Les RVH de Blois ont proposé aux Clionautes de réunir dans le cadre de « l’histoire en débat » une table ronde sur les attentats politiques dans l’histoire.
La table ronde s’attachera d’abord à présenter et commenter les sources relatives à l’assassinat du célèbre dictateur à vie aux ides de mars en 44 avant J.-C., ainsi qu’au complot qui l’a précédé. Puis les intervenants évoqueront les conséquences politiques et religieuses de la fin de la République au Haut-Empire. Le troisième temps analysera la postérité politique et culturelle de l’assassinat, partagée entre l’hommage au héros tragique et la justification du tyrannicide. Plusieurs temps seront évoqués, la Renaissance, les XVIIIe-XIXe siècles et notre époque.
Cécile Dunouhaud, docteure en histoire, membre du Comité éditorial de l’association et référente de Clio-texte a réuni un panel de spécialistes autour du président du Conseil scientifique des RVH, Jean-Noël Jeanneney avec Yannick Clavé, Emmanuel Caquet et Karine Salomé.
CD : Les temps d’incertitude ont suscité des violences jusqu’à celui qui exerce la magistrature suprême. Nous allons le voir avec vous lors de 3 périodes, l’Antiquité romaine, puis la Révolution française et l’Empire, enfin lors de la IIIe République.
EC : César, on le tue puis on le perpétue dès l’empire. C’est le titre que prend Auguste pour lui-même. Comment s’est créé ce mythe ? Le mythe étant par principe renouvelable, j’emploierai ce mot à dessein plutôt que celui de légende, qui suppose une interprétation spécifique (littéralement « ce qui doit être lu »).
1- Les témoignages sont postérieurs. César est une personnalité tout à fait insaisissable : un patricien qui soutient les populares plutôt que les optimares ; un chef de guerre remarquable qui n’a pas vu venir son assassinat ; un écrivain, n’ayant pas écrit sa fin ; et il eut tous les honneurs sauf celui de roi.
2- Est-ce la fin ou le début de quelque chose (le principat) ? Les interprétations, nombreuses, divergent.
3- César disparu, c’est le césarisme qui prend le relais. As-t-il légué plus sa mort que son existence ?
Enfin, on remarque que dans les arts, César est présent mais peu dans sa mort, pourtant très cinématographique !
YC : Voulait-il ou pas rétablir la monarchie ? Les conséquences de son assassinat sont immenses : la fin de la République, les guerres civiles, une dimension religieuse inédite (quelques semaines avant son assassinat il est fait divus (près des dieux), par le Sénat, base d’un culte impérial Yannick Clavé, « Les religions du monde romain – Du VIIIe siècle av. J.-C. au VIIIe siècle apr. J.-C. », Armand Colin, juin 2023, 352 p., 31 € qui va créer à Rome un contact spécifique entre les vivants et les morts.
KS : le XIXe est un siècle d’attentats notamment lors de la IIIe République. Les modalités d’action diverses rejoignent l’idée de se débarrasser des tyrans. Pourtant, leurs auteurs sont rares à l’évoquer. Seul, Louis Halibeau le dira pour son attentat contre Louis-Philippe et Maris Bernès également. Le 3ème, Orsini, veut porter atteinte au despote (Napoléon III).
Il ne s’agit pas d’un droit naturel mais par la manière dont le tyran exerce le pouvoir. Halibeau invoque l’impuissance du peuple qu’il accuse.
CD : Des intentions pas toujours très claires ?
KS : Le recours à une bombe ou une machine infernale doit entrainer une révolution en France et en Italie pour faire l’unité italienne. L’idée du tyrannicide est donc réaménagée…
JNJ : le 22 août 1962, la voiture de De Gaulle est atteinte de 60 balles tirées sur durant 60 secondes. La part du hasard est ici manifeste. Si De Gaulle avait été tué, nous n’aurions pas d’élections présidentielles.
La défense de Bastien Thierry cite la doctrine religieuse de l’Eglise et St Thomas d’Aquin – qui aurait approuvé le tyrannicide – et François Mauriac cite Pascal pour s’y inscrire en faux. Les avocats, mal informés, auraient dû citer les fatwas catholiques contre Guillaume d’Orange…
On remarque que pour chacun d’entre-nous la convocation des textes du passé, surtout tronçonnés, est prisée par les tyrannicides.
EC : César avait pu être nommé dictature à vie, il portait la toge pourpre et la couronne de laurier en or, symbole de ses triomphes militaires. On lui a même accordé le mois de Juillet (de sa famille, les Iullii), et on lui reconnaissait une bigamie officielle avec Cléopâtre. Alors, comment après tant d’honneurs justifier l’assassinat ?
Dès 45, quelques indices :
Hypothèse 1 : il avait élargi le pomoerium ; or le dernier à l’avoir fait était le roi Servus Tullius.
Hypothèse 2 : on sait par Cicéron que la République a de forts partisans revendiquant les libertas , certes, mais César avait l’approbation du Sénat et du peuple. D’où des assassins sans projet, sinon celui du dépit. Et ce qui a disparu après sa mort, c’est la liberté. Projet involontaire ?
