Ce mardi 17 octobre 2023, et à sa demande, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel Paty, a été auditionnée au Sénat dans le cadre d’une commission d’enquête constituée en juin dernier, « sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes ». Si la date de cette audition était fixée depuis l’été, le contexte dramatique d’un professeur à nouveau assassiné par un islamiste, vendredi dernier à Arras, lui donne en revanche une portée encore plus forte.
Nous ne sommes pas dans l’après Samuel Paty, mais dans le pendant
En un discours parfaitement structuré de 45 minutes, dédié à Dominique Bernard, Mickaëlle Paty a utilisé des mots forts et percutants, accusant l’État et plus particulièrement l’Éducation nationale de « lâcheté » et faisant la liste implacable de tous les maux qui rongent notre institution et qui ont rendu possibles non seulement l’assassinat de Samuel Paty, mais aussi, trois ans plus tard, la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Elle justifie ainsi parfaitement la formule qu’elle avait employée dans un long entretien accordé au magazine Marianne il y a deux semaines : « Nous ne sommes pas dans l’après Samuel Paty, mais dans le pendant ».
Tout y passe ou presque, et c’est d’abord la technostructure de l’Éducation nationale qui fait l’objet de son réquisitoire et qui sert de fil directeur à sa démonstration. Ces responsables, ressemblant davantage à « une meute de courtisans prête à toutes les compromissions », ont « renoncé à leur intégrité » et se sont « perdus dans les méandres du politiquement correct », adoptant même une « culture de la tête baissée » face aux islamistes. Elle les accuse d’avoir laissé Samuel Paty « livré en pâture aux islamistes » et de l’avoir laissé être « traité en paria » dans les jours qui ont précédé sa mort. Elle tacle aussi le fameux rapport de l’IGÉSR du 3 décembre 2020, qu’elle estime « bâclé », développant une « vérité alternative » et ayant « retiré à [son] frère sa dignité ». Un rapport qui est loin d’éclairer toutes les zones d’ombre et qui incarne, selon elle, une « idéologie du pas de vaguisme » qui a trop longtemps régné dans l’Éducation nationale et qui ne sert qu’à « dédouaner l’institution ». Elle révèle par ailleurs que des anciens collègues de Samuel Paty, dans le cadre de l’enquête policière et judiciaire, ont refusé de témoigner, non par peur des islamistes, mais de la hiérarchie de l’Éducation nationale…
Le temps est venu d’un combat idéologique contre l’islamisme
L’autre fil conducteur de sa démonstration, évidemment lié au précédent, est la menace islamiste qui pèse sur l’École. Fustigeant l’expression « politiquement correcte » d’« atteintes à la laïcité », revenant sur le bilan peu glorieux en la matière du précédent ministre, elle sonne l’alarme, allant même jusqu’à affirmer que son frère serait presque mort pour rien. Le temps est venu d’un « combat idéologique contre l’islamisme », mais celui-ci paraît bien mal engagé à cause de tous ces responsables et universitaires qui « ferment les yeux » et « se mettent à genoux » dans une « culture de la soumission » aux islamistes. Elle estime par ailleurs que la formation des jeunes enseignants qui entrent dans le métier n’est pas à la hauteur des enjeux, dénonçant à plusieurs reprises les errements des INSPÉ (ex-IUFM) qui propagent une « vision anglo-saxonne, ouverte » de la laïcité, donc non républicaine. Revenant sur les désormais célèbres abayas et les qamis, elle note que « le simple fait de les porter est un acte de défiance contre la règle commune », précisant encore qu’« il faut arrêter de croire que ceux qui ne respectent pas la laïcité n’en comprennent pas les principes ».
Heureusement que les professeurs sont là, au quotidien, pour assumer leur mission de transmission et incarner concrètement les valeurs et les principes de notre République. Mais la profession est fatiguée, épuisée, découragée. Les professeurs « se sentent seuls ». Les professeurs ont également peur : Mickaëlle Paty rappelle ce fameux sondage de l’IFOP de décembre 2022 dans lequel un professeur sur deux dit être contraint de s’autocensurer dans ses cours. Tout ceci se traduit, comme l’a rappelé Mme Paty, dans la baisse continue du nombre de candidats aux concours mais aussi dans l’inquiétante progression du nombre de démissions depuis 2020 : « les enseignants quittent massivement le navire Éducation nationale ». On se demande bien pourquoi…
Le dernier condamné à mort pour blasphème, c’est désormais Samuel Paty
Mickaëlle Paty conclut son intervention par un hommage à son frère, faisant une comparaison historique glaçante mais, hélas, tellement vraie : le dernier condamné à mort pour blasphème, en France, désormais, n’est plus le chevalier de la Barre, exécuté en 1766 à Abbeville, mais Samuel Paty, froidement poignardé et décapité en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine…
Parce que, comme l’a répété Mme Paty, « perdre l’École, c’est perdre la guerre [contre l’islamisme] », il est grand temps d’engager la lutte, ce qui doit nécessairement s’accompagner de changements profonds et durables au sein de l’Éducation nationale. L’École républicaine est un bien trop précieux pour se résigner à renoncer.
J’approuve totalement le texte de Mickaëlle Paty, et voici ma réaction dans mes domaines de compétence
D’abord, en tant qu’ancien directeur d’une grande école publique, je souscris totalement à la description d’une hiérarchie imprégnée d’une« idéologie du pas de vaguisme ». Ça m’a d’autant plus frappé que je venais d’une PME, où celui qui aurait eu ce comportement aurait été renvoyé parce qu’il mettait le bateau en péril.
Ensuite, en tant que spécialiste du monde musulman (pour les nouveaux Clionautes, je précise que j’ai eu la charge du cours « Histoire du monde arabe » à l’ESCP), je suis 1000 fois d’accord pour lancer le « combat idéologique contre l’islamisme », comme le font d’ailleurs de nombreux gouvernements de la planète, y compris des gouvernements arabes (ces derniers ne sont pas parfaits par ailleurs, mais ce n’est pas la question aujourd’hui)
Je rajoute que les islamistes sont une minorité, mais qui exercent une pression particulièrement forte sur ceux qu’ils jugent « mauvais musulmans ».
En effet, vous savez tous qu’une large majorité des migrants ou de leurs descendants censés être musulmans ne le sont, soit pas du tout, soit d’une façon très vague (quelques principes ou comportements existant aussi dans d’autres religions) tout en se définissant néanmoins comme musulmans pour des raisons familiales ou de proximité. Ceux-la ne se font pas remarquer : on ne parle pas « des trains qui arrivent à l’heure ». Je renvoie à mes articles (via Google) ceux qui voudraient des précisions sur ces questions.