Thomas Merle est professeur agrégé de géographie, professeur agrégé d’histoire et doctorant en géographie politique à l’Université de Reims. Il enseigne la géographie politique et intervient également sur la préparation aux concours de l’enseignement du second degré. Thomas Merle est coordinateur des Journées Géopolitiques de Reims organisées sous la direction scientifique de Stéphane Rosière.
Verbatim de l’intervention de Thomas Merle :
Les États-Unis sont rarement considérés comme une ancienne puissance coloniale, du moins pas au même titre que les grands États européens (Angleterre, France, Espagne, Portugal, Pays-Bas en tête). Pourtant ils ont, au cours de leur jeune histoire, administré différents territoires outre-mer et ils en conservent aujourd’hui des vestiges, que l’on peut désigner comme les États-Unis overseas. Comment ces territoires sont-ils gérés et quel est leur intérêt géopolitique ? Une première partie s’intéressera au processus à la manière dont ces territoires ont été associés aux États-Unis et à la diversité de leurs statuts. Un second temps analysera les problématiques géopolitiques de ces possessions en se centrant sur les ressources, la capacité de projection (notamment face à la Chine) et sur les enjeux diplomatiques. La conclusion sera l’occasion d’aborder les enjeux économiques contemporains de ces territoires. Des cartes personnelles produites pour la conférence illustreront l’exposé.
Les États-Unis disposent de territoires outre-mer qui constituent un héritage historique. La jeunesse de leur histoire induit cependant une spécificité dans le mode d’acquisition des territoires outre-mer : sauf pour quelques micro-îles non peuplées (colonisées pour leur guano…), les États-Unis étaient des colonisateurs « secondaires », toujours précédés par des Européens. Ils ont obtenu des territoires insulaires à la suite de guerres (par exemple en 1898 contre l’Espagne, avec la prise de Cuba et des Philippines) ou d’achats (les îles vierges américaines en 1918, achetées au Danemark !). Comme leurs rivaux européens, ils ont dû laisser accéder à l’indépendance la plupart des plus grosses îles (Cuba) et archipels (Philippines) mais ils ont conservé des petites îles, dont la plupart sont inhabitées. Les territoires outre-mer des États-Unis relèvent de cinq statuts selon leur autonomie et leur intégration au pays. Aujourd’hui seuls quatre des cinq statuts sont utilisés (État associés, territoires non incorporés non organisés, territoires incorporés non organisés et territoires non incorporés organisés), le dernier statut étant inusité depuis le milieu du XXe siècle avec l’accession au statut d’États des deux territoires incorporés organisés qu’étaient l’Alaska et Hawaï.
Si les États-Unis conservent ces territoires, c’est bien en raison de leur intérêt stratégique. L’exploitation du guano qui a guidé les choix des États-Unis dans la prise de possession de certaines îles n’est plus un critère déterminant mais il reste une logique de ressources.
Guam possède ainsi de la bauxite. Surtout toutes ces îles offrent aux États-Unis l’essentiel de leur Zone Economique Exclusive (1ère ou 2ème mondiale avec la France), plus vaste que leur superficie terrestre.
Bien qu’ils ne soient pas liés par la Convention de Montego Bay sur le Droit de la Mer, les États-Unis peuvent la suivre quand cela fait leur jeu : une telle ZEE leur offre de vastes zones de pêche mais aussi d’exploitation des nodules polymétalliques. Au-delà des ressources, ces territoires ont une utilité militaire, ayant parfois permis des essais nucléaires grâce à leur caractère inhabité et isolé, et, surtout, étant le support de bases militaires. Ce faisant, elles renforcent la capacité de projection de la première puissance mondiale. L’extension dans le Pacifique est stratégique pour contenir la Chine, les États-Unis ayant encore en tête le précédent japonais (avec l’attaque de Pearl Harbor en 1941) même si l’adversaire a changé. Ces territoires font enfin l’objet d’enjeux diplomatiques : certains sont revendiqués par d’autres États ; d’autres sont placés par l’ONU sur la liste des « territoires non autonomes », qu’elle appelle donc à décoloniser. À la fin du XXe siècle, l’indépendance a été accordée à certains territoires a pour avantage de leur donner une voix à l’ONU qui peut peser en faveur des États-Unis.
