Loin de trouver une solution, le conflit israélo-palestinien semble a contrario continuer de se dégrader : poursuite irrépressible de la colonisation, présence de ministres suprémacistes juifs au sein du gouvernement, approfondissement de la coupure entre l’Autorité palestinienne et la population qu’elle est censée représenter, résurgence des violences de toutes sortes. Quelles solutions envisager alors ? Quid de la solution à deux États ? Quid d’un État unique binational ? Quid de l’application du droit international ?
Conférence-débat organisée dans le cadre des Géopolitiques de Nantes, autour de Didier Billion, Joan Deas, Michel Taubmann et Thomas Vescovi.
Afin de comprendre le conflit israélo-palestinien il faut remonter aux origines du mouvement sioniste. En 1948, l’Etat d’Israël est proclamé sans prendre en considération le territoire palestinien. Depuis, des accords ont été tentés sans jamais aboutir. Quel état des lieux de ce conflit ? Quelles solutions sont possibles ?
Quel bilan des accords d’Oslo 30 ans après ?
Tout d’abord, Didier Billon revient sur les accords d’Oslo signés il y a 30 ans et sur ce qu’il en reste aujourd’hui. A l’époque ces accords avaient suscité un espoir et pourtant aujourd’hui ces accords sont morts. Déjà à l’époque il existait une asymétrie importante quand lorsque l’Etat de Palestine reconnaissait l’Etat d’Israël, seul l’OLP (organisation de libération de la Palestine) était reconnue pour représenter la Palestine. De plus, dès le départ, les questions sensibles et vitales comme celle de la colonisation ont été repoussées et les accords ne se trouvaient pas dans la perspective de la création d’un Etat palestinien.
Didier Billon poursuit ensuite en expliquant que depuis ces accords le processus de paix déjà difficile a été plombé par une escalade de la violence notamment avec les nombreux attentats qui ont eu lieux. Ainsi, l’autorité palestinienne n’est pas exempte de critique mais il souligne que tous ces tragiques évènements ne seraient pas arrivés si la communauté internationale avait pris ses responsabilités. Il y a un sentiment d’impunité des gouvernements israéliens qui s’est développé à la suite de la non-condamnation des crimes de guerres non sanctionnés.
Une crise de la démocratie Israélienne ?
Michel Taubmann poursuit en évoquant la perte de croyance en la paix du peuple israélien qui s’explique par plusieurs facteurs. Premièrement, les violences à l’intérieur d’Israël ont renforcé au fil des ans le discours de l’extrême droite et ont marginalisé les partisans au processus de paix. Ensuite le retrait unilatéral de Gaza qui aboutit à la prise de pouvoir par le Hamas et à la création d’une enclave islamiste ainsi que le retrait de l’Israël de la guerre du Liban en 2003 sont des concessions territoriales qui dans les esprits israéliens ont abouti à plus de violence. De plus, depuis 2014 il n’y a plus de négociations, il faut remonter à 2015 pour voir la question de la paix au centre d’un programme politique en Israël.
Le renouveau à cette crise de la démocratie a été l’arrivée au pouvoir il y a un an d’une coalition composée de partis que Michel Taubmann qualifie de “juifs ultra-orthodoxes ». Il s’agit d’une union de droite autour de Netanyahu qui a réveillé la société israélienne. Un mouvement de révolte civique qui dépasse la gauche se déroule depuis presque un an et conteste la nature démocratique de l’Etat d’Israël. Ce mouvement s’est cristallisé autour de la question de la laïcité. Le pays n’est pas déterminé seulement par la religion et que les ultra-orthodoxes n’imposent pas leurs lois à l’ensemble du peuple. Il y a donc une forte séparation d’Israël entre ceux qui sont tournés vers le monde et le progrès et ceux qui souhaitent rester dans la pure tradition juive. Une autre question autour de laquelle se cristallise ce mouvement est l’équilibre des pouvoirs. Israël n’a pas de constitution et le seul contre-pouvoir est la Cour Suprême que le gouvernement remet aujourd’hui en cause.
