I) La (re)verticalisation de Londres
II) Les tours de bureaux et l’inscription formelle des acteurs de l’immobilier mondialisé
III) La verticalisation comme réponse aux enjeux de durabilité ?
La tour est un objet fonctionnel, un mode d’occupation de l’espace circonscrit et dense qui maximise le foncier.
La tour est aussi un objet symbolique à la conquête des cieux et du sacré, paré du prestige des grandes hauteurs et de la proéminence; les clochers d’église et les minarets des mosquées en sont les témoins.
Cependant, la tour « moderne » est avant tout utilitaire, elle est une forme urbaine privilégiée par le capitalisme mais aussi par les régimes totalitaires (par ex : URSS).
L’approche objective de la tour suppose qu’elle fasse une hauteur de 50 mètres au minimum et qu’elle soit plus haute que large. Le seuil d’IGH (immeuble de grande hauteur) est de 35 mètres. Un gratte-ciel est entendu lorsqu’il atteint au moins 100 mètres de hauteur; enfin on parle de tour « supertall » quand celle-ci dépasse les 300 mètres.
Selon une approche subjective, tout dépend de l’environnement habituel de chaque personne. Ainsi, un habitant de Hong-Kong trouvera probablement que la tour de la Part-Dieu à Lyon est petite, comparée aux tours qu »il voit tous les jours. La hauteur est donc une notion relative.
Il s’agit donc d’une forme circulante dans la mondialisation négociée et plus ou moins adaptée localement.
Deux programmes de recherche s’intéressent aux tours en géographie urbaine:
– Le programme Skyline qui s’intéresse aux paysages composés de tours
– Le programme Highrise qui s’intéresse plus à « l’habiter » des tours.
Manuel Appert intervient dans les deux programmes.
I) La (re)verticalisation de Londres
a) Les tours au cœur des débats sur l’attractivité économique des villes et sur la durabilité du développement urbain.
Les tours naissent à Berlin (période BAUHAUS), très vite elles se diffusent aux Etats-Unis d’Amérique (aujourd’hui elles reviennent en Europe) pour gagner l’ Asie du Sud-Ouest et l’ Océanie…
Pour certains (comme le géographe Steve Graham), la verticalisation est l’avatar du capitalisme.
Comment les territoires s’accommodent-ils des tours ? Les tours sont portées par la puissance publique, tel le Projet INCITY à Lyon. Gérard Collomb s’assure que la moitié de cette nouvelle tour soit louée par la SNCF, afin d’ assurer des loyers et ainsi rassurer les investisseurs qui sont principalement des fonds de pension…
Bref, on trouve des partis POUR et CONTRE (ces derniers sont souvent les défenseurs du patrimoine).
Deux questionnements se posent : Le premier est de comprendre la place des tours dans les stratégies de gouvernance, comprendre en quoi elles sont un levier d’attractivité (notamment pour les promoteurs immobiliers…) et aussi en évaluer l’impact sur l’attractivité des quartiers.
Récemment, une thèse a fait le point sur du renouveau de la construction des tours en France (on dénombre environ 75 tours en projet en France dont 3 à Lyon).
Enfin, La place de la tour dans les pratiques de développement durable est intéressante car les tours sont plus durables en ce qui concerne le développement urbain. Les tours comme outil de développement urbain sont inclusifs et respectueux de l’environnement.
Un phénomène mondial
En 2016, plus de 1000 tours de plus de 200m de hauteur, dont plus la moitié en Chine ont été construites. Cela représente 5 fois plus qu’en 2000 ou 15 fois plus qu’en 1980! A ce jour, il n’y a pas de projet de tour haute en Europe. (+de 200m).
La course à la hauteur ne passe par l’Europe, puisque les plus grandes tours y avoisinent les 300mètres seulement. Rien de comparable avec Dubaï et sa tour Burj Kalifa qui fait plus de 800m de hauteur.
b) La re-verticalisation en Europe
La première verticalisation dans notre continent date des années 1960-70 et porte sur 3000 à 4500 projets immobiliers. Dans les décennies 80 et 90, on atteintl’ étiage avec seulement 1500 projets . La deuxième verticalisation (le retour de la tour en Europe) s’amorce dans les années 2000-2010 avec le lancement de 4500 projets. La première verticalisation s’explique par les logiques des Trente Glorieuses et l’immigration… La tour est la solution architecturale et constitue en même temps une rupture architecturale avec le temps des guerres.
Cependant, dans les années 1970, des problèmes sociaux apparaissent dans et autour des tours, mis en évidence dans les travaux de Rachid Kadour sur la tour Plein-ciel de Montreynaud, par exemple. Dans les décennies 80-90, on assiste à une stigmatisation des tours , de la part des élus mais aussi des urbanistes. Il s’agit là d’une période de traumatisme et les tours sont abandonnées…Il faudra attendre les années 2000 pour voir leur retour, en Europe.
c) La verticalisation résidentielle et commerciale.
