Dans l’épisode précédent, j’abordais le problème de la fatigue, premier écueil de l’enseignement hybride synchrone (enseignement en classe avec usage de la visioconférence pour les élèves restés à la maison). Le second concerne tous les problèmes matériels, depuis l’équipement informatique, jusqu’aux logiciels de visioconférence en passant par la connexion Internet. En ce domaine, l’Éducation nationale peut nettement mieux faire.
Le nerf de cet enseignement, c’est le matériel et la connexion. Force est de constater que nous sommes mal lotis. Très mal lotis. L’ordinateur de la classe peut être obsolète, la connexion ethernet ou wifi mauvaise, le micro bas de gamme, la webcam carrément absente, etc. Il y a aussi le problème du logiciel de visioconférence utilisé. En la matière, je peux dire que les logiciels recommandés par l’Éducation nationale ne sont pas ceux que j’utilise et que je recommande.
Et enfin, il y a le matériel des élèves au domicile. Pour ce dernier point, l’enseignant ne peut rien faire. Je précise à nouveau que la stratégie que j’ai adoptée ne s’entend que parce que la région Île-de-France a fourni aux élèves des tablettes et/ou des ordinateurs et que je travaille dans la vallée de Chevreuse qui, sans être la meilleur, n’est pas la pire des zones blanches.
Ne pas accepter le moins-disant technologique
Il va de soi que si l’unité centrale de la classe est obsolète, alors la mise en route sera lente, très lente et jouera avec vos nerfs. Heureusement, dans mon établissement, les ordinateurs promis il y a un an pour les dernières salles honteusement sous-équipés sont arrivés.
Je considère que le numérique n’est qu’un outil. Il doit permettre a minima de faire comme d’habitude et si possible mieux que d’habitude.
Si je dois perdre du temps pour ajuster le son des enceintes au gré des intervenants, pour réintégrer des élèves prématurément éjectés de la visio, ce n’est pas satisfaisant.
Si je dois atteindre mon application de visioconférence au milieu d’un ENT non fiable, ce n’est pas satisfaisant.
Si je dois choisir de voir le chat, la caméra des élèves, ou le partage d’écran alors que je veux les trois à la fois, ce n’est toujours pas satisfaisant.
Si je dois prévoir une séance de secours dans le sac en cas de bug, c’est encore moins satisfaisant.
Si je passe plus de temps à jouer à l’informaticienne qu’à faire mon métier, c’est inacceptable.
On ne creuse pas un trou avec une cuillère …
J’ai essayé l’année dernière la classe virtuelle du CNED et le moins qu’on puisse dire est que je n’ai pas été satisfaite de l’expérience. Certes, on pouvait faire pire. On peut toujours faire pire. Mon pompon personnel reste Via, que des mains lucides et respectueuses de la santé mentale des personnels ont exclu des usages en classe, et qui est au distanciel ce que le pain industriel est à l’art de la baguette tradition. Comme j’ai pu le constater lors des conseils de classe où la visioconférence du Cned trône en maître, le système a été amendé depuis l’année dernière. C’est plus fluide que dans mon souvenir mais sans être exaltant. Les retours des élèves qui peuvent l’utiliser dans d’autres cours sont mitigés.
… même si elle est made in France
On a évoqué dans mon établissement Web-Conférence mais le simple fait que l’outil soit rattaché à l’ENT constitue un sérieux handicap. En Île-de-France, on ne compte plus les pannes et il est hors de question que la connexion soit aléatoire. Par ailleurs, je suis à peu près convaincue que le système ne supportera pas des charges massives de visioconférences simultanées. Les déconnexions sauvages observées chez moi ces derniers jours me confortent dans ma réticence.
Donc, je dis non à ces systèmes. L’informatique est déjà en soi un univers effrayant, inutile d’en rajouter.
Le choix d’un opérateur privé
Dès le début, j’ai fait le choix d’un opérateur privé : ZOOM. Je ne m’en suis jamais cachée. Si ce logiciel domine le marché, ce n’est pas pour rien. Pendant que notre ministère interdit officieusement l’usage de Zoom pour les réunions publiques type conseils de classe, il faut quand même rappeler que bien des administrations l’utilisent. Un exemple est révélateur. Quand les Clionautes ont été auditionnés par l’Assemblée nationale en novembre dernier dans le cadre d’un colloque sur les inégalités à l’école, devinez quel logiciel était utilisé… Ce qui est bon pour les députés ne le serait pas pour les élèves ? Ce qui n’est pas sûr pour des élèves lambdas le serait pour les parlementaires d’une grande puissance mondiale ?
