Intervenants:
Fatou Elise Ba est chercheuse à l’IRIS, en charge du programme Humanitaire et développement. Elle est spécialisée en droits humains, plaidoyer humanitaire et influence des politiques publiques.
Gaëtan Gorce est administrateur civil et membre honoraire du Parlement.
Catherine Wihtol de Wenden est politiste, juriste de formation et directrice de recherche émérite au CNRS.
Niandou Touré est sociologue, rédacteur en chef de la revue Migrations Société. Enseignant-chercheur à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB).
Annick Suzor-Weiner est professeure émérite à l’Université Paris-Sud/Paris-Saclay. Elle a auparavant travaillé à l’UNESCO, à l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) et à l’ambassade de France à Washington.
Nathalie Godard est directrice de l’action à Amnesty International France depuis 2020. Diplômée de Sciences Po, juriste en droit international des droits humains, elle a travaillé dans des organisations humanitaires à l’international.
Un contexte humanitaire dégradé
Selon Fatou Elise Ba, le contexte humanitaire actuel est dégradé à cause des différentes crises politiques, du réchauffement climatique. En ce moment, plus de 110 millions de personnes sont déplacées dans le monde entraînant alors un déracinement pour celle-ci mais aussi pour leur pays de départ. Le sujet est donc de comprendre les migrations dans les relations internationales. D’un point de vue sémantique, elle donne une définition simple de la migration qui sera par la suite étayée. Celle-ci serait alors le fait de ne pas vivre dans son pays d’origine. La modification des moyens de migration engendre une constante adaptation mais une surtout un contexte instable et incertain.
Quid de l’immigration excessive ?
Gaëtan Gorce remet en cause l’idée de submersion des migrants perçue dans les pays européens. L’idée d’immigration excessive n’a pas lieu d’être. Sur le plan démographique, la croissance n’est pas dûe à l’immigration (qui connaîtrait même une diminution de sa part dans cette croissance), mais plutôt au vieillissement de la population. De plus, le nombre de migrants accueilli par l’OCDE chaque année serait de 700 000 ; cela ne serait alors en aucun cas une submersion, étant donné que la population européenne est d’environ 450 millions habitants.
La peur du migrant
De plus, il intensifie sa critique sur la perception de l’immigration mettant en avant les facteurs favorisant cette peur. C’est le cas de celle provoquée par les catalyseurs (Turquie) mais aussi l’apparition de nouveaux réseaux. Ainsi, les différents partis contre l’immigration vont jouer sur les représentations des individus pour intensifier le phénomène. Cette politique par la peur fonctionne puisque 25 % du Parlement européen tend vers l’extrême droite. Ce vote extrême serait selon lui dû à la réaction forte des classes populaires face à la vitesse de développement qu’a connu l’immigration. Il faut relativiser les conséquences de l’immigration. Celle-ci prend trop de place dans les débats nationaux et européens, selon lui.
Des flux Nord-Sud pour quel impact ?
C.Wihtol de Wenden met en avant la dialectique nord-sud, et une nouvelle fois relativise l’impact de l’immigration dans nos sociétés. Elle part du chiffre suivant: ⅓ des migrants s’installent dans un pays développé. La spécialiste des migrations intervient ensuite sur la perception des migrants par les Européens. ⅔ des habitants d’Afrique subsaharienne nécessite la possession d’un visa pour partir à l’étranger. Dans la perception des gens, c’est un risque migratoire. Il faut penser aussi aux migrations internes en Afrique, souvent oubliées par les occidentaux. En effet, la moitié des migrations se font du sud vers le sud. ⅔ des migrants climatiques suivent des migrations internes et déplacent alors avec eux le développement de crise.
En Afrique, des circulations migratoires rapides
Il existe une facilité de mobilité en Afrique puisque malgré le fait que cinquante pays ne possèdent aucune convention sur les migrants (renforçant leur vulnérabilité), ceux-ci sont très tolérants envers ces populations. Cette libre circulation est alors source de travail pour les migrants mais aussi de main-d’œuvre pour les pays d’accueil. Ainsi, les pays du sud font face à de nombreuses problématiques (renforçant les inégalités avec les pays du nord) dues à la gestion des flux migratoires puisqu’ils sont à la fois des pays de départ, de transit et d’accueil. Les migrations sont alors des phénomènes structurant le territoire et les Etats. Cependant, pour les pays catalyseurs, la migration est source de revenus de la part de l’Union Européenne. Ainsi, les flux migratoires deviennent des moyens de pression.
Les dynamiques de départ
Niandou Touré remet en cause la théorie de la submersion, à travers de nombreux chiffres. Par la suite, il critique l’instrumentalisation autour de l’image du migrant faite pour fonder la théorie de l’envahissement. Celle-ci justifie les différentes mesures prises dans le but de limiter l’immigration. Il faut faire une distinction entre migrants et réfugiés (les déplacements leur sont contraints), ces derniers sont donc bien mieux acceptés dans la société. Au sujet des routes migratoires, ce qui a changé aujourd’hui, ce sont principalement les trajets. Ceux-ci opèrent en se confrontant à la logique de la “barriérisation”.
Quelle définition de migrant ?
Annick Suzor-Weiner précise que le mot de migrant est connoté négativement et est assimilé à population en déplacement ne venant pas du monde occidental. Un américain venant en France n’est pas considéré comme un migrant alors que celui-ci en est un. Selon elle, l’objectif de la migration serait de trouver une meilleure situation dans le pays d’arrivée que dans le pays d’origine. Par la suite, l’intervenante sort du sujet par une digression en mettant en avant le rôle, les objectifs et les bienfaits de son association d’accueil d’étudiants. Finalement, elle conclut sur le fait que l’immigration serait bénéfique aux deux pays.
La politique des visas face au statut de réfugié
Nathalie Godard construit son argumentation autour de trois points principaux. Elle met en avant qu’aujourd’hui les migrants font face à de nombreuses crises, commençant par la crise de l’accès et des frontières. En prenant l’exemple des femmes Afghanes, qui ont le droit d’asile en France, elle expose un paradoxe. En effet, celles-ci sont acceptées en France. Cependant, pour se rendre sur le territoire, elles ont besoin d’un visa, rendant l’accès au territoire impossible et les forçant à emprunter les routes migratoires. Les routes prises par les migrants sont dangereuses, sur le plan physique mais aussi sur le plan moral avec des agressions. Les migrantes ont le risque de subir des vols et des viols lors des déplacements.
Quelle gestion en France et dans l’UE ?
La gestion des immigrés en France est réalisée uniquement par le ministère de l’intérieur. Cela favorise une vision pessimiste de l’immigration qui nécessite non pas une gestion sécuritaire mais sociale. En effet, même si les migrants ont la possibilité d’asile en Europe, les portes de l’Union Européenne sont fermées et celle-ci fait tout pour éviter leur entrée.
Pour conclure, l’ensemble des intervenants s’accordent sur le fait que la question migratoire devient un enjeu géopolitique majeur. Elle prend une place toujours plus importante dans les débats politiques, alors que celle-ci est à minimiser car l’Europe est loin d’être envahie.
Théo Brunet et Morgan Le Loupp
Lien vers la conférence en entier : Migration et déplacement, un enjeu géopolitique mondial ? | Le Lieu Unique
Pour en savoir davantage :
Une migration en cache toujours une autre (plus ancienne) – Les Clionautes
BLOIS 2016 – Migrations africaines au XXe siècle – Les Clionautes
Les migrations environnementales : un nouvel objet d’enseignement – Les Clionautes