À l’occasion de la sortie de l’atlas : « La puissance et la mer » (Tallandier), Émilie Aubry, rédactrice en chef du magazine géopolitique « Le dessous des cartes » (Arte) et Frank Tétart, géographe et politologue, nous racontent le monde contemporain depuis le grand large à travers des escales sélectionnées parmi les 5 océans et les 113 mers de la planète, qui constituent un enjeu majeur du monde futur.
Les 400 places du cinéma Empire sont remplies par un public déjà très présent pour ce 1er jour du festival. Il faut dire que le thème présenté par Emilie Aubry ne peut qu’attirer en ces temps incertains un large public, dont plusieurs classes de lycéens ayant choisi la spécialité HGGSP.
Comment fait-on pour regarder la terre quand on est au large ?
L’atlas sortant pour le salon du livre du Festival, il restait aux deux auteurs à se positionner vis à vis du thème, avec un art consumé du contrepied !
Des données et des questions essentielles
Quelques chiffres qui en disent long sur l’interpénétration des relations « terre-mer »
Le XXIe siècle passe par la mer. 90% du commerce mondial transitent par conteneurs tandis que la circulation de l’information transite elle à 98%, via des câbles sous-marins, sur fond de confrontation entre les États-Unis et la Chine.
Quelques questions à poser pour comprendre
Quels sont les enjeux globaux : pêche, environnement, ressources naturelles et énergétiques, sécurité et libre circulation… ?
Et face à la montée en puissance de la Chine et son affirmation vis à vis de ses voisins et des États-Unis, que nous dit le projet chinois pour son espace régional ?
Place au documentaire
Historique des puissances thalassocratiques
Commencer par les Polynésiens est une excellent rappel de ce que fut leur extraordinaire « conquête » de l’océan Pacifique.
Les mondialisations
La 1ère, c’est la rencontre entre les Européens et les peuples amérindiens et asiatiques des XVe-XVIe siècles, puis la construction de l’empire britannique à la fin du XIXe siècle. Enfin, celle des États-Unis d’Amérique qui projettent leur puissance et la liberté de commerce avec leurs différentes flottes sur tous les espaces maritimes du globe.
Des espaces maritimes de nouveau conflictuels
L’apaisement géopolitique après 1991 est de courte durée. Sur mer, nous sommes spectateurs de nouvelles zones de conflits avec les revendications chinoises sur la ligne des 9 traits, la guerre en mer Noire et le piratage des Houtis en mer Rouge.
Le nombre de navires miliaires chinois est maintenant supérieur en nombre à celui des États-Unis. Ces derniers gardent néanmoins une supériorité en tonnage et en qualité technologique, loin devant la Russie et la Chine. Mais pour combien de temps ?
La compétition économique
La convention de Montego Bay (1982) avait sanctuarisé les zones de souveraineté (ZEE) et la libre circulation en zone internationale.
Si un quart des containers mondiaux sont armés dans l’UE, les plus grands ports sont désormais sur le littoral chinois.
Les câbles sous-marins sont en majorité installés et contrôlés par les États-Unis et leurs entreprises. Mais la Russie et la Chine développent leur propre réseau, protégé des influences extérieures.
L’éolien en mer est dominé par la Chine, puis viennent les Européens avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas.
Présentation de l’atlas
Il s’agit du 3e atlas du Dessous des Cartes issu du dialogue et des visites de points chauds entre le géographe et la journaliste. Objectif : expliquer de façon simple et lisible le mouvement du monde par des cartes.
Et puis voyager !
Six escales nous sont proposées :
1e escale : Gdynia
C’est à l’occasion d’une sortie en Baltique à bord d’une frégate française que nos voyageurs nous font découvrir le port de Gdynia. On est à 100 milles de Kaliningrad, le port de l’enclave russe situé de l’autre côté de la baie de Gdansk, avec des vols de Sukoï passant tout près.
La période d’apaisement Est-Ouest s’est terminée avec les tentatives de démocratisation d’anciens États soviétiques comme l’Ukraine ou la Géorgie.
La pression de l’OTAN sur la Russie, raison évoquée pour l’intervention militaire en Géorgie, puis la guerre en Ukraine, ont conduit à la fin de la neutralité de la Suède et de la Finlande.
La constante historique russe de volonté d’accès aux mers chaudes date de Catherine de Russie au XVIIIe siècle et explique les conquêtes territoriales du littoral de la mer Noire, à la fois dans l’histoire et dans l’actualité, avec la conquête de la majeure partie du littoral ukrainien par l’armée russe.
2e escale : le détroit de Gibraltar
Le détroit est un lieu de proximité géographique et d’éloignement culturel à la fois, avec les gardes-côtes espagnols, témoins des naufrages en mer.
