On imagine souvent, en contemplant les chefs-d’œuvre de la Renaissance, qu’ils furent réalisés dans la solitude de quelque retraite ou sous un arbre printanier – à la manière des impressionnistes, qui commirent leur art plus près de nous.
Certes, il y eut des peintures faites à une main, de ces bijoux que l’on garde pour soi, dans le secret de son cabinet des merveilles, à l’abri des quolibets des amateurs.
Mais l’essentiel des pièces qui nous demeurent, furent produites dans des ateliers comptant une foule de métiers et d’apprentis, en plus du peintre lui-même, le plus souvent signataire – mais laissant anonymes les œuvres médiocres –, qu’on appelait le maître.
Il a fallu que j’explique cela à mes 5e, un peu dubitatifs, jusqu’à ce que je prenne l’exemple de la salle de classe : en quelque sorte, dis-je, je suis le maître, et vous, mes apprentis. Quelques-uns saisirent tout de suite la comparaison ou eurent la bonté de ne pas souligner son impertinence, mais plusieurs autres se récrièrent, sans beaucoup d’arguments audibles, où je compris quand même que leur intuition n’arrivait pas à cadrer ensemble l’image de l’atelier renaissance, plein de vies, de fabrications, avec celle d’une classe de collège, ressemblant plutôt à une séance de comptes d’un chapitre cathédral – dans son atmosphère amidonnée et ennuyeuse, rarement par nature, plutôt par convenance.
Plus tard, je réfléchis à cette comparaison pédagogiquement ratée, que je trouvais pourtant tomber sous le sens.
S’il manque bien quelque chose à l’école, c’est la possibilité de ce fonctionnement en « atelier renaissance » : où les effectifs étaient divisés en groupes et sous-groupes d’individus, s’occupant de tâches variées et changeantes, selon leurs facilités, leurs compétences, leurs expériences, leurs tempéraments, leurs implications, leurs convictions, leurs relations aux maîtres…
Bref, songeai-je, cette métaphore mise en pratique – ne serait-t-elle pas une manière d’expérimenter le fonctionnement d’une classe, selon les canons, de moins en moins «pédagogos» et de plus en plus actés par l’institution, du XXIe siècle ?…
La liberté pédagogique créatrice
Je décidai de transformer mes pensées en actes; l’occasion fait aussi le larron : j’en étais parvenu, programmatiquement parlant, à l’ample mouvement wagnérien intitulé Vers la modernité.
Je dressai une série de cours à lire/questions de compréhension à réaliser – notées, ce qui me permettait de prendre un peu d’avance en termes de bons points, et éviter des accidents trop douloureux par la suite. Car je m’aventurais dans l’inconnu.
Puis j’entrai dans le vif du sujet : après avoir amené dans ma classe un simili de bibliothèque, aux ouvrages glanés de-ci de-là, accepté mentalement de voir utilisé mon ordinateur et mon smartphone comme base de données, avec envoi de liens vers des documents et illustrations sur les e-mails de tout un chacun, je lançai la mécanique de mon «atelier renaissance».
Liberté fut laissée aux apprentis de former les groupes qu’ils souhaitaient et de choisir les exemples historiques qui les attiraient – portant soit sur La Renaissance, soit sur les Grandes Découvertes géographiques et scientifiques de l’époque moderne.
Au tableau numérique interactif, je proposais diverses méthodes pour : chercher et sélectionner des documents parlants, des illustrations efficaces, reproduire ou réécrire des contenus de connaissances pertinents, ni trop denses, ni trop abscons, mettre en forme les recherches sur des panneaux de brouillon puis réaliser les panneaux définitifs.
Le résultat fut au rendez-vous : et les murs de ma classe sont aujourd’hui couverts d’exposés où l’esthétique rivalise avec le contenu informationnel, qui pêche sans doute par «anecdotisme», manque d’académisme, mais n’est jamais ennuyeux ni vide de sens.
Au contraire, il est parfois un peu trop interprétatif, tendance naturelle des enfants à se réapproprier les grands personnages, les grandes épopées et faire de Drake un nouveau compagnon de leur algarades imaginaires ou de Cortes un nouvel hidalgo de leur panthéon romantique.
Tout au long du processus, j’ai, de mes yeux vus, non seulement un travail de groupe se répartir, grâce à des directives fréquentes, de manière efficace et créative; mais encore, des apprentissages de relations se mettre en place, en un mélange de nature et de discussions entre le « maître » et les disciples.
L’objectif était bien compris par tout le monde : parvenir au meilleur résultat possible, en étant capable de gérer la diversité des personnalités, des capacités, des humeurs, etc.
Plaidoyer pour l’autonomie
J’ai constaté qu’il est possible de pratiquer, en appliquant les programmes dans leurs grandes largeurs, les nouvelles manières d’apprentissages, réclamées par la pédagogie XXIe siècle – qui a raison, sans doute, de vouloir garder une longueur d’avance.
Cette dernière est à trouver dans une autonomie plus grande des individus, alliée à une bonne intelligence, apprise le plus tôt possible, des relations humaines, de la force qu’elles peuvent constituer, le tout mâtiné d’une certain savoir-faire artisanal ancestral.
Pas d’expérimentations sans référentiels ni réserves – il est à préciser, donc, que j’ai du œuvrer seul face à mes classes, ce qui m’a littéralement épuisé. Chacun sait, en effet, qu’on ne peut pas donner de libertés et d’envies aux enfants, sans par ailleurs les guider dans la bonne direction.
Ceci requiert un dédoublement de la fonction professorale, entre stimulation des individus et recadrage des mauvais génies – sans passer, toutefois, par les moyens traditionnels – , qui mettraient en question, par leur existence même, l’exercice qu’on tente de réaliser. D’où un exercice d’équilibriste particulièrement subtil et brutal, dans lequel il semble normal qu’un oiseau solitaire y perde quelques plumes.
Ceci est, entre autre, un plaidoyer pour plus de profs dans les classes, deux pourquoi pas – ou tout autres adultes encadrants, qui pourraient venir épauler le fonctionnement d’une telle machine pédagogique.
Sinon, ce sont effectivement des robots qui, dans quelques décennies, s’occuperont de tracer les limites invisibles mais essentielles des espaces de travail, de liberté, de fonctionnement que requiert une scolarité qui roule !
Ce serait mieux, n’est-ce pas, que les robots s’occupent des tâches matérielles et les humains de guider les relations, les apprentissages et les réalisations scientifiques, artistiques, culturelles des générations à venir ?