A l’échelle mondiale, la verticalisation est plus souvent résidentielle que commerciale.
Cas de la St Georges Tower (Londres) :
Il s‘agit d’une tour de logement (non-social). Sur 300 logements, seuls 150 appartements sont occupés, les autres sont représentent juste des investissements. Parmi les occupants on compte un oligarque russe (anonyme) qui acheté deux étages, ainsi qu’un Cheick propriétaire lui aussi de deux étages pour lui, sa famille et son harem. 7% des habitants de la tour sont inscrits sur les listes électorales de l’arrondissement et aucun enfant habitant ces tours n’est inscrit dans une école locale. Minimisation de l’implication des habitants de la tour dans la vie du quartier.
Londres est une ville de 32 arrondissements qui compte 8.6 millions d’habitants. La ville est gérée par the Greater London authority avec sa tête actuellement Sadiq Khan. Cette autorité gère les grands plans d’aménagements, mais ce sont les arrondissements qui délivrent (ou non) les permis de construire. Cependant, The Greater London Authority dispose depuis peu d’un droit de véto pour forcer les arrondissements à accepter (ou à empêcher) les programmes immobiliers. Ce sont les « super-pouvoirs » du grand Londres.
d) Situation des tours à Londres.
1. Avant 2000 : Les tours sont construites se manière diffuse, sous formes de grappes. En 1960 les grands ensembles dominent. Croydon est construit comme centre secondaire de la ville (Cité administrative). Aujourd’hui le quartier est en marge de la mondialisation, délaissé…
2. 2000-2014 : La logique spatiale est plus concentrée (c’est le choix des promoteurs). Les constructions en périphérie sont de plus en plus marginales. A Londres, aujourd’hui, tout est construit dans un périmètre de 15 kms. Les tours font leur apparition dans les zones de régénération urbaine, les espaces obsolètes encourageant à l’aménagement (ancien sites olympiques Stratford…)
En ce qui concerne les tours résidentielles aucun d’entre-elles ne sont construite dans l’hypercentre. Les quartiers de tour résidentielle sont tout au long de la Tamise. Certaines tours mixtes (mélange logement et activités commerciales) sont construites. Le nord de La City est l’exemple même de la gentrification londonienne.
II) Les tours de bureaux et l’inscription formelle des acteurs de l’immobilier mondialisé
Diapo : photo de la City avec leurs signatures iconiques et les surnoms attribués par les londoniens aux tours (Râpe à fromage, Talkie-walkie, Cornichon…)
La City : ce sont 350 000 de personnes qui travaillent dans ce haut-lieu financiers.
Avant la fin des années 1990, le quartier n’a pas « la gueule de l’emploi » il ne ressemble pas du tout à une CBD conventionnelle. Profitant d’une fin de cycle la nouvelle équipe municipale de l’époque qui est plus jeune et plus ouverte, décide l’internationalisation du capital (l’argent de la City n’est plus uniquement national). Le quartier doit donc s’adapter à ce nouvel esprit.
La première tour à sortir de terre est le Cornichon (30 St Mary Axe ou Swiss Re Building). Suite à un attentat de l’IRA le Baltic Exchange (bourse du fret maritime) est détruit en 1992. Le site est inoccupé, il deviendra le futur site du Cornichon. Après un premier, puis un second concours d’architecture c’est bâtiment censé être écologique qui rafle la mise. Il est terminé en 2003. Après le cornichon, pleins d’autres tours vont être construites dans le quartier. Ces tours sont hautes et très visibles.
L’immeuble surnommé le « tesson de verre » dans la city à Londres, a été proposé par le même architecte que la Cité Internationale de Lyon. Il s’agit d’une tour mixte de 310 mètres. On assiste a beaucoup de construction de tours en aluminium et verres ce qui rends la City homogène.
a) Le développement des tours de bureaux à Londres.
– Les tours de bureaux sont des infrastructures du capitaliste mondialisé en réseau (Graham & Marvin, 2001)
– Elles sont aussi des investissements de prestige, de symbole de réussite et de modernité (les propriétaires sont non-occupants). Il s’agit d’un placement d’argent (comme pour les fonds de pension…), de location par des groupes du CAC40 à des promoteurs…
Il s’agit d’un objet-phare d’une grammaire architecturale de l’immobilier mondialisée.
Objet de prestige : à défaut de très grande hauteur la tour est une ménagerie de formes, de texture, d’ingéniosité environnementale et de grands noms de l’architecture. Les tours sont aussi des showrooms de leurs concepteurs et constructeurs. En bref, les tours de bureaux sont devenues des titres et des actifs.
b) Coalition d’acteurs aux intérêts convergents.
