Ce mardi, l’OCDE a dévoilé les résultats de son très attendu PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) 2022 sur trois compétences fondamentales : la compréhension de l’écrit, les mathématiques et la culture scientifique. La précédente édition n’avait pas fait briller notre pays, à la 26e place sur 70. Cette année, l’OCDE promet une attention particulière aux mathématiques, domaine où un autre classement, TIMSS 2019, nous plaçait à la dernière place de l’Union européenne. Un élève français de Quatrième en 2019 se retrouvait avec le même niveau qu’un élève de Cinquième en 1995… Qu’en est-il ?
Cet article s’appuiera sur les conclusions du volume I du rapport PISA. Le volume II fera l’objet d’un autre article.
Un bilan désastreux pour la France
En valeur absolue, notre pays montre partout des résultats dans la moyenne de l’OCDE, un peu au-dessus pour les mathématiques et la culture scientifique, un peu au-dessous pour la compréhension de l’écrit. Jusqu’ici, on pourrait se persuader que ce n’est pas si grave, sauf que la fameuse moyenne porte sur une quarantaine de pays dont une bonne partie n’a rien à voir avec le rang socio-économique de notre pays.
La France est la 7ème puissance économique mondiale et elle consacre, toujours selon l’OCDE, pas moins de 5.2 % de son PIB aux dépenses d’éducation, du primaire au « tertiaire » (supérieur), soit la 6ème place mondiale.
Nous sommes plus que largement fondés à considérer que les 26 et 28ème rangs auxquels nous sommes assignés sont tout simplement honteux. Comme nous occupons grosso modo la même place qu’il y a quatre ans, nous pourrions croire à une stagnation, mais là encore, les chiffres sont têtus. Par exemple, en compréhension de l’écrit, les petits Français obtiennent en moyenne 474 points, c’est 19 points de moins qu’il y a quatre ans. En mathématique, nous avons perdu 21 points sur la même période, pour un score moyen de 474. Il n’y a qu’en culture scientifique où les résultats sont certes bien fragiles mais dans la lignée de 2018 (-6 points). Tendanciellement nous baissons donc, moins que quelques uns (Allemagne, Pologne, Finlande, Slovénie) certes, mais plus que beaucoup.
L’autre remarque est que les écarts entre États se creusent. Ce n’est pas comme dans les classements d’IDH où les chiffres s’étalonnent dans un mouchoir de poche. Ici, entre le premier du classement (Singapour) et la France, il y a déjà 69 points de différence en compréhension de l’écrit et 74 points en culture scientifique. En mathématique, le chiffre passe à 100 points. C’est énorme !
Un bilan tendanciellement dégradé pour l’ensemble des pays de l’OCDE
L’ensemble des résultats des pays de l’OCDE a diminué sur les trois épreuves par rapport à 2018.
Avec ses fermetures longues d’école, l’effet Covid est patent mais l’honnêteté commande de dire que c’est depuis 2010 que les chiffres s’effritent. Il y a donc d’autres facteurs à déterminer, et des facteurs plus structurels. L’OCDE ne les énumère pas frontalement. Tout juste peut-on les déduire des 10 qualités observées chez les « pays résilients ».
Les conditions de vie et de travail des élèves se dégradent globalement (plus de 10% des élèves connaissent une insécurité alimentaire ou ont peur d’aller à l’école selon les pays). De même si les appareils numériques peuvent être utiles dans un cadre pédagogique, ils constituent une source de distraction qui appelle à un contrôle strict d’usage. Le desserrement des relations familiales exerce également un rôle néfaste sur la qualité des apprentissages. Sans même parler d’une aide aux devoirs, une famille dont les membres ne prennent pas régulièrement le repas ensemble ou ne discutent qu’assez peu de ce qu’ils font durant la journée, peinera à faire réussir son enfant. L’OCDE estime également qu’une orientation trop précoce, le redoublement pour les élèves en difficulté, l’atomisation des publics scolaires (pas d’entraide), le manque de personnel et de matériel pédagogique, la rigidité administrative pesaient lourdement.
Dans ce tableau très divers qui se rapporte aux 38 pays de l’OCDE, il faudrait distinguer ce qui relève spécifiquement de la France.