Les possessions outre-mer des États-Unis sont largement méconnues hors de Porto Rico ; elles constituent pourtant un support historique et actuel de la puissance des États-Unis. Ces territoires ont cependant un coût. Si l’entretien des îles non peuplées relève des aires protégées ou de l’armée, il faut bien donner aux habitants des autres des moyens de subsistance, faute de les voir réclamer l’indépendance pleine et entière. Actuellement le tourisme, principal moteur économique de la plupart de ces territoires, est plutôt en berne ; l’industrie, où il y en a, est en difficulté. Et Porto Rico a dû entamer en 2017 une procédure de restructuration de sa dette…
Intervention de Jean-Yves Bouffet
I, Le contrôle des espaces océaniques : pourquoi faire ?
Les USA, par le biais de leur outre-mer, sont allés au-delà de leurs mers pour contrôler les passages stratégiques. Néanmoins le premier enjeu du pays fut le contrôle de son propre territoire, étape indispensable pour une projection de sa puissance (à l’image du précédent espagnol avec 1492). Le tournant a lieu à la veille du XXème siècle, au moment où les USA ont quasiment terminé leur unification.
A la même époque, Alfred Mahan théorise le contrôle des routes maritimes. Étudiant la puissance britannique, il en déduit que celle-ci fut basée sur la marine et que les États-Unis doivent être les héritiers de cette puissance.
Cette puissance passe par le contrôle des points de passage stratégiques maritimes. Jean-Yves Bouffet aborde ainsi les détroits et canaux clés : canal de Panama, détroit de Bab el Mandeb, détroit d’Ormuz, de Malacca, de Gibraltar, du Bosphore.
II, La mainmise américaine sur le transport maritime :
Les États-Unis ont, par le Jone’s Act, imposé sur le monde du transport maritime leur mainmise. Imposant la desserte de certains territoires aux navires construits aux États-Unis, bénéficiant d’un équipage américain et sous pavillon du pays, celui-ci permis au pays de détenir une part massive de la flotte mondiale (jusqu’à 17% dans les années 1960).
Néanmoins ce trafic se révèle coûteux, faisant peser sur les outre-mer du pays une charge financière importante. De plus les chantiers américains n’offrent pas une compétitivité suffisante face à leurs concurrents.
Rappelons que les États-Unis sont les créateurs des pavillons de complaisance, historiquement dans le Panama, le Libéria ou le Honduras, et désormais dans les Iles Marshall et les Bahamas. La Micronésie et les Palaos, qui abritent des flottes en mauvais état, relèvent d’un statut problématique.
Particularisme américain : les liberty ships (2700 navires construits durant les années 1940) largement rachetés par des armateurs après-guerre et aussi des gouvernements étrangers, qui ont donné aux États-Unis une avance considérable sur les mers.
Si les États-Unis ont inventé les conteneurs et étaient leader dans les années 1980, toutes les compagnies ont fait faillite ou ont été rachetées.
Sur la question du droit maritime, les USA usent d’une politique unilatérale, ne ratifiant pas les grandes conventions onusiennes sur le droit de la mer, notamment Montego Bay (mais l’appliquant si besoin), et imposant au monde des règlements maritimes (Oil Pollution Act de 1989).
III, La concurrence croissante de la Chine,
La Chine a pris une importance croissante ces dernières années, devenant même la première puissance productrice navale (40% des parts de marché), immatriculant énormément de navires (notamment avec le pavillon de Hong Kong).
La Chine lutte pour l’accès à la mer via la politique du collier de perles, rappelant la course aux mers chaudes de la Russie impériale. Le pays n’est pas en reste sur les passages maritimes, notamment avec un projet de canal du Nicaragua ou encore le projet du canal du Kra. La Chine projette d’implanter une base militaire à Djibouti (afin d’assurer un contrôle sur Bab el Mandeb) et entretient de bonnes relations avec les iraniens.