Carte blanche aux éditions Passés composés
Si les collections biographiques référentes mettent en avant les grandes figures de l’histoire, le monde de la bande dessinée préfère s’intéresser à des personnages oubliées. Les exemples sont nombreux : Severiano de Heredia ; Le frère de Göring ; Kersten, les mains du diable (le masseur d’Hitler) ; Le remarquable et stupéfiant Monsieur Léotard (l’inventeur du costume de gymnastique)… Ces oubliés ont pris un temps la lumière puis sont rentrés dans l’ombre pour des raisons diverses. Pourquoi les auteurs de bande dessinée affectionnent particulièrement ces figures ? Qu’apporte le récit dessiné pour retracer ces destins ? Serait-il plus facile de raconter la vie de personnages devenus des quasi inconnus ? Ozanam et Isabelle Dethan ont retracé l’histoire de Severiano de Heredia, jeune métis chassé de la Havane, dandy parisien accompli, qui deviendra président du Conseil municipal de Paris, député puis ministre. Leur travail sur ce destin éminemment romanesque est la base d’une réflexion féconde sur ce nouveau genre en bande dessinée.
Stéphane Dubreil, directeur de collection aux éditions Passés Composés présente la collection biopic, des BD un peu étonnant chez cet éditeur dont on connaît la qualité, le sérieux et les gros ouvrages.
Stéphane Dubreil dialogue avec l’auteur Antoine Ozanam et l’illustratrice Isabelle Dethan à propos de leur BD Severiano de Heredia, élu de la République.
Comment avez-vous rencontré ce personnage ?
L’auteur explique comment il a rencontré le personnage de Severiano de Heredia à l’écoute d’un discours d’Obama évoquant le premier maire noir de Paris. S’il n’était pas vraiment maire mais président du conseil municipal, il fut aussi député, ministre. Cet homme politique est un oublié de l’histoire. Cubain, naturalisé français c’est un personnage intéressant qui dans sa carrière politique souhaite changer beaucoup de choses.
Pour l’illustratrice c’est une surprise car elle est spécialiste de l’Egypte pharaonique à laquelle elle a consacré plusieurs BD comme autrice-illustratrice depuis Sur les terres d’Horus, tome 1 : Khaemouaset ou la loi de Maât publié en 2003 chez Delcourt1 au Le roi de paille 2 – Le couronnement de la reine morte2
Les deux auteurs ont réuni une très grosse documentation notamment iconographique.
Quel est l’intérêt de raconter l’histoire d’un oublié ?
Un « oublié » c’est chouette. Le personnage a un intérêt pour aujourd’hui et en même temps une part d’ombre. Sa mère est une affranchie dont il hérite et devient lui-même propriétaire d’esclaves qu’il vend au lieu de les affranchir. C’est ce pécule qu’il investit en politique. C’est un personnage complexe. Il a été le créateur de la première école supérieure pour femmes, auteur d’une loi contre le travail des enfants. Soutien du syndicalisme, il a aussi investi dans le premier moteur automobile électrique.
Ce dandy friqué, découvre en politique le racisme, notamment dans les caricatures. C’est peut-être la raison de son oubli. En France il n’y a qu’un seul ouvrage3 qui le concerne contre trois en Espagne
La BD ne met pas en scène cette violence, on a plus travaillé sur son ressenti et celui de son entourage.
Comment arrivez-vous à l’incarné ?
Ce n’est pas très simple car il n’a pas laissé d’écrits (lettres ou mémoires, quelques poèmes qui ne valent pas ceux de son cousin José-Maria de Heredia). La part de romanesque ? Il y a sûrement des anachronismes mais l’autre personnage c’est Paris dans l’illustration et Isabelle Dethan est très pointilleuse (jusque dans le dessin des verres).
L’illustratrice précise son besoin d’être exacte par exemple dans les robes des femmes qui évoluent au fil du temps et donc de l’album ou les « colonnes moresques4 ».
Comment travaillez-vous ?
Pour l’auteur il a besoin d’une ambiance musicale, la lecture de roman de l’époque permet d’écrire comme à l’époque, ici j’ai lu Francis Carco, ça permet de faire passer des émotions. Il y a aussi des expressions impossible à utiliser, il faut que ça fasse vrai.
Qu’est-ce qu’un oublié ?
Celui qui aurait dû rentrer dans l’histoire. De nombreuses femmes sont à réhabiliter. En fait en ce moment il y a une « mode » de travailler sur les oubliés. Pour un auteur c’est plus facile, il y a moins de concurrence. Ecrire sur Napoléon cette année c’est l’encombrement. Antoine Ozanam évoque une BD dont l’écriture a été difficile sur Lénine, une commande.
Mais pour les oubliés se pose le problème de la rareté des sources et l’auteur vise à l’objectivité tout en tenant au romanesque, entre le banal et seulement quelques dates.
Rendre le personnage humain sans aller jusqu’à Hollywood.
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1Sur les Terres d’Horus, 8 volumes
2Dargaud, 2021
3Paul Estrade, Un maire noir de Paris en 1879, effacé des archives et de l’Histoire, Les Indes Savantes, 2011
4Ou colonnes Morris, Meurice selon les sources