Les tours sont un outil et marché des acteurs de l’immobilier mondialisé car elles permettent une maximisation de rente immobilière, elles permettent un potentiel d’accroissement relatif et localisé des valeurs foncières enfin, enfin, elles garantissent des investissements « sûrs » dans l’immobilier financiarisé et globalisé. De plus elles créent un marché pour les architectes, les urbanistes et les constructeurs.
Les outils de stratégies entrepreneuriales du Grand Londres. Les tours permettent la correction des marchés fonciers sous valorisés à proximité de l’hyper centre (Inner City). Les grands projets privés sont instrumentalisés par le public pour devenir du marketing urbain. Par ailleurs ces projets sont vecteurs de recettes fiscales dont dépendent les mairies d’arrondissement (les arrondissements londoniens bénéficient seulement de 30% de dotation de l’Etat).
Pour les investisseurs les villes de taille intermédiaire (comme Lyon) ne sont pas assez sûres donc difficile d’investir, même si des investissements chinois commencent à avoir lieu à Lyon.
Etude de Cas : La tour Pinnacle / Londres (en construction)
FICHE TECHNIQUE :
Hauteur : 288 m
147 000 m2 de bureaux
Dessinée par KPF
Financée par ARUP
Locataires : institutions bancaires (par plateau)
Cette tour va permettre d’homogénéiser le quartier de la City. La « dramatisation » et mise en cohérence du Skyline en fonction de 5 autres projets de tours. La Mairie de Londres s’intéresse à l’harmonisation des projets, elle veut définir le Skyline en créant un chapiteau depuis la Cathédrale St Paul en utilisant le sommet de la tour Pinnacle comme Apex.
c) Tour construite pour et par la coalition
Dans le cas de la tour Pinnacle, l’investissement du fond de pension Arab Investment est un « investissement trophée ». Cette tour transforme radicalement la Skyline de la City : un signal de centralité aux échelles locales, nationales et internationales. Les tours composent aujourd’hui le CBD de la ville mondiale et sont symbole du signal de nouvelle gouvernance.
Il est important d’avoir un Skyline « glocal » par l’orchestration d’une lecture simultanée de la cathédrale St Paul et des tours (vue et point de vue) depuis Waterloo bridge. La tour Pinnacle est un objet architectural standard mais prestigieux (forme et position) au service de la normalisation et de la distinction du CBD de Londres.
Londres est une ville globale, mais n’est ni Shanghai, ni Dubaï.
La mairie cherche à maintenir l’harmonisation passé-présent-futur à contrario de Paris, qui mène une politique de patrimonialisation de l’intra-muros parisien. Par ex : La Défense ou le périphérique.
III) La verticalisation comme réponse aux enjeux de durabilité ?
La durabilité qui est évoquée ici se construit sur une forte composante sociale. Sur le plan environnemental, les tours ne sont pas synonyme d’écologie : en effet, l’exemple des ascenseurs. Ces derniers sont chers ; ils exigent un cœur de béton plus important ce qui fais moins de superficie habitable. Ils exigent aussi une grande vitesse ; ce sont des omnibus au sein de l’immeuble. Les coûts de construction ainsi que les coûts écologiques sont lourds.
Les tours de bureaux à Londres sont très minoritaires, la verticalisation est avant tout résidentielle (71% de tours résidentielle).
EDC : 16 Blackfriars road, Southwalk London.
Exemple : vente d’une suite (Greenwich Suite) au 45è étage “available from 18 000 000 00£, cette suite s’adresse à des élites transnationales.
Studios 1,100 000 M.
Aujourd’hui à Londres : Inner London est principalement ciblée par les promoteurs, Strattford représente un tissu urbain hétérogène.
Certaines mairies (du Grand Londres) n’ont pas de plan d’aménagement (mobilier urbain…) on se base alors sur les dessins des promoteurs. La copropriété prend alors un rôle majeur, voire politique, de l’espace. On assiste à beaucoup de conflits entre riches personnes de pays différents (ex : aménagement chinois à Strattford). Les constructions privilégient la proximité d’un nœud modal (métro, trains…).
Comment en est-on arrivé là ?
Le développement durable est la principale justification des tours de la métropole londonienne.
LONDON PLAN (2004-2010/2011-)
Les justifications sont les suivantes :
1) Les tours et la crise du logement des keyworkers :
– Atténuent la pénurie de logement
– Exercent une pression à la baisse sur les prix de location et de vente des logements
2) Les tours et l’articulation des politiques de transport et d’urbanisme
– Maximisent la densification
– Densification et localisation des tours dans les lieux les plus accessibles minimisent les nuisances de l’hypermobilité
3) Les tours et le développement de l’emploi
– Soutiennent l’emploi tertiaire par la diversification et amélioration du parc de bureaux
– Soutiennent le marché de l’emploi de la construction
– favorisent l’amélioration du cadre de vie et sont respectueuses du patrimoine si bien localisées
Les tours résidentielles à Londres sont destinées aux investisseurs étrangers :
– 20% d’investisseurs d’origine britannique
– 17% d’investisseurs de Hong-Kong
– 19% d’investisseurs de Singapour.