Zoom n’est pas le seul système fiable. Microsoft Teams, Webex, Google Meet ont aussi leurs qualités, notamment quand on utilise déjà la suite Office ou que l’on dispose d’un compte gmail. J’ai essayé personnellement les deux premiers et les retours sur le troisième sont bons. Mais à l’usage je préfère la simplicité de Zoom.
Deux réserves toutefois.
La première concerne le couplage entre Zoom et le matériel IOS. Certaines fonctionnalités ne sont pas présentes sur iPhone et iPad comme le partage d’écran. Certes, on a tout à fait accès à l’écran partagé des autres participants mais c’est un handicap de ne pas pouvoir faire de même si on fonctionne avec IOS. On retombe dans les stratégies exclusives d’Apple mais c’est un autre débat.
La seconde est que un bon compte Zoom est payant. J’ai souscrit à la version à 15 euros par mois. C’est une dépense, intégrée évidemment à mes frais professionnels, mais je ne le regrette pas. En un an d’utilisation, je n’ai jamais eu de panne, tout est fluide et confortable d’utilisation. Je pense en réalité avoir économisé en force de travail. Les autres méthodes de suivi sont épuisantes pour les nerfs et pour le temps de travail personnel; il n’y a peut-être pas de coût financier mais il y a un coût quand même, qui me paraît dépasser cette quinzaine d’euros.
Mon reproche est que finalement, quinze euros par enseignant, ce n’est pas le Pérou pour l’Éducation nationale. Par ailleurs, je sous-utilise mon propre compte. Techniquement, deux temps-pleins doivent pouvoir partager le même compte, ce qui revient à 7.5 euros par mois. Est-ce trop demander que l’État prenne réellement ses responsabilités en ce domaine ? Quand on pense à tous les contrats passés avec les prestataires de visioconférence, qui ont aussi un coût, on se dit que cela ne doit pas être si cher que cela à l’arrivée. Aucun chiffre avec les prestataires publics agréés ne circule donc nous sommes empêchés d’ouvrir ce sujet pourtant capital. Pour ma part, je considère qu’un service qui ne fonctionne pas ou mal coûte toujours trop cher.
L’alibi de la RGPD
À défaut de pouvoir interdire l’usage de Zoom et autres, certains ont émis des réserves qui me paraissent sans fondement. Parlons de la fameuse loi RGPD.
Zoom poserait problème à cause du prélèvement des données personnelles au moment de la connexion. La solution est simple. Il suffit de fournir aux élèves le lien sans qu’ils aient à se connecter à partir d’un compte mail ou d’un réseau social, et le tour est joué. Par ailleurs, un autre argument consiste à dire que les données recueillies terminent leur course dans un serveur hors d’Europe. C’est faux là encore. Les serveurs sont en Europe, et même Allemagne pour ce qui me concerne. En fait, il n’y a pas plus de risques qu’avec n’importe quel autre logiciel courant. Et s’il y en a, il faudrait être précis là-dessus et le dire explicitement.
Si vraiment l’Éducation nationale est si pointilleuse, alors pourquoi Windows et Google équipent-ils les ordinateurs ?
Hormis la volonté de ne pas saborder les laborieux efforts entrepris par l’Éducation nationale pour se doter de ses propres outils, je ne vois pas ce qui peut disqualifier Zoom.
Enfin, plus concrètement, j’ai demandé à mes élèves un retour d’expérience sur le sujet. Zoom est plébiscité à tous les coups : meilleur son, meilleure image, bonne ergonomie, flux moins lourd, polyvalence des usages, etc. Bien entendu, quand l’Éducation nationale aura trouvé un équivalent digne de ce nom, comme elle a su judicieusement s’associer à Pearltrees, je me ferai une joie de pratiquer les solutions maison.
La série des articles consacrée à l’enseignement hybride synchrone :
Épisode 1: Enseigner en même temps devant des élèves en classe et à la maison
Épisode 2: Comment j’en suis venue à « l’enseignement hybride synchrone »
Épisode 3: Quels sont les avantages de l’enseignement hybride synchrone
Épisode 4: Les trois commandements d’un cours en visioconférence
Épisode 6: La fatigue de l’enseignement hybride synchrone. Mythe et réalité.
Épisode 7 : Quel est l’avenir de l’enseignement hybride synchrone ?