Julie Le Gac, maître de conférences à l’université de Paris Nanterre est la modératrice d’une table ronde qui réunit Benjamin Doizelet, chef de la division des archives iconographiques au Service historique de la Défense de Vincennes et Christine Majoulet, documentaliste à l’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD).
Quelques mots d’introduction rappellent que la campagne d’Italie s’est déroulée de 1943 à 1945, mais que l’armée française reconstituée en Afrique du Nord cessa d’y participer après juillet 1944. Les opérations ont été occultées par celles qui se sont déroulées en France. Elle a pourtant joué un rôle important, pour les Alliés et pour la France qui dut y faire ses preuves. Cette campagne militaire fut largement médiatisée, de nombreux photographes et reporters de guerre y prirent part, les plus connus étant certainement John Steinbeck et Robert Cappa. On sait moins qu’il y eut aussi des photographes français. L’objectif de cette table ronde est de montrer le travail des photographes et d’un peintre, et de mettre en évidence également les très riches fonds du Service historique de la Défense et de l’ECPAD.
Roger Jouanneau-Irriera, peintre aux armées
Il revient à Benjamin Doizelet de présenter le seul peintre de guerre qui nous soit connu et dont l’œuvre constitue un fonds important a Vincennes. Il s’agit de Roger Jouanneau-Irriera, dont 1700 dessins sont conservés à Vincennes et 300 au musée de l’Armée. Né en 1884, cet artiste peintre s’engagea pour trois ans en 1904 mais fut très vite réformé. Il s’engagea une seconde fois en 1914 et devint infirmier militaire dans l’armée d’Orient. De retour à la vie civile, il continua à dessiner dans l’entre-deux-guerres, séjournant en Égypte, Soudan, Palestine, Algérie etc. En 1925 il exposa à Alger, réalisa des affiches et des illustrations pour de nombreux ouvrages, en particulier une histoire de l’Afrique noire française. En septembre 1939 il fut volontaire pour la troisième fois, à 55 ans. Démobilisé en août 1940, il s’installa au Maroc. Après le débarquement allié en Afrique du nord, il devint peintre aux armées, avec grade, prérogatives et solde de lieutenant. Il fut sur tous les fronts, Corse, Italie, France, Vosges, Allemagne. Après la guerre il vécut en Algérie et mourut à Aix-en-Provence en 1957.
Jacques Belin et les autres photographes aux armées
Christine Majoulet présente le fonds iconographique de l’ECPAD qui eut pour ancêtre le Service cinématographique aux armées, créé en 1915. Issu de la fusion des services de Vichy et de la France libre, il avait pour objectif de constituer des archives de guerre, de fournir des documents de propagande, et des œuvres pour la distraction de la troupe. Le fond de la Seconde Guerre mondiale comprend 122 000 photographies et 2800 films, auxquels il faut ajouter le fonds de Documentation française (20 000 photographies), les fonds privés (10 000 photographies) et le fond allemand (357 000 photographies). La campagne d’Italie est l’objet de 85 reportages photographiques, soit 2300 photographies, sous forme de négatifs souples et de plaques de verre.
Le Service cinématographique aux armées recruta des photographes et des caméramans, détachés près du corps expéditionnaire français en Italie. Ils avaient un insigne « correspondant de guerre » et relevaient de l’état-major du général Juin. Ils étaient recrutés sous contrat, n’étaient pas armés, mais couraient les mêmes risques que les combattants. Six photographes ont pu être identifiés, le plus présent et sans doute l’un des plus importants était Jacques Belin, né en 1910. Il travaillait avec principalement deux appareils : un Graflex speed graphic (format 9 x 12, très lourd, 3 kgs) et un Laïca III C, plus léger et maniable (film 35 mm, format 24 x 36), parfois un petit Roleyflex.
Peintre et photographes doivent trouver des supports et conserver les dessins et les bobines, ces dernières étant développées à Alger. Les images étaient soumises à la censure, et peut-être à une autocensure préalable. Leur publication était rapide. Dessins et photographies ont illustré le journal « La Patrie » créé par le général Juin ; on en trouve également dans la presse et certaines furent tirées en cartes postales envoyées par la troupe.
La thématique des peintures et photographies
La dernière partie de la table ronde fut consacrée à la projection commentée d’une sélection d’images. Les photographies de Jacques Belin sont absolument remarquables. Le commentaire avait pour but d’en analyser les thèmes.
– Le débarquement à Naples en novembre 1943. L’armée française se mit alors à la disposition de la Ve Armée américaine. Les photographies insistent sur les destructions qui sont le fait des allemands évacuant la région, mais aussi de l’incurie du fascisme.
– Les combattants et les combats. Les photographies représentent souvent des troupes qui montent en ligne, en particulier des goumiers et Tabors marocains. L’armée d’Italie est une armée coloniale. Le peintre Roger Jouanneau-Irriera été rattaché à une unité de goumiers et il en portait l’uniforme. Des photographies montrent les trois batailles de Monte Cassino, point saillant de la ligne Gustav. Les bombardements de l’abbaye furent un échec retentissant. Les ruines offrirent aux Allemands un point de défense encore plus efficace, et la propagande allemande exploita ces destructions en montrant que les Allemands étaient les défenseurs de la culture européenne.
– Des portraits : beaucoup de généraux, en particulier le général Juin et le général de Monsabert, mais aussi des soldats. La bataille du Garigliano est l’heure de gloire de ces combattants qui ouvrent la route en perçant le front allemand.
– Les armes de l’armée de terre : artillerie, blindés américains, unités montées à cheval, mulets (modernité et rusticité sont ainsi mises en évidence), services de santé (avec des femmes), formations chirurgicales mobiles.
– La boue, la représentation de la mort, les cimetières (chaque division avait son cimetière)
– La présence des Alliés, Britanniques et Américains
– Des images de l’ennemi, plutôt représenté dans une masse qu’individuellement
– Des scènes de liesse populaire, à Rome, à Sienne, le 14 juillet 1944
Les photographies sont toutes en noir et blanc, la plupart des dessins du peintre aussi, mais certaines représentations sont néanmoins en couleur. Roger Jouanneau-Irriera ne livre ces dessins qu’en 1948 ; il a dû retoucher ou même faire des compositions pour les illustrations d’après-guerre. Il avait une jeep à sa disposition qu’il partageait avec un photographe, une grande liberté dans le choix de ses sujets.
Ces deux fonds sont magnifiques. Roger Jouanneau-Irriera n’a pas de vision colonialiste, il a beaucoup vécu en Afrique du Nord avant la guerre et il partage la vie des combattants d’Afrique du Nord.