Cette fois, le musée du quai Branly-Jacques Chirac expose uniquement des peintures issues de sa collection qui comprend plus de 500 œuvres. Elles ont été conservées Porte Dorée, dans ce bâtiment construit pour l’exposition coloniale internationale de 1931 à Paris, destiné à devenir le musée des colonies puis le musée de la France d’outre-mer. Après la décolonisation, les peintures sont remisées car elles rappellent un passé trop chargé. Le lieu devient en 1960, le musée des Arts océaniens et africains. Aujourd’hui, ce monument est reconverti en musée de l’histoire de l’immigration et la collection de peintures transférée quai Branly rappelle un pan de l’histoire de notre regard sur l’altérité.
Beaucoup des peintures de cette exposition ont été montrées à l’exposition coloniale de 1931 avec le dessein de glorifier l’œuvre civilisatrice de la France et de magnifier les territoires d’outre-mer que constitue l’empire français. Les productions agricoles et minières sont largement représentées comme dans les œuvres de Georges Michel dit Géo Michel. Les colonisés « offrent » leurs richesses aux bienfaiteurs métropolitains avec qui ils vivent en toute harmonie. Ce discours bien huilé est illustré dans la peinture comme sur les murs du musée de la Porte Dorée.
André Herviault est lauréat des bourses de séjour auprès du chargé de mission envoyé par le ministre des colonies. Il voyage en Afrique et en Asie du SE. Il reçoit la commande de grandes toiles montrant le rôle social de l’armée dans les colonies comme cette peinture de l’administrateur. S’ouvre une époque où le format panoramique de grande taille s’impose aux artistes.
Précédemment des artistes voyageurs comme Eugène Delacroix ou Eugène Fromentin se constituent des carnets de voyage pour ensuite produire des peintures du monde lointain qui mélangent des observations sur le terrain et des rêves d’exotisme. Ces artistes cherchent dans l’Orient un renouvèlement de leur inspiration et introduisent des thèmes chers à ce qu’on appellera l’Orientalisme : l’attrait du désert, celui des foules bigarrées notamment au marché local, la nature sauvage et ses animaux terrifiants et les costumes traditionnels dit folkloriques. André Séréda en 1910 illustre la fête marocaine dans la campagne de Tlemcem où se déroule une procession vers le tombeau d’un marabout célèbre.
Formé à l’École des arts industriels de Genève, Jean Dunand est appelé à participer aux décors des grands paquebots des années 30. Initié à la technique extrême-orientale de la laque par un grand maître japonais, il imagine des scènes allégoriques figurant les peuples d’Asie et d’Afrique aux côtés de jungles mystérieuses et oniriques dignes du Douanier Rousseau. Cet d’éléphant, élaboré en 1941, est à l’image des laques qui devaient orner à l’origine les deux salons de la bibliothèque du musée des Colonies, panneaux depuis déposés.
Léon Cauvy décrit le port d’Alger en 1910-1920 par une huile sur carton, commandée par la Marine marchande pour 1931.
Le parcours se poursuit avec le regard porté sur l’Autre entre stéréotypes et clichés nourris d’un imaginaire de l’exotisme. Les portraits ont connu une grande fortune et fournissent des allégories de certains territoires. Jeanne Thil, peintre-voyageuse, s’affirme comme décoratrice effectuant des commandes pour les hôtels de ville et pour les paquebots, ici l’Afrique équatoriale française de 1935.
Dans les années 1920-1930, André Liotard séjourne à Madagascar et décore les églises de thèmes bibliques. Cette étrange Bethsabée au bain transposée dans un décor tropical, cristallise tous les fantasmes véhiculés à l’époque coloniale, des images stéréotypées de femmes d’un érotisme racoleur. Le dernier espace évoque la création des écoles d’art et de la diffusion des modèles occidentaux dans tous les territoires conquis.
Cette exposition qui présente des œuvres originales offre une vision de la France conquérante du XIXe et XXe siècles et permet de réfléchir sur la façon de regarder l’Autre, « l’étranger », un écho particulier avec le monde d’aujourd’hui.
« La relation avec l’autre est une relation avec un Mystère. C’est son extériorité ou plutôt son altérité (…) qui constitue tout son être » Emmanuel Levinas,« Le temps et l’autre », 1983.