Quelle place joue la non-résolution du conflit dans la crise ?
Thomas Vescovi prend ensuite la parole pour affirmer que ce mouvement de révolte ne pourra l’emporter que si un accord et une alliance est conclue avec les Palestiniens de citoyenneté israélienne. Il renforce son analyse avec les faits suivant : la cour suprême israélienne a validé toutes les décisions concernant la situation avec la Palestine . Cela comprend la colonisation, l’occupation et le statut de sous-citoyenneté des citoyens arabes. L’objectif final du gouvernement israélien serait la mise en place d’un régime qu’on peut qualifier d’Apartheid sur l’ensemble de la Palestine.
Ce mouvement est cependant marqué par un déni colonial, les manifestants disent pouvoir régler le problème colonial qui dure depuis 56 ans. Israël est avant tout une démocratie coloniale dont l’extrême droite est la face la plus extrémiste. Le pays doit aujourd’hui choisir entre une prise de conscience de la droitisation profonde du pays et donc penser une alternative d’avenir avec les Palestiniens. D’un autre côté, c’est alors une poursuite de ce processus de droitisation qui va amener des gouvernements de plus en plus à droite au pouvoir.
Thomas Vescovi termine en ajoutant que pour les palestinien, ce sont eux qui ont fait la plus grande concession à Oslo en laissant 78% du territoire à l’Israël. C’est là l’incompréhension majeure entre israéliens et palestiniens.
Une crise politique en Palestine ?
Joan Deas prend ensuite la parole pour parler de la crise politique en Palestine. Les accords d’Oslo ont permis la création d’une autorité palestinienne qui administre certaines parties des territoires palestiniens sous occupation israélienne. Cette création est apparue comme un espoir pour l’autonomie politique de la Palestine. Cette autorité est surtout un administrateur colonial qui soustraite et sert l’occupation. Aujourd’hui l’autorité palestinienne est caractérisée par un autoritarisme croisant avec une répression de toutes les formes de contestation politique. S’y ajoute une absence de représentativité dû à l’absence d’élection depuis 2005 ainsi qu’une corruption favorisée par la concentration des pouvoirs. Cette autorité est très impopulaire et a perdu la quasi-totalité de sa légitimité.
Tout cela a donné lieu à de plus en plus de mouvements de protestation contre cette autorité palestinienne qui ne peut plus justifier sa raison d’être. Les conditions sur le terrain ne permettant plus la création d’un Etat et rendant la solution à deux Etats inenvisageable. Il y a donc une montée de la résistance qui n’est plus encadré et qui entraine un retour de la violence. Aujourd’hui c’est une forte fragmentation politique, ce qui n’est pas favorable à une résolution de cette crise.
Une solution à deux Etats envisageable ?
Thomas Vescovi explique que 33% des Palestiniens sont favorables à une solution à deux Etats mais en comparaison seulement 23% ne veulent que d’un seul Etat démocratique. Les autres ne croient plus en la possibilité de résolution de ce conflit. En réalité l’Etat unique étant déjà présent, l’autorité palestinienne n’ayant aucune souveraineté. C’est l’Etat d’Israël qui a la main sur les décisions. Aujourd’hui sur tout le territoire de la Palestine historique il n’y a qu’une seule armée, une seule monnaie, une seule frontière définie et donc un seul Etat.
Dans cet Etat unique se trouve démographiquement quasiment 50% de juifs et 50% de non juifs, mais ces populations sont pourtant soumises à des tribunaux et des lois différentes. Concrètement, si on n’appartient pas au groupe national juif on ne bénéficie pas de l’ensemble des droits et des privilèges : c’est cela que les ONG qualifient d’Apartheid.
