Xavier BERNIER est géographe, professeur d’Université à la Sorbonne et auteur de Géographie et Aménagement, Atlas des montagnes (Editions Autrement) en 2024 avec Christophe Gauchon. Il propose ici un café géo ludique, participatif et ingénieux, aisément utilisable en classe de 2de en 30 minutes divisés en 5 groupes pour démarrer une étude de cas sur les Alpes dans le chapitre de Géographie « Valoriser et ménager les milieux ». A essayer avec les élèves !

En guise d’accroche, il revient sur une expression préconçue et qui l’agace : « J’ai fait les Vosges », « J’ai fait les Alpes », qu’on peut déclamer après une de nos visites touristiques de 3 jours, quelque part. Or le géographe du tourisme, Mathis Stock, soutient que cette expression n’est pas si vide de sens puisqu’elle renvoie à une expérience et que parfois, avec un verbe, une chose, on peut accéder au « tout ».

Ce qui lui permet d’aboutir à la présentation de son idée de « jeu » : Le public doit tirer dans une enveloppe au hasard 5 verbes associés à une image du Massif alpin à chaque fois : Traverser, boire et manger, délimiter, protéger, contempler. Le but final : arriver à mieux comprendre où pourrait commencer et finir les Alpes selon notre point de vue et « faire les Alpes » ensemble !

TRAVERSER

Messe d'inauguration dans le tunnel de base du Gothard. Ici lors d'une cérémonie en l'honneur de sainte Barbe, la patronne des mineurs en 2016. KEYSTONE/MARTIN RUETSCHI sda-ats
Messe d’inauguration dans le tunnel de base du Gothard. Ici lors d’une cérémonie en l’honneur de sainte Barbe, la patronne des mineurs en 2016. KEYSTONE/MARTIN RUETSCHI sda-ats

Il revient sur l’inauguration du plus grand « tunnel de base » du monde (donc très bas en altitude), celui du Gothard en Suisse en 2016 qui fut suprahelvétique avec des bénédictions, des danseurs… parce que les Suisses voulaient bien montrer que ce tunnel qui traverse les Alpes leur appartenait. Si le tunnel Lyon-Turin voit le jour un jour, il sera aussi maximum à 500 mètres d’altitude. Le but ici est de « faire disparaitre les Alpes ». Et on peut dire que les Alpes commencent là où on charge les camions au Sud près de la Plaine du Pô vers Milan et elles finissent à Anvers en Belgique pour transborder la marchandise.

Or, pendant longtemps, avant qu’on ne passe en dessous, le point de départ des Alpes était le « pied de col », l’endroit où on chargeait les chevaux entre mai et l’hiver pour traverser le col difficile d’accès à  cause de la neige. On a donc un processus d’ extériorisation des Alpes quand on s’apprête à les traverser, leur point de vue tend à s’étendre.

 PROTEGER

Deux naturalistes et leur filet à papillons dans la réserve intégrale du Lauvitel, Parc des Ecrins.

La première réserve intégrale des Alpes se trouve à Lauvitel, elle est créée en 1895 à quelques km de Grenoble, donc avec une proximité urbaine. Les Hommes n’y ont donc pas accès à part les scientifiques puisque c’est une zone d’observation. On la met à l’écart de l’anthropisition et on met ainsi  les Alpes sous cloche. Cf. la thèse de Lionel Laslaz sur les Espaces protégés. Christophe Gauchon et Xavier Bernier ont remarqué d’ailleurs qu’on a d’abord protégé les montagnes en priorité dans l’aménagement du territoire dans le monde. Parce que ce sont souvent des espaces de plus faible densité, donc avec moins de problèmes en cas de mesures de protection. Les Alpes ne sont-elles donc qu’un réservoir à nature ou à tradition/ savoir faire ? Non, car il n’y a pas d’espace protégé à l’échelle alpine mais différents types de mesures de protection : PNR, PNN, réserve Alpes et Graille, site classé… et donc une succession de micro espaces en « peau de léopard ». Dure pour définir les Alpes…

CONTEMPLER

Le téléphérique de Grenoble Bastille inauguré en 1934

On surnomme Grenoble « Chicagre » pour l’associer à Chicago,  ville polluée dans une cuvette en forme de Y entre le Vercors, Belledonne et la Chartreuse. De cette ville, on peut voir les Alpes comme « paysage » et c’est un point de vue pour aborder le massif. (Sachant qu’on ne peut plus voir les Alpes au delà de 350km). D’ailleurs, pour info, de Chamonix il n’est pas facile de voir le Mont Blanc .

