Le 16 octobre 2020, à la veille des vacances de la Toussaint, Samuel Paty mourait sous les coups d’un islamiste en pleine rue, près du collège de Conflans-Sainte-Honorine. Après environ quinze jours d’une cabale sans précédent, menée en grande partie sur les réseaux sociaux, un professeur était assassiné par un inconnu, sans aucun rapport direct avec l’établissement et sur la base d’accusations intégralement calomnieuses.
Une mémoire toujours vive
Depuis cette date, il est très clair qu’il y a un « avant » et un « après » Samuel Paty et que nous autres, professeurs d’histoire-géographie, nous pensons très régulièrement à notre collègue, et pas qu’à l’occasion de l’hommage annuel.
Nous sommes d’ailleurs réconfortés par la multitude d’initiatives locales, venues de professeurs, d’établissements en général ou de collectivités qui, chacun à leur niveau, s’efforce de garder intact le souvenir de notre collègue. Baptiser un amphithéâtre, un square ou un collège, c’est déjà beaucoup. Nous espérons d’ailleurs que tous ces efforts épars soulagent en partie la peine de la famille, d’autant que depuis un an, un autre collègue, Dominique Bernard, a été assassiné à son tour, augmentant encore le cercle des foyers endeuillés.
Nous relayons également la publication du Cours de M. Paty, par sa sœur Mickaëlle et Emilie Frèche. Si ce livre n’aura nullement besoin de nous convaincre de la grande qualité du travail de Samuel Paty, il permettra de toucher au plus près l’homme qu’il était. Un cours n’est jamais un travail désincarné. Il dévoile forcément la cohérence d’une pensée, sa rigueur autant que sa richesse, son ossature morale et éthique, surtout en enseignement civique. Il redonnera vie à celui que nous ne connaissons plus que par des photographies.
Où est l’État ?
À en juger par les posts des réseaux sociaux et les pages actualisées du site internet, l’État prend sa part des commémorations et n’hésite pas à relayer la présence de tel ou tel DASEN, recteur ou autorité à telle ou telle manifestation. De façon attendue et justifiée, les hommages à Conflans et à Arras sont de grande ampleur.
Mais la présence officielle n’est pas suffisante, quand bien même elle est importante.
Cela fait maintenant quatre ans que nous déplorons le manque d’anticipation nationale, plus ou moins justifié par le contexte de vigilance antiterroriste. Cette année encore, toutes les informations sont tombées en fin de semaine dernière ce qui, avec le rush de la dernière semaine de cours, aboutit à un hommage minimal. Encore.
Dans la grande majorité des établissements, ce sera donc une minute de silence simple en classe, même pas nécessairement signifiée par une quelconque sonnerie, afin de « ne pas déranger les cours » de quelques collègues toujours prompts à faire valoir le caractère impérieux de ce qu’ils sont en train de faire. On le dit et le redit : s’entendre dire que non, rien ne sera possible car « il y a contrôle » ou « je ne sais pas parler de cela aux élèves », c’est VIOLENT.
Et cette violence place l’État face à son devoir.
Faire un hommage, ce n’est pas que préparer le recueil des « atteintes à la laïcité »
L’année dernière, dans le climat passionnel qui a accompagné l’interdiction de l’abaya dans les classes, le temps d’hommage a servi de super-baromètre à l' »adhésion aux valeurs républicaines » et une grande partie de la préparation officielle a consisté à définir les comportements qui méritaient signalement et à clarifier la procédure. Soyons clairs, nous sommes parfaitement d’accord avec la nécessité de sanctionner fermement toute espèce d’apologie du terrorisme, encore que la sanction ne soit pas toujours au rendez-vous dans les faits.
Par contre, tout cela ne dispense pas de la préparation à l’hommage proprement dit.
Et cette préparation n’a pas à reposer sur le volontariat de quelques professeurs, en général toujours les mêmes, et presque toujours en histoire-géographie. Nous le disons d’autant plus que maintenant quantité de chefs d’établissement assument ne plus vouloir prendre aucune initiative en la matière. À l’arrivée, quand bien même des collègues prévoyants anticiperaient dès la rentrée le temps d’hommage, ils ont de grandes chances de devoir « attendre les consignes » qui tomberont au dernier moment et contraindront à l’urgence.
Un hommage minimaliste de dernière minute n’a pas grand sens. Il n’apporte pas la clarification attendue par les élèves, il ne soutient pas les collègues volontaires qui ont juste l’impression de déranger tout le monde, il ne permet aucun réel suivi des comportements problématiques.
C’est peu dire que la mémoire de nos collègues mérite mieux.