Montpellier, le 22 juin 1981, fut la première ville de France à choisir de se jumeler avec une ville chinoise, Chengdu. Pourquoi cette date, et pourquoi ce partenaire ? On se situe alors dans trois périodes initiales : le premier mandat de maire de Georges Frêche, élu en 1977 et qui restera à la tête de Montpellier jusqu’en 2004 ; le tout début de la présidence de François Mitterrand, ce qui ne peut que donner des ailes au jeune maire socialiste, adepte toute sa carrière des coups d’éclat et des décisions de portée « historique » (au moins au niveau du symbole) ; les premiers temps de l’ouverture de la Chine communiste, décidée en 1978 par Deng Xiaoping. Le Pays du Milieu, encore faible et archaïque sur presque tous les plans, ne peut que se réjouir d’un nouveau lien avec la nation qui, en 1964, avait rompu avec le camp occidental pour reconnaître la Chine de Mao Zédong.
Pourquoi Chengdu ?
Quant au choix de Chengdu (dont nous ignorons les modalités précises), il laisse à penser à une décision personnelle de Deng, dont le Sichuan était la province et la base de pouvoir. Quoi qu’il en soit, cela ne pouvait que combler Frêche, Chengdu étant à la fois la capitale de la province la plus peuplée de Chine (déjà alors plus de cent millions d’habitants), une métropole de plusieurs millions d’habitants et une cité chargée d’histoire comme de culture – le poète Dufu, de la dynastie Tang, y est l’objet d’un véritable culte, sa maison supposée et le beau parc qui l’entoure étant probablement le lieu de loisir le plus visité par la population. D’un autre côté, Chengdu n’est ni une ville du grand sud chinois, ni une cité proche de la mer – alors que les jumelages tendent à unir des cités présentant des caractéristiques un tant soit peu analogues.
Quel bilan ?
Les réalisations concrètes du jumelage sont demeurées assez peu spectaculaires, quoique les échanges semblent s’intensifier, paradoxalement depuis la disparition de Georges Frêche (2010). Des deux côtés, des groupes scolaires (créés entre 2013 et 2019) portent le nom de l’autre ville, et c’est le même architecte (français) qui les a dessinées. On apprend assez logiquement le mandarin à l’école Chengdu de la métropole languedocienne. Ce serait un cas unique en France au niveau primaire. Au total, six établissements enseignent le chinois à Montpellier. Une maison de Montpellier existe à Chengdu depuis 2005 – et c’est le seul bureau de représentation à l’étranger de la cité française. La promotion des villes et de leurs cultures ou traditions est assurée par des expositions et des programmes d’enseignement, ainsi que par l’échange annuel d’étudiants à l’université et au sein de la collectivité, grâce au programme de mobilité de la ville de Montpellier.
La médecine étant l’un des points forts traditionnels de l’université de Montpellier, une coopération sur ce plan se développe depuis 2014. Cela concerne en particulier l’endocrinologie et la gériâtrie. Une pharmacie en ligne languedocienne a conforté son développement en 2015 par un accord avec une société de Chengdu. Montpellier-II et une université scientifique de Chengdu ont au même moment permis l’ouverture d’un institut Confucius – dont le puissant réseau mondial est souvent considéré comme une machine de soft power au service des autorités de Pékin.
On peut également mentionner, en 2012, une foire montpelliéraine réunissant producteurs de vin rouge languedocien et d’eaux de vie de céréales (baijiu) ainsi que de thé sichuanais. La promotion conjointe des alcools a été relancée en août 2020 par un accord entre la maison de Montpellier à Chengdu et une association de tourisme chinoise – on envisage même des musées consacrés aux substances éthyliques.
On citera encore l’organisation conjointe, en 2014, de certaines compétitions internationales de sports extrêmes (FISE) – ce dont Chengdu a ensuite tiré parti pour en être à cinq reprises le théâtre. Dès 2014, on estimait à 6 millions d’euros les affaires induites par le jumelage. La visite en 2016 à Montpellier du maire de Chengdu a consacré cette dynamique entre des cités suffisamment différentes pour être complémentaires sur certains plans. Un nouvel accord-cadre élargissait la coopération à l’ensemble de l’agglomération montpelliéraine.
Face à la pandémie de Covid-19 – qui complique les échanges humains -, les deux villes se sont fournies une certaine aide mutuelle : envoi de matériel médical à Chengdu au tout début de la maladie (il y a peu servi), et en sens inverse envoi de masques à partir de mars 2020, quand la France fut à son tour touchée.
Montpellier a inauguré les jumelages franco-chinois.
47 paires de villes ou de régions en ont par la suite bénéficié. L’examen de la chronologie est instructif. Chongqing suivit de près Chengdu, en s’appariant avec Toulouse. Il s’agissait alors de l’autre grande métropole du Sichuan (la municipalité en est désormais indépendante). Cela caractérisait-il à nouveau la volonté de Deng Xiaoping et ses espoirs en la France socialiste, que la forte réaction de Paris face à la violente répression de Tian’anmen en 1989 devait pourtant décevoir ? La présidence Mitterrand fut cependant le moment le plus favorable pour ces jumelages : 28 des 47 eurent lieu entre 1981 et 1995. Dans une certaine continuité, 13 autres eurent lieu sous le gouvernement Jospin, entre 1997 et 2002. Tian’anmen ne ralentit pas le mouvement : huit jumelages furent actés en 1990-91.
Au plan démographique, on constate une certaine disproportion, presque inévitable, le delta entre les deux pays étant d’un facteur vingt. La municipalité autonome de Tianjin et la région Nord-Pas de Calais ont certes des populations assez équivalentes. C’est loin d’être le cas entre la province du Henan et la Saône et Loire ; ou entre la métropole multimillionnaire de Xi’an et Pau ! Le record : Vienne (en Isère) et Shenzhen, environ cent fois plus peuplée ! Mais en 1994 (date du jumelage) la zone franche érigée en métropole concurrente de Hong Kong était encore débutante…
On relève des tentatives de jumelages plus cohérentes, compte tenu de la spatialité ou de l’insertion économique : la région PACA et la province méridionale (à tous les sens du terme) du Guangdong ; la Bretagne et la vaste péninsule du Shandong ; Marseille et Shanghai ; le grand port nordique de Dalian et Le Havre. En moyenne, le partenaire français est une dizaine de fois moins peuplé que le chinois. On compte quelques exceptions : Beijing et l’Ile-de-France, aux populations équivalentes.
Beaucoup de grandes villes françaises ont participé aux jumelages, mais aussi quelques cités moyennes : La Roche-sur-Yon, Bourgoin-Jallieu, Briey… Elles sont réparties sur l’ensemble du territoire. Côté chinois, on ne relève presque pas de jumelages avec des villes ou régions « minoritaires » (en termes ethniques), en dehors de Baotou (Mongolie extérieure) -ville sidérurgique bizarrement jumelée à La Rochelle-, de Sanya, dans l’île subtropicale de Hainan (avec Cannes, c’est assez logique) et Haikou (également à Hainan, province cependant très sinisée), ainsi que de la province théoriquement Zhuang (T’ai de Chine) du Guangxi. Mais rien du côté du Tibet, du Xinjiang, du Qinghai.
Les jumelages jouent beaucoup sur les symboles. Ceux noués entre France et Chine n’échappent pas à la règle. Ils peuvent cependant contribuer utilement aux relations internationales « par en bas », en leur fournissant un cadre facilitateur.
Article de Jean-Louis Margolin
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