La table ronde « néolithique, aube de l’humanité, aube du travail ? » est introduite par Rachid AzzouzRachid Azzouz remplace Olivier Pétré-Grenouilleau, organisateur de cette table ronde, absent pour raison de santé., inspecteur général de l’Education, du Sport et de la Recherche.
Elle comportera 3 parties
- Ce qui change au néolithique
- Le néolithique, progrès ou chute ?
- Les pratiques de l’époque
Elle réunit :
- Fanny Bocquentin, anthropologue biologiste, spécialiste des pratiques funéraires
- Christophe Darmangeat, économiste et anthropologue et rédacteur du blog «La hutte des classes »
- Jean-Paul Demoule, professeur émérite de protohistoire européenne à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France
«Le Néolithique aux rendez vous de l’histoire de Blois » avec Jean-Paul Demoule, par Geoffrey Maréchal
Ce qui change : peut-on parler de révolution néolithique ?
Avec le néolithique, Homo Sapiens conquiert la terre
JPD : Il y a 12 000 ans, il y a environ 1 à 2 M d’Homo Sapiens (préhistoriens apparus il y a 400 000 ans) organisés en groupes de 30-40 personnes. 12 000 ans plus tard, leurs descendants sont plus de 7MM…
L’évolution vers une complexité psychique date d’environ 40 000 ans et correspond à la domestication d’animaux (loups en chiens) et les premières céréales, donc bien avant le néolithique. La fin de la dernière glaciation et les premières sédentarisations (-12 000) contribuent à l’explosion de la démographie. Les chasseurs-cueilleurs sont alors repoussés aux marges.
Peut-on dire que le travail apparaît avec le néolithique ?
FB : Le travail (au sens d’une activité au service du groupe et permettant sa perennité) est antérieur au néolithique. Il est alors essentiellement familial ou tribal. De plus, il y a incontestablement sédentarisation de chasseurs-cueilleurs AVANT l’agriculture. Les premières traces datent d’il y a 15 000 ans, d’abord au Proche-Orient, avec des constructions faites pour durer.
C’est vrai aussi pour des structures de stockage avec des fosses chaulées qui permettent la conservation de choses plus pérennes. Vraisemblablement des céréales sauvages. Apparaissent des faucilles, des outils de broyage.
Limites, lenteurs, ruptures ?
CD : La révolution a bien eu lieu et de façon rapide : le visage des sociétés se transforme en quelques milliers d’années. Cela dit, c’est quand même très long à l’échelle du raisonnement historique et a fortiori de la vie humaine.
Mais ce n’est pas un mouvement uniforme : on a des différences spatiales, selon l’agriculture, la sédentarité. Au Proche-Orient, ça a pris 2 000 ans, la poterie, la domestication.
D’autre part, on a des cas de sédentarité des populations de chasseurs-cueilleurs qui perdurent longtemps après le néolithique. Ainsi, l’exemple des Amérindiens de la côte nord-ouest du Pacifique : dans la partie nord, on pêche et on fait sécher les saumons dans de grandes demeures. On sèche pour se nourrir l’hiver mais aussi on exporte. Ce qui produit des inégalités avec l’émergence de la richesse, induisant aristocratie et esclaves.
FB : l’inhumation des morts exprime des mises en scène ritualisées difficiles à interpréter, même si la question d’une hiérarchie sociale ne fait pas vraiment débat. C’est la cas célèbre de la sépulture de Sungir (Russie, -30 000).
Si la révolution est bien réelle, il n’y a pas de révolutionnaires ! Nos ancêtres avaient-ils conscience d’un changement majeur ? La domestication progressive des plantes – sur environ 2 millénaires – apportent sur le long terme de nouvelles propriétés nutritives absolument pas prévues. Et qui ont une influence décisive sur leur psychisme…
JPD : De -12 000 à nos ère, la culture Jōmon au Japon est un exemple à rebours de l’évolution de notre « Croissant fertile » d’une société de chasseurs-cueilleurs « néolithique non-agraire », avec des maisons de grande taille, un artisanat extraordinairement brillant. Seule une petite horticulture d’appoint pourrait la rapprocher d’une société néolithique agraire.
