Le Stanford History Education Group (SHEG), refondu dans le DIG (Digital Inquiry Group), propose plus d’une centaine de contenus pédagogiques en histoire et éducation aux médias totalement gratuits. Le programme a trois versants :

  • « Reading like a historian » qui propose des analyses de documents,
  •  « Beyond the bubble sur les évaluations de compétences,
  • et « Civic Online reasoning » sur l’évaluation des contenus en ligne et la littératie numérique.

Tout est rédigé en anglais mais certains contenus sont traduits en espagnol. Rien n’empêche un enseignant français de s’en emparer : il suffit de s’inscrire, de traduire les textes et de remanier éventuellement certains passages.

Les résultats de cette méthode sont salués outre-Atlantique : le SHEG a reçu le prix 2020 de l’Unesco (Alliance pour l’éducation aux médias et à l’information).

Les Clionautes ont pris contact !

Qu’est-ce que le Stanford History Education Group ?

Fondé en 2002, le Stanford History Education Group (SHEG) est un collectif de l’université Stanford dirigé par Sam Wineburg, psychologue de l’éducation et titulaire de la chaire Margaret Jacks d’éducation. Son objectif pédagogique principal consiste à réduire le fossé entre le travail critique des historiens professionnels et le travail scolaire. Le collectif s’est séparé juridiquement de l’université en janvier 2024 pour fonder une ONG indépendante, le DIG (Digital Inquiry Group), mais qui reste néanmoins partenaire de l’université. L’université accepte par exemple l’usage gratuit de son fonds documentaire pour les productions du DIG.

Selon une enquête menée en 2024 par l’American Historical Association, les activités du DIG sont parmi les plus utilisées en cours d’histoire, et cela dans une grande majorité d’États américains. Une telle diffusion est remarquable dans un pays aussi fracturé politiquement : le DIG met d’ailleurs régulièrement en avant la dimension « non-partisane » de son approche. La presse américaine ne tarit pas d’éloges non plus sur les effets de cette méthode éducative (cf. article du Los Angeles Times de 2014). Le programme a été testé depuis 2009 auprès de tous les lycées de Los Angeles et les professeurs ont été formés.

Les ressources du DIG figurent sur les listes recommandées par 42 ministères de l’Éducation des États (source : site du DIG)

Le grand point fort de la démarche du DIG est donc de faire produire par l’enseignement supérieur un questionnement sur des sources primaires et secondaires directement exploitables en classe. Nous sommes plutôt habitués à ce que l’effort universitaire vers le secondaire porte sur la formation des enseignants, qui eux gardent  la main sur la didactique. Autrement dit, les professeurs du secondaire disposent d’excellentes actualisations scientifiques sur quantité de sujets (articles de l’EHNE ou de Géoconfluences par exemple), mais ils ne trouveront pas d’activités de même nature que celles du DIG. C’est à eux de les construire ou de reprendre celles du manuel. C’est bien dommage car nous ne manquons pas de chapitres qui mériteraient un traitement de ce nouveau type.

« Lire comme un historien »

Le collectif est parti du constat que la mémorisation pure et simple de l’histoire n’offrait plus de résultats satisfaisants. À l’époque des réseaux sociaux, des batailles d’opinion et des fake news, les outils de lecture de l’historien présentent une réelle utilité civique mais encore faut-il qu’ils soient maîtrisés par les élèves. Le collectif entend donc recentrer l’enseignement de l’histoire sur la transmission concrète de ces outils qui seront ensuite d’une grande aide pour l’éducation aux médias.

Ce programme enseigne aux élèves comment explorer des questions historiques en utilisant des stratégies de lecture telles que la recherche de sources, la contextualisation, la comparaison et la lecture attentive. Au lieu de mémoriser des faits historiques, les élèves évaluent la fiabilité de multiples points de vue sur des questions historiques et apprennent à formuler des affirmations historiques étayées par des preuves documentaires.

Définition du projet sur le site internet, traduit en français et consulté le 16/03/2025

Précisons d’ailleurs que le SHEG a aussi lancé une playlist sur « le raisonnement civique en ligne » adressée aux adolescents.

Un exemple de leçon : La bataille des Thermopyles en 6ème

Chaque leçon s’organise autour d’une question historique centrale et propose un corpus de documents. Pour un cours sur les guerres médiques, le SHEG s’interroge sur le nombre de Grecs réellement engagés dans la bataille

Pour y répondre, le plan de cours suivant est proposé :

  • une introduction à la bataille (avec diaporama)
  • une étude de quatre documents d’historiens autour de la bataille des Thermopyles : deux documents antiques (Hérodote, Ctesias) et deux documents contemporains (Ernle Bradford et Rupert Matthews). L’objectif est de déterminer les éléments qui permettent de comparer/contester les chiffres fournis, de distinguer les sources primaires/secondaires utilisées par les uns et par les autres, de mesurer l’état des connaissances de chaque historien.
  • une conclusion qui répond à la question

Un large choix d’activités sur toutes les périodes

Les activités s’étalent de l’Antiquité à nos jours. Comme nous sommes aux États-Unis, il va de soi que l’histoire américaine est surreprésentée : même ce qui relève de l’histoire du monde n’est souvent qu’une « histoire des États-Unis dans le monde ».

Toutefois, outre que le professeur de DNL pourra y faire son beurre (plusieurs propositions sur la révolution américaine par exemple), l’enseignant a accès à quantité de pièces adaptables à nos programmes français : la démocratie athénienne, la république romaine, Auguste, les croisades, l’empire Inca, la peste noire, Martin Luther, Galilée New Deal, la Seconde Guerre mondiale, la bombe atomique, la sécurité sociale, la guerre froide, John Kennedy, le coup d’État contre Salvador Allende, la guerre du Vietnam, le protocole de Kyoto, etc.