Bref, Grenoble s’est érigée en capitale des Alpes. Et tous les ans, des voyageurs sortent de la gare grenobloise avec des skis et demandent « Elles sont où les pistes ? ». Certes, il y a les jeux olympiques d’Hiver de Grenoble mais ils ne s’y passaient pas, tout comme ceux de Turin. C’est même la ville la plus plate de France en dehors de la Bastille. Mais Stendhal disait « qu’au bout de chaque rue à Grenoble, on voit une montagne ». Les Alpes font-elles Grenoble ou Grenoble fait-elle les Alpes ? Il faut donc envisager le paysage de façon relationnelle, selon où on habite. Grenoble est une des villes les plus sportives de France,  car les habitants y ont un lien avec la montagne qu’ils pratiquent à côté.

Le chocolat Toblerone avait le Servin en logo mais ils ont dû le retirer car ce n’est plus du lait suisse, déterritorialisation.

BOIRE ET MANGER

Une publicité d’Évian dans le métro parisien.

On peut boire de l’Évian à peu près partout. Alors,  est-ce que les Alpes commencent Porte Dorée ? Il faut remonter à la source. Voir la publicité télévisée d’Évian avec l’eau qui passe par différentes couches pour se purifier… mais la source d’Évian commence sur le plateau de Gavot à 800m d’altitude en surplomb du Lac Léman ! Donc pas du tout en montagne. Imposture alpine ? De plus, c’est un des plus grands producteurs de plastique en France. Sur l’eau d’Évian, on voit des montagnes sculptées, pour ressentir les Alpes. C’est l’Aiguille du Chardonnet qui fait référence au logo d’Évian, comme garantie alpine. À une époque c’était très chic de boire de l’Évian, aux USA…

Les Alpes sont aussi productrices de vin avec un vignoble AOP qui a fait beaucoup de progrès en qualité. Le Chignin Bergeron cependant n’est pas alpin mais suisse et autrichien. Il y a même du café alpin. Mais ni les Savoyards, ni les Suisses n’ont la paternité de la fondue popularisée avec Astérix chez les Helvètes ! À la limite, un plat bien alpin, ce serait plus le « farçon » ou « farcement » inventé quand les montagnards alpins allaient à la messe le dimanche en Haute Maurienne et Tarentaise et qu’il fallait tenir pendant 4 heures pour y arriver (motivés…). Ce plat se préparait dans un caquelon nappé de lardons, bourré de pommes de terre, pruneaux, pommes et alcool… et on laissait mijoter. Ce n’est pas de la gastronomie alpine mais plus un « faire » local.

DELIMITER

Carte politique provenant de « L’Atlas des Montagnes », 2024 de Xavier Bernier et Christophe Gauchon

Les délimitations politiques de cette carte montrent celles où s’appliquent les programmes Interreg (cadre de projets transnationaux), Eusalp (stratégie alpine de projet) et de la Convention Alpine de 1991 (avant la CIPRA qui protégeait les ressources des Alpes). Ces limites ne correspondent pas à des délimitations naturelles reconnues mais politiques, diverses et non unanimes. En France, on a des comités de massifs, les espaces protégés et les territoires de projets… qui sont des entités politiques avec un empilement de structures à géométrie variable alors qu’il s’agit d’encadrer « un faire alpin » !

On peut en conclure : A chacun ses Alpes !

 

Question du public : La géologie peut-elle nous aider à délimiter les Alpes ?

Les naturalistes disaient que c’était grâce à la ligne de crête et les plateaux qu’on délimitait les Alpes et que lorsqu’on descendait dans la plaine on n’y était plus. Mais Raoul Blanchard, géographe qui a fait toute une série d’ouvrages sur les Alpes, en possibiliste, les fait démarrer au pied des montagnes dans les talwegs et les piémonts. Or, les glaciers vont beaucoup plus loin qu’eux avec les phénomènes hydrologiques.

On arrive mieux à délimiter les Alpes par les chaînes internes du sillon alpin mais les géographes des mobilités se le sont appropriés en créant un axe Genève, Annecy, Grenoble, Valence qui ne correspond pas forcément aux Alpes.

En termes de marketing : Les Alpes du Sud se présentaient comme les « Alpes vraies », par leur authenticité. Dans le massif des Bauges, on invente une AOP « tome des Bauges  » en 1994 en même temps que la délimitation des PNR du massif des Bauges fondé sur la maille communale qui va déborder d’Annecy jusqu’à la Haute Savoie sur un autre massif. Comme tout le monde est déboussolé et ne sait plus où se trouvent les Bauges, on invente de l’authenticité territoriale avec le territoire « Cœur des Bauges » qui reprend ni plus ni moins les limites du fief historique des Bauges…