Il n’y a donc pas de passage ou de transition homogènes. Néanmoins, il est avéré que l’agriculture se généralise dans les derniers millénaires de notre ère.
Deux grands récits antagonistes : progrès ou chute ?
La malédiction de la Genèse
FB : Commençons par rappeler que le travail est vu par la Genèse comme une malédiction. Dieu punit le premier couple humain et les chasse du paradis.
JPD : Le paléolithique serait donc l’âge d’or biblique ? Homo Sapiens aurait d’abord vécu dans une société d’abondance avec très peu de temps de travail ?
De fait, notre époque d’inquiétude écologique considère le néolithique comme une période négative : maladies liées aux taches répétitives, zoonoses, etc. Tout ceci a d’ailleurs été corroboré sur les squelettes.
On retourne donc au thème de la chute.
CD : Ce qui en dit presque plus long sur les sociétés qui produisent le jugement. Ainsi, à la fin du XIXe, on pense en société d’avenir et on y voit un processus cumulatif vers le haut ; aujourd’hui on regarde dans le rétroviseur.
Oui, les sociétés de chasseurs-cueilleurs avaient une vie sociale et spirituelle. Et ce, sans oublier que nous connaissons très mal leur quotidien. Les Bushmen ou maintenant San sont-ils un exemple ? Pour eux, il y a travail, vraisemblablement 35 h/semaine, selon les ethnologues, qui arrivent dans des sociétés passablement « abîmées ». Et rien ne dit qu’on ait travaillé plus dans les sociétés sédentarisées.
Sédentarité, mère de tous les maux ?
CD : La sédentarité nous a amené la guerre ? On a longtemps glosé sur la logique « pas de richesse, de la place = pas de guerre ». Or en Australie et en Nouvelle-Guinée, les Aborigènes se sont livrés à des guerres importantes. Nous avons retrouvé des armes spécifiques pour la guerre (photo).
Même chose pour l’oppression des femmes qui n’aurait pas eu lieu au paléolithique…
FB : Paradoxalement, si nous avons pu mettre en évidence la diminution de la santé avec le néolithique, on constate une très forte augmentation démographique. C’est donc un progrès puisque nous somme tous ici dans cette salle ! La relation Homme / Nature a changé avec la prise de pouvoir sur les autres êtres vivants, animaux et plantes comprises.
N’accusons pas trop vite nos ancêtres néolithiques !
Travailler au néolithique
Moins de déplacements, plus de sédentarité
FB : Je m’intéresse aux marqueurs osseux en tant qu’anthropologue-biologiste. Avec le néolithique, les sollicitations les plus importantes concernent les membres supérieurs. Après, dire à quoi ça correspond comme travail est difficile. Sur certaines mâchoires déformées par le travail on connait l’origine. C’est lié à la mastication de fibres végétales.
De nouvelles relation socio-économiques
JPD : Nourrir de plus en plus de monde dans un environnement fini, oblige à des gains de productivité (progrès techniques, sélection et amélioration des sols). On passe des sols fertiles (loess) aux araires pour travailler des sols pauvres. Les fameuses zones lacustres suisses ou anglaises sont plus des refuges de population ayant besoin de ressources de type paléolithique pour compléter une agriculture trop pauvre.
Tout se transforme dans ce cadre avec des productions massives d’outils (des millions) donc bien plus que ce qui était nécessaire pour la communauté qui les développaient. Ainsi, les haches en jadéite alpine de la région du Mont Viso, avaient un rôle d’objet à la fois décoratif et symbole de prestige. C’est pour ces raisons qu’elles ont été massivement exportées dans toute l’Europe.
