Salem Tlemsani est enseignant dans un lycée professionnel de la région toulousaine, chargé de mission à la cinémathèque de Toulouse, et intervenant en formation continue. Doctorant à la Sorbonne, son sujet de thèse est centré sur la place du cinéma dans l’enseignement depuis l’avènement du magnétoscope. Nous avons assisté à une conférence d’une heure dense et efficace d’un enseignant chevronné et qui maîtrise parfaitement son sujet.
1. Leni Riefenstahl une cinéaste au service du Nazisme
Leni Riefensthal commence sa carrière comme actrice dans les années 20. Au début des années 30, elle décide de passer à la réalisation. Hitler ,comme Mussolini et Staline, était passionné par le cinéma. Comme eux et son ministre de la propagande Goebbels, il saisit l’importance de ce nouveau média, et sollicite Leni Riefenstahl pour qui il avait une réelle admiration en tant qu’actrice et réalisatrice. Placée sous la protection personnelle d’Hitler, des moyens exceptionnels et une indépendance totale lui étant accordés (Goebbels n’avait aucun droit sur elle), elle accepte alors de mette son talent au service du régime nazi et devient la cinéaste officielle du Troisième Reich.
Salem Tlemsani rappelle qu’en 1933 Hitler avait demandé à Leni de filmer le congrès de Nuremberg de 1933 dans le but de s’entraîner et de réaliser celui de l’année suivante.
Pour cette commande, des moyens techniques et humains considérables lui sont attribués pour mettre en scène, valoriser et magnifier la grand-messe néo-païenne souhaitée par Hitler. Sont mis à sa disposition 170 techniciens dont 18 opérateurs, 4 équipes de son et 30 caméras! Leni Riefenstahl obtient la possibilité d’aménager le stade à sa convenance et dispose d’un dirigeable et d’ une nacelle. Elle a le loisir de retourner certains plans en studios: c’est ainsi que Rudolf Hess sera convoqué pour «rejouer» la scène du discours d’ouverture. La réalisatrice obtient donc des moyens dignes d’un blockbuster hollywoodien avant l’heure mais au service de la propagande nazie. Le résultat final, intitulé Le triomphe de la volonté sort l’année suivante.
2. Comment exploiter pédagogiquement ce film en classe?
Le triomphe de la volonté a servi de «matière première» en tant qu’images d’archives à des documentaires fréquemment exploités en classe: le début du film de Frédéric Rossif, De Nuremberg à Nuremberg réalisé en 1987 et la fin du controversé Apocalypse Hitler réalisé par Daniel Costelle et Isabelle Clarke en 2011. Au final, les extraits du film sont utilisés pour produire un autre récit historique sur la Seconde Guerre mondiale. En effet, dans le cas de Frédéric Rossif, l’utilisation des extraits du film relève d’une migration d’images introduisant à l’histoire globale de la Seconde Guerre mondiale, et du souhait assumé par le réalisateur de donner des représentations mentales immédiates au public. Dans le cas d’Apocalypse Hitler, les concepteurs vont plus loin puisqu’ils ils font subir aux images de Leni Riefenstahl des recadrages, un remontage, une colorisation et même une nouvelle sonorisation en retravaillant la musique et la voix d’Hitler . Cependant, le film originel est peu connu et fort peu étudié en lui-même.
L’originalité de la démarche pédagogique de Salem Tlemsani est de proposer aux élèves d’étudier des extraits du Triomphe de la volonté pour eux-même, comme on le fait pour n’importe quel document historique, soit un retour aux sources originelles de l’histoire et de la propagande nazie telle qu’Hitler la concevait et que Leni Riefenstahl réalisa.
Par ce choix didactique , l’objectif est de cerner et de définir la notion de propagande. Les extraits choisis doivent permettre aux élèves de comprendre qu’il s’agit d’un véritable film, scénarisé à l’extrême au moyen de techniques novatrices (travelling, plongée, contre-plongée, vues aériennes …) dont la fonction est de faire passer un message: donner un sens à l’Histoire telle que les nazis la conçoivent.
Par la magie des images, Leni Riefenstahl insère le nazisme dans le cours de l’histoire allemande contemporaine et magnifie la renaissance de l’Allemagne après une parenthèse de malheurs et de décadences ouverte le 11 novembre 1918 et fermée le 30 janvier 1933 avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir. L’analyse filmique de la séquence remarquable qui ouvre le film doit permettre aux élèves de repérer les multiples procédés cinématographiques employés pour véhiculer le message de «l’homme providentiel descendant des cieux» sur fond de musique wagnérienne. Conçu pour toucher le cœur du spectateur, elle est censée ,dès les premières minutes, susciter l’adhésion sincère et total du peuple allemand au régime nazi et à son chef.
Le deuxième extrait analysé par Salem Tlemsani avec ses élèves se situe au cœur du film , puisqu’il s’agit de la cérémonie d’hommage rendu par Hitler (accompagné par les chefs respectifs de la SS et de la SA) à la mémoire des nazis tombés lors du Putsch de la brasserie de novembre 1923 et qui précède le grand discours d’Hitler, devant 150000 nazis réunis dans un ordre impeccable.
Cet extrait particulièrement riche permet de répérer les procédés filmiques et de mise en scène très élaborés mis au service de l’esthétique nazie par Leni Riefenstahl. Cela permet aux élèves de s’approprier un certain nombre de notions et un vocabulaire technique ( travelling, contre-plongée , place de la caméra etc…), mais surtout permet une mise à distance du film de propagande , en démontrant qu’il s’agit bien de cinéma à grand spectacle!
3. La réception du film en France dans les années 30
Salem Tlemsani propose ensuite de confronter le document cinématographique avec d’autres sources écrites, par le biais d’extraits de la très populaire revue de critiques de cinéma, Cinémonde. On y découvre que dans les années 30, les journalistes de la revue étaient pleinement conscients de l’usage à des fins de propagande du cinéma, non seulement dans le film de Leni Riefenstahl bien sûr, mais aussi de manière plus subliminale dans les films de fiction produits par Hollywood. Ils conseillent ainsi aux spectateurs d’exercer leur esprit critique, mais paradoxalement semble déplorer que le cinéma français n’en fasse pas le même usage, pour assurer la promotion de l’oeuvre coloniale française, par exemple!
Selon Salem Tlemsani,, le triomphe de la volonté, que la revue Cinémonde de mars 36 jugeait long et ennuyeux, a eu peu d’écho en France, avec environ 8000 spectateurs avant la guerre. Il est vrai que le film s’adressait avant tout au public allemand.
4. Cinéma et propagande politique dans la France actuelle.
En conclusion, Salem Tlemsani propose à ses élèves de réfléchir à l’usage éventuel que font les politiques contemporains de toutes ces techniques de propagande de la période de l’entre-deux guerres. Il rappelle qu’après la guerre, le film de propagande a connu une longue éclipse, car trop associé aux régimes totalitaires. Cependant, l’apparition des chaînes d’information en continu qui privilégient le direct a, selon lui, remis au goût du jour le «cinéma» comme outil de communication politique. En visionnant un extrait d’un des grands meetings de la campagne présidentielle de 2012 ou de 2017, les élèves sont incités à retrouver les procédés de mise en scène, de «mise en spectacle» de la politique.