Les leçons qui ont pu être consultées montrent en effet un questionnement souvent intéressant : la leçon sur le coup d’État de 1973 au Chili part de l’article de Wikipédia et interroge la réalité de la responsabilité américaine dans la chute d’Allende, celle sur la propagande des nazis entend comparer les différents médias employés et leurs effets spécifiques dans la formation de l’opinion publique, celle sur Martin Luther montre combien les positions d’une seule personne peuvent varier au cours d’une vie sur un même sujet et sur la difficulté d’en mesurer la portée, etc. Adaptés surtout aux collégiens, ces exercices permettent d’aller plus loin que le simple relevé d’information et de renforcer la démarche critique bien plus nettement qu’actuellement. Rien que pour cela, ces exercices méritent le détour.

Certaines leçons sont toutefois plus conventionnelles : sur la démocratie athénienne ou l’expansion du monde musulman par exemple, le questionnement est comparable à ce qui est déjà pratiqué dans les manuels. L’originalité viendra alors des documents en appui, avec ce balancement entre sources du passé et historiens d’aujourd’hui.

La nécessité d’une transposition réfléchie dans nos classes

Chaque activité paraît pouvoir tenir en moins d’une heure mais ce n’est pas une règle universelle car certains documents sont parfois longs et peuvent sans doute poser problème aux petits lecteurs. Les démarches valorisent le travail de groupe, une écriture limitée dans le cahier, le travail sur des feuilles photocopiées avec espace inclus pour les questions. Pour notre usage en France, on est davantage dans une activité complémentaire qui s’articule à la trame d’un cours. Il faudrait renforcer le questionnement pour le lycée. Par ailleurs, la place finalement réduite de l’iconographie, même dans le diaporama de présentation, peut rendre l’activité un peu austère. Pour toutes ces raisons, la méthode ne paraît pas pouvoir être appliquée systématiquement à chaque heure de cours, ce qui d’ailleurs est vrai pour toutes les méthodes…

D’un point de vue matériel, tout est fourni : les documents d’appui, les questionnements, les fiches pour les élèves, le plan de cours pour le professeur (très explicite). Attention toutefois à certains exercices qui emploient des vidéos aujourd’hui en erreur 404 (ex.: la crise de Cuba).

Un enseignant français ne peut donc pas tout reprendre in extenso sans un regard préalable. Il faut certes traduire mais il y a aussi parfois le décalage culturel et historiographique dans l’approche d’un événement.  Cet aspect n’est pas rédhibitoire, il permet des échanges intéressants avec les élèves sur la grande variabilité des « questions vives » d’un pays à l’autre. Pour avoir testé l’activité sur les débuts de la guerre du Vietnam en Terminale tronc commun, les élèves n’ont pas perçu le caractère brûlant de la préméditation ou non de l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1964 : ce fut l’occasion d’une réflexion sur la communication politique en temps de guerre, sur la responsabilité de l’homme politique et de son entourage immédiat, sur les autres exemples historiques où les buts de guerre ont été remis en cause (guerre du Golfe, guerre d’Irak de 2003…).

Les évaluations

En 2012, le SHEG ​​lance « Beyond the Bubble », une collection d’évaluations historiques s’appuyant sur les documents originaux de la Bibliothèque du Congrès. On en compte aujourd’hui plus de 140 et qui évaluent les compétences historiques des élèves plutôt que la mémorisation.

Dix évaluations phares sont disponibles, chacune signalée par un ruban. Ces évaluations phares (par exemple, The First Thanksgiving ) offrent des fonctionnalités étendues, notamment des exemples de réponses annotées des élèves et des vidéos « Going Deeper » qui fournissent des informations sur les évaluations et des idées d’utilisation. Les autres évaluations sont des évaluations « alternatives » (par exemple, Napoleon’s Retreat ). Chaque évaluation alternative présente des documents différents de la Bibliothèque du Congrès, mais adopte la même structure que l’évaluation phare ». 

Par exemple, l’évaluation sur la retraite de Napoléon mesure la capacité des élèves à identifier la source, la date et la fiabilité d’un document : 

Title: “The burning of Moscow, September 14, 1812; the retreat of Napoleon” By: American Fine Art Company Date: 1894
Document complémentaire pour le professeur

Les formats restent très courts. L’évaluation consultée sur l’échec de l’expédition napoléonienne en Russie réclame nettement moins d’une heure de travail aux élèves. En somme, si on les convertit dans nos propres devoirs surveillés, cela ne devient qu’un exercice de 15 minutes mais un exercice intéressant et peu fréquent de pesée historique d’un document.

En guise de conclusion

Les Clionautes ont toujours défendu la variété dans l’approche pédagogique, pourvu que les élèves retiennent quelque chose, que le programme soit couvert et qu’aucune autorité ne remette en cause la liberté pédagogique des enseignants. Par principe, toute nouvelle proposition est accueillie positivement. Sur les intentions, si nous n’avons pas renoncé de ce côté-ci de l’Atlantique, à évaluer la mémorisation, nous partageons la réflexion autour du document et la nécessité de transmettre des méthodes d’analyse critique aux élèves. Nous sommes pleinement convaincus de la contribution de notre discipline à l’éducation civique et à l’éducation aux médias. C’est sur cette base que nous avons pu échanger cette semaine avec le directeur exécutif du DIG, Joel Breakstone. Notre objectif est double : transposer ce qui peut l’être dans nos pratiques pédagogiques et proposer de nouveaux contenus sur la même base.