Dans cette situation la solution à deux Etats est quasi impraticable, il faut penser une nouvelle alternative. Néanmoins la communauté internationale reste bloquée sur cette nécessité de paix. Les mouvements sionistes modérés continuent également à considérer la solution à deux Etats car c’est la seule solution qui permettrait de garder un Etat juif démocratique. De même, du côté de l’OLP, l’idée des deux Etat est le seul moyen d’être reconnu comme un Etat Palestinien.
Michel Taubman conteste ensuite les propos de Thomas Vescovi sur la situation d’Apartheid car celui-ci ne considère pas Israël comme un fait colonial, ce conflit est un affrontement de deux mouvements d’indépendance national. Il y a bien une inégalité des droits mais les Palestiniens sont intégrés socialement et économiquement ce qui distinguerait cette situation d’une situation d’Apartheid.
Place des BRICS dans ce conflit ?
Pour Joan Deas nous vivons aujourd’hui dans un monde nouveau et multipolaire, marqué par la disparition des questions idéologiques dans la création des alliances et par l’émergence d’une alliance de pays mis de côté et humiliés. La Palestine est un symbole historique de cette humiliation et résonne dans la vision des pays du Sud global. Ces pays ont une vision du monde et des valeurs différentes se positionnant sur ce conflit afin de gagner un prestige dans les affaires internationales. La Palestine n’a pas vu venir ce glissement de puissance, pour eux seuls les Etats-Unis pouvaient résoudre ce conflit. Les Palestiniens n’ont pas renforcé leurs relations avec ces pays du Sud et ont perdu de l’influence au contraire d’Israël.
Dans les faits, on a une hétérogénéité au sein des BRICS par rapport aux capacités matérielles mais aussi des positionnements diplomatiques des pays. La Chine par exemple a pour stratégie de se placer en leader de la paix à l’international. La Chine apprend des erreurs des Etats-Unis elle ne souhaite pas se positionner dans ce conflit. Au sein de ces BRICS les intérêts économiques prédominent les relations et ces intérêts sont très forts entre Israël et ces pays BRICS.
Il y a pourtant ces derniers temps un déplacement de la position et des déclarations des BRICS sur cette question palestinienne. En effet, les dernières déclarations pointent l’occupation comme cause de l’aggravation de la situation, elles critiquent les erreurs de gestion du conflit par les Etats-Unis et mentionne le droit légitime du peuple palestinien d’affirmer son identité. En revanche aucune nouvelle proposition n’est faite concernant la résolution du conflit.
Quelles solutions à ce conflit ?
D’après Didier Billon il n’y a pas de raison d’être optimiste pour la résolution de ce conflit. Mais il ne faut jamais parler à la place des Palestiniens qui sauront prendre ces décisions, tant qu’ils resteront accrochés à leur terres le dossier ne pourra être clos. La résistance au quotidien est la meilleure garantie qu’ils puissent avoir. Il est important de rappeler que cette question palestinienne est centrale et n’est pas réglée.
Au niveau du droit international, il n’est pas appliqué de la même façon pour tous les pays. Mais sans ce droit international, notamment l’ONU, la question palestinienne ne pourrait pas être résolue. La question de l’Apartheid peut être un point d’appui pour faire respecter ce droit international. De même que les sanctions peuvent permettre de modifier les rapports de force, en effaçant le sentiment d’impunité avec lequel agissent les dirigeants israéliens qui, d’après le spécialiste « se croient pouvoir tout faire ». Il ne faut pas oublier également que partout dans le monde des communautés juives condamnent et dénoncent les décisions du gouvernement d’extrême-droite actuel.
Enfin, les Palestiniens doivent trouver un nouveau moyen de gouvernance et de nouvelles formes de représentations. Le centre de la non-résolution de ce conflit sera, dans les prochaines années, la question de la création d’un Etat à double gouvernance binational.
Pour aller plus loin : chez Les Clionautes : https://www.clionautes.org/le-conflit-israelo-palestinien-en-2023.html
Ailleurs sur le web : https://www.youtube.com/watch?v=9uGhWvgcsHE