipon qui demeure le grand classique,

– La plus connue de la fin du XIXe siècle, la double caricature consacrée à l’affaire Dreyfus signée Caran d’Ache.

-La caricature consacrée à la séparation de l’Église et de l’État

-La caricature consacrée à la censure réalisée par Alfred le Petit et publiée dans le journal le Grelot en 1872. Signalons qu’elle est déjà présente sur le site de la BNF et accompagnée d’une notice explicative extrêmement bien rédigée. Cette caricature est intégrée à un très bon dossier dédié à la question.

On peut déjà largement supposer, de manière légitime, que les professeurs les utilisent très largement en classe et que les élèves les ont déjà souvent aperçus. Par conséquent, à quoi bon reprendre un matériel pédagogique déjà présent dans les manuels, sur des sites institutionnels et déjà utilisés par les professeurs ?

À développer …

En regardant la sélection, les mots qui sont venus naturellement sont : « superficiel », « c’est pas développé », « c’est tout ? », un peu comme si nous lisions une copie qui ne fait qu’effleurer son sujet. En effet, une seule caricature par thème, c’est un peu juste voire très peu parlant. Pourquoi ne pas avoir sélectionné plusieurs caricatures par thème, laissant la liberté au professeur de choisir ensuite, de concert avec l’association, pour l’atelier celles qui lui auraient paru pertinentes ? Quelques caricatures de Louis XVI et de Marie Antoinette durant la Révolution auraient eu leur place aux côtés de celle de Louis-Philippe. On aurait pu élargir le thème du Roi aux fameuses représentations de de Gaulle en Louis XIV réalisées par Moisan dans les années 60 pour le Canard enchainé. On regrettera également qu’aucune caricature de Cabu et de son Beauf’, représentatif des travers de la société et qui a marqué l’histoire du genre, justement, n’ait pas été insérée.

Mais dans la mesure où une limite sérieuse avait été posée quant aux choix opérés, il ne fallait pas s’attendre à un miracle. Par conséquent, les institutions, l’Armée, les partis politiques et la politique en général (nationale et internationale) tout comme les personnalités religieuses ont été évitées, personne ne sera froissé.

Mais ne boudons pas complètement ce kit en dépit de sa superficialité. Les dessins choisis sont efficaces certes et peuvent déjà, pour certains élèves ignorants de l’usage de la caricature, être un bon point de départ pédagogique. Cet atelier pourra donc, en effet, tout à fait trouver son utilité dans certains établissements où les professeurs, légitimement dépassés par un public hostile, ont besoin de renfort. Mais les autres ?

Une initiative qui restera limitée

Globalement, que retenir de cette affaire ? Pas grand-chose car :

  • Cette initiative ne concerne, pour le moment, que la Région Île-de-France et en aucun cas le reste du pays. Rappelons que sur les 30 régions académiques que compte la France, 29 ne sont pas concernées par cette démarche qui demeure très parisienne. Elle restera par conséquent très limitée dans son impact. C’est une goutte d’eau dans un océan. Mais pour certains établissements difficiles de la Région, cet atelier peut présenter une réelle opportunité, en espérant qu’ils en bénéficient bien ! Pour les autres, les Clionautes restent persuadés que les professeurs savent ce qu’ils ont à faire ainsi que les sites proposant déjà des dossiers consacrés au sujet : la BNF, le site histoire par l’image,  par exemple.
  • Nous nous interrogeons également sur les modalités d’intervention de Dessinez créez liberté. Par quelle plateforme et dans quel délai s’adresser à l’association si celle-ci daigne répondre, quelque Clionaute ayant eu une expérience malheureuse avec elle.
  • Les professeurs savent, car l’expérience pédagogique plaide en leur faveur, que ce n’est pas forcément un atelier qui va changer la donne. L’apprentissage des caricatures, si elle veut être efficace, doit s’opérer tout au long de la scolarité des élèves. La clé est là : sans faillir et sans se censurer, il s’agir d’enseigner le programme en insérant régulièrement des caricatures sur tous les niveaux et adaptées aux programmes. Redonner à la caricature son statut de témoin de son temps et de document d’histoire est sans doute la seule démarche pédagogique qui vaille.

 

***

Quelques sites :

  • le site de la Bibliothèque Nationale de France ICI
  • le site caricaturesetcaricature.com
  • le musée protestant propose une page sur les caricatures au temps des guerres de Religion ICI
  • le site Artspaper magazine ICI
  • le site histoire par l’image ICI
  • le site du musée Carnavalet propos également tout au long de ses pages des caricatures comme celle-ci ou celle-ci en lien avec nos programmes
La France traîne son boulet, par Benjamin, publié dans le journal La Caricature, 27 décembre 1833. Paris Musées – Maison de Balzac avec une analyse ICI