C’est également un lieu de bizarreries géopolitiques avec les enclaves de Ceuta et de Melilla typiquement andalouses en terre nord-africaine et le rocher britannique.
Le percement du canal de Suez en 1869 a fait d’une mer autrefois fermée une mer mondialisée avec conflits géopolitiques et dont les ressources sont âprement convoitées.
3e escale : Gênes
Le port de l’Adriatique est sous tension. La Chine y a pris des parts de marché qui posent désormais en Italie des questions de souveraineté économique mais aussi stratégiques (l’un des plus grands câbles de la planète y est arrimé). Or, qui contrôle les câbles contrôle l’information !
Le risque de deux systèmes parallèles qui cohabiteraient sans se rejoindre est réel avec la « Grande Muraille Numérique » chinoise.
Le lien avec le thème de la terre est évident ici, 80% de la population mondiale vivant à moins de 100 km de la mer.
4e escale : Salif
Le port de Salif est le fief des Houtis au Yémen, leur donnant une partie du contrôle de la partie nord du détroit de Bab el Mandel.
La mer Rouge est la porte de sortie, via le détroit de Gibraltar, de la ressource majeure du monde depuis 1945, le pétrole , située à proximité du Golfe Persique. D’où la présence multinationale de bases à vocation de protection des flux, mais qui sont en difficulté devant les attaques de bateaux ou les tirs de roquettes sur Israël.
5e escale : Kaohsiung
Comment la grande ville portuaire du sud vit-elle la menace sur le détroit de Taïwan ?
Avec deux discours, l’un sur le business du trafic maritime entre le port de Shanghai et Singapour et l’autre sur les menaces d’intimidation militaires continuelles.
NB : en cas d’invasion chinoise, pas de repli pour les Taïwanais (ou un nouvel exode massif de boat people ?)
« La langue de Bœuf » ou ligne à 9 traits, cartographie qui date de 1947 (et donc par les nationalistes chinois, avant la prise de pouvoir par Mao…) est maintenant à 10 traits pour bien marquer l’inclusion de Taïwan dans la République Populaire de Chine.
Le récit historique chinois est d’ailleurs d’une grande continuité. Au milieu du XVe siècle avec les Ming et l’amiral Zheng He, la puissance chinoise s’était imposée à ses voisins régionaux, qui devaient tribut ou allégeance. Le retour à une politique d’hégémonie sans partage sur son espace régional avec Xi, se cristallise notamment sur le retour de Taïwan à la Chine mais également sur le contrôle des îles Spratley et Paracels, enjeux importants pour la pêche et la surveillance de la route maritime la plus fréquentée au monde.
En face, les États-Unis cherchent à maintenir coûte que coûte la liberté de circulation. Mais déjà, les compagnies aériennes internationales doivent demander des autorisations de survol aux autorités chinoises…
6e escale : le Ghana
Les pays du golfe de Guinée voient leurs ressources halieutiques pillées par la flotte chinoise, la plus importante au monde. Les bateaux-usines chinois jouent sans cesse avec la limite des eaux internationales pour pêcher dans les eaux côtières, naturellement plus poissonneuses, privant les pêcheurs locaux de ressources vitales.
Absurdité de la mondialisation : on affame les populations, puis on transforme les poissons en nourriture pour les saumons, que l’on mange sous forme fumée, crue ou en sushis. Or, 80% de la pop mondiale se nourrit des ressources halieutiques…
Comment infléchir ce pillage des ressources ? L’espoir, encore fragile, c’est la carte des zones marines protégées.
Questions du public :
1- Les zones maritimes protégées fonctionnent elles ?
L’ambition, c’est l’objectif de 30% de zones en 2030. En pratique, comment les surveiller, vu l’immensité des océans ? Et la nécessité de la coopération internationale ne va pas de soi.
On espère néanmoins que la Conférence des Nations Unies sur l’Océan à Nice en juillet prochain prendra de nouvelles décisions en faveur de la biodiversité. Car si on protège l’espace, le retour de la biodiversité se fait très bien.
2- Sur ce que la Chine accapare, l’Occident a-t-il son mot à dire ?
Il est clair qu’il y a impuissance des instances internationales dans l’espace régional chinois. Ce qui n’empêche pas la Chine d’être active dans les autres lieux de gouvernance dans lesquels elle finance et pratique un lobbying intense. Va-t-on vers deux normes internationales, l’une occidentale et l’autre chinoise – ou comme aiment à dire les Russes, celle de la « majorité mondiale » ?
3 – De quelle manière le citoyen peut-il agir ?
La perception des jeunes générations de la prise de conscience des questions environnementales mondiales est réelle. L’enjeu de la connaissance permet d’avoir conscience de consommer de façon plus responsable et plus durable. Reste à savoir de quel poids les opinions publiques sensibilisées peuvent peser face aux États…