Les maux de l’école française
Une de nos grandes particularités, c’est que, alors que l’OCDE souligne que l’ouverture des écoles pendant le Covid a été un fort gage de succès, la France s’illustre comme un rare contre-exemple. Cela rejoint le constat d’autres études comparables où finalement les petits Français à l’école faisaient moins bien que d’autres bloqués chez eux. PISA s’adressant à des élèves de 15 ans, son bilan 2022 concerne des générations de collégiens qui ont été les moins affectées par les confinements, jauges, enseignement hybride, etc.
Sur un autre plan, l’arrière-fond familial, l’usage du numérique, le harcèlement, le manque de personnel se retrouvent en France mais nous n’avons pas l’exclusivité de ces sujets. Par conséquent, diagnostiquer sur des critères exclusivement sociaux, économiques et culturels le mal qui ronge nos écoles serait une erreur. Ces éléments sont importants, ils doivent être pris en compte bien sûr, mais n’étant pas propres à la France, ils sont insuffisants à comprendre l’ampleur de son décrochage par rapport aux autres systèmes scolaires européens.
Le fiasco de toutes les dernières réformes scolaires
Pour PISA 2018, les adolescents évalués n’avaient « bénéficié » des réformes de 2015-2016 que sur leurs dernières années de collège et avaient échappé à la réforme du premier degré de 2013. Par contre, pour PISA 2022, les élèves sont tous passés par le canal des réformes Peillon et Vallaud-Belkacem.
Le bilan est accablant. Il ne surprendra personne. Des programmes trop légers partout, une culture du socle qui a fait du médiocre le seul horizon de référence, le recul de l’écrit, un chaos organisationnel pour les sciences, un enseignement des langues malmené notamment pour les langues anciennes, les compétences partout, et ainsi de suite.
Est-ce à dire que la faute est à rechercher exclusivement du côté des socialistes au pouvoir de 2012 à 2017 ? Depuis, il y a pourtant eu une série de retouches apportées par Jean-Michel Blanquer et ses successeurs, jusqu’à cette dernière, sur la fin de la technologie en 6ème. Cela fait depuis 2017 qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, c’est assez pour que ces résultats soient aussi ceux de ses gouvernements.
Mais, allons même plus loin. L’herbe était-elle plus verte avant 2012 ? Sur cela aussi, l’OCDE répond avec ces graphiques contenus dans le rapport 2018 :
Globalement, même avant 2012, les résultats n’étaient pas fameux. Ils étaient supérieurs à ceux d’aujourd’hui certes, mais notre système scolaire n’avait déjà pas de quoi pavoiser. Finalement notre meilleur cru a toujours été lors de la première édition du PISA en 2000, où nous pointions alors à la 11e place en mathématiques (26e aujourd’hui), avec 511 points (soit 40 de plus environ qu’aujourd’hui). Les courbes indiquent qu’une reprise s’est dessinée entre 2006 et 2012, mais qu’elle a été cassée ensuite et que le changement de majorité après 2017 n’a strictement rien arrangé.
Pour un « choc PISA »
Le ministre, Gabriel Attal, a envoyé aux enseignants un long courrier ce matin, détaillant quelques mesures du « choc des savoirs » promis le 05 octobre dernier. Avec un art consommé de la communication, le ministre réussira sans doute à occuper l’espace médiatique avec des propositions travaillées sur le vif de ces dernières semaines, propositions qui permettront peut-être d’atténuer la crudité de notre crise éducative sans précédent.
De notre point de vue, avant même de parler des propositions du ministre, il nous apparaît essentiel que le pays se confronte au choc de ses piètres résultats. La première nécessité, c’est que la France perçoive pleinement l’extrême gravité de la crise qui secoue son école.
La confirmation que notre école reproduit les inégalités et qu’elle les accentue
Nous savions déjà, par les publications précédentes, que l’école française était l’une de celles qui reproduisaient le plus les inégalités sociales, que nos jeunes venant des milieux modestes étaient ceux qui avaient le moins de chances de figurer dans le peloton de tête des élèves performants. PISA 2022 confirme la tendance. Seuls 7.4 % d’élèves défavorisés font preuve de résilience scolaire, c’est-à-dire se situent dans
le quartile supérieur de la performance en compréhension de l’écrit sur l’ensemble des élèves. Et cette part est encore plus faible que celle observée en 2018, c’est dire l’ampleur du désastre des dernières réformes qui n’ont eu de cesse de mettre en avant l’égalité entre les élèves. Et pour que l’on mesure bien le problème, il suffit de voir cette même part chez les autres : 9.5 % en Allemagne, autour de 10 % aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis, 12 % en Norvège, 15 % au Royaume-Uni…
La question de l’égalité entre les filles et les garçons
Les performances entre les filles et les garçons sont toujours différenciées. Si les filles continuent d’être moins performantes que les garçons en mathématiques (-10 points), les garçons ont vingt points de moins que les filles en compréhension de l’écrit. Et curieusement, on touche à l’équilibre en science. Dans l’affaire, la situation des filles et des garçons est préoccupante car dans les deux cas, depuis 2018, les écarts s’accentuent au lieu de se résorber.
