Vieille et éculée, la tactique du contre-feu demeure, sur le plan médiatique et politique, une arme de premier ordre. Nous venons d’en avoir une nouvelle preuve avec le tapage médiatique autour du « shooting photo » de la ministre Marlène Schiappa, en tenue de Marianne, pour le magazine Playboy.
Les réactions auront occupé pendant de nombreuses journées les rédactions et les programmes des médias nationaux. Que l’on soit consterné ou hilare devant un tel choix de communication ministérielle, force est de constater que cette annonce aura réussi, un temps, à masquer les enquêtes menées par France 2, Marianne et Médiapart sur la même Marlène Schiappa du temps où, ministre déléguée à la Citoyenneté, elle avait créé et animé le fonds Marianne. Notre pays se remettait alors tant bien que mal de l’assassinat de notre collègue Samuel Paty.
Autopsie d’un scandale
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les services de l’Inspection générale de l’administration (IGA) ont été saisis, ainsi que le Parquet de Paris, pour faire toute la lumière sur les tenants et aboutissants des révélations journalistiques. Qu’en est-il exactement ?
Après une enquête de plus de neuf mois, menée conjointement avec France 2, le journal Marianne publie fin mars dernier, un long article sur le fonctionnement et l’attribution des subsides du fonds Marianne. Cette enquête met en lumière un « épais mystère » sur les méthodes d’attribution des subsides publics. Le journal indique que les deniers ont été largement distribués à des associations et des personnalités proches de la ministre.
Le journal Médiapart ajoute également que les fonds, s’élevant pour certains à plusieurs centaines de milliers d’euros, ont été en partie employés à des fins de propagande électorale par l’association Reconstruire le commun. Les « actions » menées en faveur de la défense de la laïcité et des valeurs de la République se résumeraient à des vidéos sur YouTube, cumulant quelques centaines de vues, et à des attaques contre certaines organisations politiques.
Nous nous garderons bien d’anticiper sur les conclusions des enquêtes diligentées. Rappelons pour autant que l’utilisation de fonds publics pour les finalités décrites ne constitue pas un mince grief.
Une atteinte à la mémoire de Samuel Paty
De telles accusations, si elles venaient à être confirmées par les enquêtes en cours, constitueraient un scandale particulièrement odieux, au regard de la symbolique engagée par le fonds Marianne.
Créé à la suite de l’assassinat de notre collègue d’Histoire Géographie Samuel Paty, afin de « financer des personnes et associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et plateformes en ligne », le fonds devait constituer, au delà des mots de réconfort, pour les proches, la famille, et la profession dans son ensemble, un acte fort : celui d’une République qui consacre l’École comme le socle premier de la citoyenneté et de l’unité nationale, et qui doit, pour ce faire, soutenir ses acteurs.
Alors que de récents sondages indiquent que plus de 50% des enseignants, tant du primaire que du secondaire, souhaiteraient quitter l’Éducation Nationale, que les démissions ne cessent de croître, que le sentiment d’abandon, voire de défiance, ne cesse de grandir parmi les collègues, l’hypothèse d’un tel détournement, à des fins apparemment électoralistes, autour d’un fonds public créé au nom de notre collègue assassiné, pour avoir mené, dans les derniers instants, seul et sans protection, pour reprendre les termes de la famille de Samuel Paty, sa mission d’éducation et de transmission, constituerait une profanation de sa mémoire.
En tant qu’association qui, depuis 25 ans, œuvre pour la défense de nos disciplines et de ses praticiens, nous nous associons à la colère et la peine formulées récemment par une partie de la famille de Samuel Paty.
Nous formulons le souhait solennel que toute la lumière soit apportée le plus rapidement possible sur toutes les zones d’ombres soulevées par ces enquêtes journalistiques. Nous continuerons de suivre cette affaire avec la plus grande attention, comme tout ce qui relève des suites judiciaires liées à l’assassinat lui-même.
Samuel Paty ne méritait pas cela.