La tour : Un produit immobilier privilégié pour le renouvellement urbain public/privé
Les promoteurs ne ciblent pas que les espaces prospères, ceux en gentrification. Ils participent des grandes projets d’aménagement eux même associés à de nouvelles infrastructures de transports financées par le public Ils ciblent donc les espaces de fort potentiel d’accroissement des valeurs immobilières. Ils investissent de plus en plus aussi les quartiers d’habitat social, en partenariat avec les collectivités La rénovation (démolition) est alors privilégiée. Et les conséquences socio-démographiques sont importantes !
La régénération de Elephant and Castle
Le quartier d’Elephant and Castle a fait l’objet d’une modernisation au cours des années 1960 et 1970 après que des bombardements l’avaient en partie détruit pendant la seconde guerre mondiale. La reconstruction a fait la part belle à l’automobile et à l’urbanisme fonctionnaliste, à l’image du Heygate Estate, ensemble constitué de barres parallèles et reliées par des passerelles dans les airs. Le quartier s’est ensuite physiquement dégradé, et avec, son image. Le grand ensemble a été démoli en 2014, malgré l’opposition des résidents et d’activistes. Il fait la place à un quartier vertical dominé par les logements privés.Le promoteur australien Lend Lease n’a jamais émis le souhait de réhabiliter le Heygate Estate. Sur les 1054 logements sociaux démolis, seuls 550 seront remplacés
Les propriétaires qui avaient acquis leur logement social se sont vus offrir 95 000 livres pour un studio ou 107 000 livres pour un trois pièces, alors que le prix des studios dans les environs s’élève à 330 000 livres. Les populations ont été contraintes de migrer dans des quartiers moins onéreux, notamment plus à l’est, mais aussi hors des limites du Grand Londres
La régénération d’Elephant and Castle est emblématique de la convergence d’intérêt entre les municipalités et les promoteurs. Elle résulte d’abord d’un modèle néo-libéral de développement urbain qui vise à faire financer et/ou exploiter par le secteur privé un certain nombre d’activités, de services, de logements, qui pouvaient jusque-là être pris en charge par la sphère publique.
Elle résulte ensuite de la dépendance accrue des municipalités aux promoteurs. Le contexte de réduction des dépenses publiques, particulièrement dans les infrastructures et le logement « social », conduit les municipalités à négocier en permanence avec les promoteurs, avec de nouveaux rapports de force et de nouveaux objets de négociation, comme les tours.
Le mot de la fin : Verticalisation : « Les riches restent en haut et les pauvres en bas ! »
Bibliographie officielle de la conférence.
2017 – Manuel Appert, Andrew Harris, Martine Drozdz, Negociating Vertical Urbanism in Europe, Built Environment, à paraître novembre.
2017 – Manuel Appert, Isabelle Lefort, Christian Montès, Imaginaires et representations de la ville verticale, Géographie et culture, à paraître décembre.
2017 – Manuel Appert, Maxime Huré, Raphael Languillon, Gouverner la ville verticale, Géocarrefour, Vol. 91, n°2.
2016 – Manuel Appert, The resurgence of towers in European cities, Métropolitiques, 19 février.
2015 – Manuel Appert, Christian Montès, Skyscrapers and the redrawing of the London’s skyline: a case of territorialisation through landscape control, Articulo, n°7, Juillet 2015.
2012 – Manuel Appert, La tour Orbit à Londres, faire-valoir des Jeux ? Métropolitiques
2012 – Manuel Appert, Delphine Papin, Mark Bailoni, Atlas de Londres, Autrement, Collection Atlas des Mégapoles, avril 2012.
2012 – Manuel Appert, un grand évènement alibi du renouvellement urbain à l’est de la capitale, Géoconfluences, ENS-LSH.
2011 – Manuel Appert, Shard : un monument au débat sur les tours à Londres, Métropolitiques.
2010 – Manuel Appert, Martine Drozdz, La géopolitique locale-globale aux marges de la City de Londres : conflits autour des projets de renouvellement urbain de Bishopsgate. Hérodote, n°137, p. 119-34.
2008 – Manuel Appert, Ville globale versus ville patrimoniale ? Des tensions entre libéralisation de la skyline de Londres et préservation des monuments et vues historiques, Revue de Géographie de l’Est, vol. 48, n°1-2, 2008.