La question des élèves issus de l’immigration
En France, les performances des élèves immigrés sont significativement inférieures à celles des élèves autochtones, de 40 à 60 points. C’est considérable. Il est difficile de comparer nos chiffres avec ceux d’autres pays car tous ne présentent pas les mêmes profils socio-économiques d’origine. Il ressort qu’au Royaume-Uni, l’intégration scolaire est meilleure, mais elle est plus mauvaise en Belgique et en Allemagne.
La nouveauté 2022 : la question des élèves performants et des élèves favorisés
L’une des grandes particularités de cette année, c’est de révéler notre fragilité à produire de bons élèves. Alors que jusqu’ici, on pouvait affirmer que notre système n’était favorable qu’aux bons élèves, que les meilleurs s’en sortaient toujours, PISA 2022 nous montre que les élèves les plus performants sont de moins en moins nombreux.
Parmi les statistiques fournies, il y a par exemple celle indiquant la part des élèves très performants dans au moins l’un des domaines de l’enquête (mathématiques, culture scientifique, compréhension de l’écrit). Cette part n’est que de 12.9%. Ce chiffre est en dessous de la moyenne OCDE (13.7%) et très inférieur à celui constaté dans le bloc des pays performants qui tourne autour de… 20%.
Si l’on reprend l’avant-dernier tableau, on peut même dire que les enfants en difficulté mais qui sont issus d’une famille favorisée voient leurs résultats dégringoler par rapport à 2018, alors qu’on pourrait raisonnablement supposer qu’ils ont pu bénéficier d’appuis supplémentaires (cours particuliers, aides aux devoirs, etc.).
Dans la crise que nous traversons, certains ont pensé que le problème ne concernait que les établissements relevant de l’éducation prioritaire, que des stratégies familiales (dérogations, enseignement privé sous contrat, professeurs particuliers, etc.) suffiraient à contourner l’obstacle.
PISA 2022 démontre que le marasme est général, installé et aggravé.
Peut-on encore sauver l’école ?
Si la faillite de la politique scolaire de 2013-2016 est démontrée ici de façon éclatante, ni le bilan des gouvernements précédents ni celui des suivants n’ont brillé. On l’a dit, cela fera bientôt sept ans qu’Emmanuel Macron est au pouvoir et pourtant, rien n’a changé, la situation s’est même objectivement aggravée. Le tragique de la situation est que si l’on peut bien reconnaître une chose à Najat Vallaud-Belkacem ou à Jean-Michel Blanquer, c’est de ne pas avoir ménagé leurs efforts pour tout changer.
Jamais au grand jamais, notre système n’a subi de pareilles tempêtes. Il faut quand même se rappeler de ce qu’a été la réforme du collège, du parfait chaos qui a accompagné sa mise en œuvre : tous les programmes changés d’un coup sur tous les niveaux, de l’interdisciplinarité à tous les étages, la fin des sections européennes, etc. Et ensuite, on a bien en tête ce qu’a été aussi la réforme du lycée : Parcoursup, nouveau bac, nouveaux programmes… Le tout avec le covid, ses protocoles sanitaires envoyés la veille pour le lendemain, ses jauges, etc. Depuis 2015, le rythme est devenu infernal et a largement contribué à l’épuisement et au découragement de tous les acteurs éducatifs, et c’est sans parler de la dégradation objective de nos conditions salariales (rémunération, carrières, retraites). Dans cette course folle à la réforme, rien ne nous aura été épargné et on ne voit pas comment, avec les moyens humains et matériels dont elle dispose, l’Education nationale pourrait trouver la ressource d’une véritable et pourtant impérieuse révolution.