YC : La nature ayant horreur du vide : les « césaricides » (Brutus et Cassius) qui après une amnistie sont forcés de fuir en Orient avant d’être éliminés. Et leurs vainqueurs, les césariens Antoine et Octave se combattront pour le pouvoir laissé vacant.
KS : il n’y a par contre pas de vide politique au XIXe car les attentats échouent – sauf pour celui de Sadi Carnot qui débouche sur une nouvelle élection – et leur absence de projet est flagrant.
JNJ : on a beaucoup su de Bastien Thierry et de son comparse. À peine De Gaulle disparu, le peuple tout à coup éclairé se soulèverait. La comparaison était faite avec Stauffenberg voulant tuer Hitler.
EC : on parle beaucoup du projet des assassins. On étudie Plutarque et Suétone qui commence sa Vie des 12 Césars par César qui n’était pas Princeps Caesarus.
On découvre dans le film de Mankievicz consacré à Cléopâtre, Rex Harrison / Jules César affiche une mélancolie (il était peut-être bipolaire) qui lui faisait percevoir sa fin après être monté si haut. César confie beaucoup à Antoine, puis à Octave – qui peut-être était plus conforme au projet de César – de perdre la vie mais de gagner le césarisme…
YC : Le peuple se place du côté de César le jour de ses funérailles. C’est le peuple qui brûle le bûcher mortuaire. Antoine fait un discours très offensif d’appel au peuple. La comète qui brille 7 jours dans le ciel représente l’âme de César (divus) qui rejoint les dieux.
EC : La gens Julia descendait de Vénus.
YC : Tous les imperatoresSous la République romaine, dans la littérature et l’épigraphie latine, un imperator est un magistrat titulaire de l’imperium, pouvoir suprême de commandement militaire et civil. se targuent d’une origine divine, ainsi Pompée et Crassus.
JNJ : Thomas d’Aquin parle d’une vieille dame de Syracuse qui s’oppose à l’assassinat du tyran : « – C’est le 3e et à chaque fois c’est pire ». Une méditation pour les tyrans du Moyen-Orient d’aujourd’hui…
KS : Les autorités craignent les conséquences des attentats et mènent de grandes enquêtes pour connaître l’état de l’opinion.
JNJ : Le pouvoir en tire profit, Napoléon 1er, Louis-Philippe et De Gaulle.
EC : Et le côté spectaculaire de la mort de César ! Telle une scène de théâtre bien avant Shakespeare, ces 23 coups symboliques devant la statue de Pompée, c’est bien joué !
Toute sa vie, César pour être César s’appuie sur le peuple (par un plébiscite permanent), sur l’armée (qui rend la loi légale), mais aussi sur le sens du spectacle dont il est le grand ordonnateur. À titre de comparaison, il faut chercher du côté de Mussolini, ou des 2 Napoléon.
JNJ : Ce qui reste dans l’opinion : Yvonne, qui demande à son mari si les « poulets » n’ont rien…
KS : Le président Sadi Carnot hérite finalement d’une dignité qu’il n’avait pas de son vivant. Ses funérailles permettent de l’établir. L’attentat fomenté par Fieschi contre Louis-Philippe détruit la hiérarchie des gens et des corpsSALOMÉ Karine. Les corps ravagés des machines infernales. Les attentats politiques et les atteintes au corps au XIXe siècle In : Corps et machines à l’âge industriel [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2011.
YC : Auguste, pendant son règne, est nommé « fils du divin ». Pendant ses funérailles a lieu la première apothéose impériale : ‘l’âme d’Auguste, emportée par un aigle dans le ciel ». Le Sénat le consacre divus à son tour.
EC : Ce qui me frappe ensuite c’est le nombre d’assassinats d’empereurs qui suit. Mais les autres n’étaient guère à la hauteur (Néron, Caligula). L’empereur Claude, que Sénèque détestait, lui dédie pour sa mort violente une apothéose en courge…
YC : à la mort de chaque empereur, le sénat décide s’il mérite d’être « divus ». On a dans certains cas « difficiles » le silence poli, voire la damnation du mauvais.
Questions du public
Q1 : Devons-nous la popularité de l’assassinat de César à Brutus ?
YC : La source est apocryphe. Brutus doit sa carrière à César.
EC : De fait cela nous renvoie au mythe et c’est cela que nous retenons. Quel habile propagandiste !
Q2 : Ils sont mauvais ces auteurs !
JNJ : Des pied-nickelés, néanmoins extrêmement dangereux.
EC : le plan a fonctionné.
JNJ : le hasard reste une donnée essentielle dans les échecs de ces attentats.
Q3 : Dans quelle mesure les meurtriers ont agi par idéalisme ?
YC : Peu probable. L’idéal républicain était mort avant César.
KS : C’est le cas pour les anarchistes héroïsés, mais à rebours certains n’avaient aucun idéal.