CD : On a longtemps développé les 3 stades : sauvagerie, barbarie, civilisation. Or, construire des raisonnements sur des sociétés que l’on connait mal…
Exemple : si on a des surplus, c’est qu’on invente l’inégalité. En réalité tout cela passe assez mal. Les humains font certes leur propre histoire, mais sans qu’ils la fassent consciemment.
Les sociétés néolithiques sont tombées dans le « piège malthusien ». Pendant des millénaires, le progrès technique a surtout réussi à augmenter le nombre de pauvres… Selon le grand anthropologue Alain Testart, les sociétés néolithiques ont inventé la richesse, les rapports humains passant par l’acquisition des droits sur des biens. Il est donc bien difficile de le prouver pour les sociétés paléolithiques.
Mais quand et comment les rapports sociaux basculent vers la richesse ?
CD : Les biens matériels servent pour se marier. L’Homme verse à sa belle-famille les biens (soit le contraire de la dot). En justice, on paie une compensation à un préjudice. L’argent ou la possession de bien non-utiles directement permet d’avoir un rôle social.
FB : Le travail spécialisé des lames de silex est très ancien. Quand apparaît le superflu et le symbolique ?
JPD : Le pendant des biens matériels, c’est ce qu’a dit La Boétie. Et le tyran abuse de la religion pour mal faire. Les deux ont sans doute dû aller de pair.
En conclusion
JPD : Les conclusions des scientifiques depuis le début des recherches archéologiques sont corrélées au point où on en est dans les sociétés. Des Lumières à la fin des Trente Glorieuses, on a cru à un progrès humain globalement linéaire. Cela dit, Homo Sapiens est extrêmement adaptatif et devrait s’en sortir (certes avec quelque dizaines de millions de morts, du fait de la catastrophe climatique à venir)…
CD : Le néolithique a permis de créer des sociétés sociales mondiales. L’humanité est devenue une. Avant, c’étaient des petits groupes qui se caractérisent comme humains par rapport aux autres. Ce que l’on retrouve chez les peuples premiers actuels (être « Inuit » c’est être un Homme, par rapport aux « Autres »).
FB : La société néolithique nous a donné la valeur travail, et a pu s’épanouir, malgré de nombreuses vicissitudes historiques.
Merci à Oliver Grenouilleau, qui a préparé cette table ronde.
Questions du public
Avons-nous évolué biologiquement en tant qu’individus ?
JPD : Aujourd’hui, les nutritionnistes nous recommandent un régime plus « paléolithique », or la nature n’est plus. Elle est quasi entièrement humanisée.
Des sociétés sont-elles revenues en arrière ?
FB : Dès qu’un certain cap est franchi, c’est irréversible.
CD : Les indiens des plaines restent sur la chasse-cueillette tout en cultivant. Il s’agit aussi de formes hybrides.
Les terres étaient-elles exploitées en commun ? Qui les possédait ? (Question d’un 6e)
JPD : Le travail a été communautaire au départ et la propriété individuelle et venue ensuite avec le commerce des excédents. Or on a calculé que les rendements étaient faibles, de l’ordre de 6 quintaux à l’ha.
CD : On a des exemple de propriété individuelle, le temps qu’on la travaille. Ensuite, il y a retour à la communauté.
JPD : les colons européens arrivés en Australie à la fin du 18e siècle parlaient de « Terra Nullus » pour s’accaparer les terres aborigènes.
FB : Le culte des ancêtres a longtemps permis de maintenir le communautarisme des biens.
D’autres articles sur le thème travail et néolithique aux RVH de Blois 2021 :
«Femmes préhistoriques : aux origines du genre » Rendez-vous de l’Histoire de Blois 2021. Vendredi 8 oct. 2021 de 18:00 à 19:30 Campus de la CCI – Amphi Vert par Christiane Peyronnard
Un compte-rendu des rencontres archéologiques de Saint-Dizier, toujours par Christiane :
«Les principales avancées de la paléogénétique depuis 30 ans » Les printemps de l’archéologie 27 au 31 mars à Saint-Dizier Avec Marie-Claude Marsolier-Kergoat