Claire Delfosse et Sylvaine Boulanger sont enseignantes-chercheuses en géographie et présentent ce samedi 05 octobre une communication sur la manière dont les changements globaux et les attentes de la société affectent les terroirs viticoles et d’élevage. Claire Delfosse est Professeure des Universités à l’Université Lyon 2 (Laboratoire d’Etudes Rurales) et Sylvaine Boulanger est Maîtresse de Conférences HDR en géographie à Sorbonne Universités (laboratoire Médiations).

Définir le terroir

Dans le langage commun, le terroir évoque le goût, le lieu et parfois le « bio » s’accole au terroir. Son étymologie montre un rapport à la terre, au territoire, ce qui le relie aux ruralités. C’est aussi un espace avec des spécificités similaires sur un plan physique (pente, relief, climat, sol, finage…) comme le montrent le terroir viticole de Châteauneuf-du-Pape qui se développe sur un sol pierreux à galets qui donne sa renommée à ce vignoble. Dans le cas de l’élevage, les terroirs calcaires et l’herbe spécifique à ce milieu détermine le goût du lait ou de la viande. L’autre volet de définition du terroir relève des apports humains et donc d’une dimension sociale avec les techniques utilisées, par exemple avec la vinification et le choix des cépages.

Produits de terroir et origine par la dénomination géographique

Les produits de terroir ont dénomination géographique ; ils sont attachés par exemple à des noms de région (exemple du Cantal, de la région du Brie avec les différentes villes-marchés de Seine-et-Marne). Claire Delfosse rappelle que la loi de 1905 sur la répression fraudes définit pour la première fois les produits alimentaires (huile, vin…) et, plus particulièrement pour le vin, définit les attentes pour parler de vin rouge ou de vin blanc. Cependant, il faut attendre 1919 pour que soit votée la loi sur les appellations d’origine dédiée aux produits qui n’ont que des caractéristiques liées à l’origine de la production et dont le nom géographique tient le nom du lieu. Cette définition occulte cependant le cas de fromages non rattachés à un nom de lieu, comme le reblochon, et dont la protection est mise en place plus tardivement.

Le cahier des charges des appellations est un document central qui codifient les éléments liés à l’alimentation animale, le type de races dans le cas des appellations fromagères, à partir de la création d’un bureau des origines laitières en 1958. En outre, si l’Institut National de l’Origine et de Qualité (INAO) ne gère que les appellations viticoles jusqu’en 1990, les négociations liées au traité de Maastricht (1993) poussent l’institution à élargir sa couverture à l’ensemble des appellations.

La patrimonialisation des aires d’appellation

Au-delà des paysages, les gestes et le savoir-faire des exploitations transmis au sein des professions et des familles font aussi l’objet d’une patrimonialisation immatérielle. Ces gestes façonnent alors des goûts différents dans le produit transformé, y compris au sein d’un même terroir. Cette forme de valorisation est assez récente puisque les grandes transformations agro-industrielles des années 1960 mettaient l’accent sur les productions standardisées, en rejetant le terroir. Mais un renversement s’opère dans les années 1980 dans les représentations du terroir puisque les consommateurs cherchent à se distinguer à travers la qualité des aliments. Cette transition est accompagnée y compris par la grande distribution qui se met à créer des marques dites « de terroir ».

Au niveau de la production, les années 1990 se caractérisent par une explosion des demandes de protection avec des relances de produit de terroir pour maintenir l’agriculture dans les territoires. C’est le cas de la tomme de Bauges dont la reconnaissance s’inscrit dans la labellisation du Parc Naturel Régional des Bauges. Toutefois, l’agriculture de terroir est remise en cause à l’aune des crises environnementales, étant accusée d’une forme d’industrialisation, ce qui engendre une relecture des cahiers des charges.

Une approche classique des terroirs bousculée par les défis climatiques et sociaux

Les aléas climatiques catalysés à l’heure des changements globaux affectent les normes de production des produits de terroir. En effet, le stress hydrique amène les exploitants à solliciter des dérogations pour irriguer les vignes alors que le cahier des charges initial l’interdit. Au final, dans le vignoble alsacien, l’interdiction est levée depuis 2020.

Différents stades et échelles de vigne souffrant de stress hydrique en France. Sources variées

Les effets du stress hydrique sont ambivalents. Il peut être positif en permettant une hausse du sucre dans raisin, appréciable dans les régions septentrionales, avec des baies plus concentrées et un risque moindre de pourrissement. Mais si le stress hydrique perdure, il peut faire trop augmenter le sucre et donc l’alcool, et manquer d’acidité. Pour les élevages, la sécheresse engendre une tension pour l’alimentation animale puisque le foin est consommé dès la fin de l’été.

Ainsi les producteurs doivent d’adapter en mettant en place des méthodes d’irrigation, d’agroforesterie ou en remettant des arbres alors qu’ils avaient été supprimés afin de permettre la mécanisation. Parmi les autres mesures, on compte aussi l’introduction de nouveaux cépages (soit des cépages rustiques, soit des cépages avec un degré d’alcool moindre) qui doivent être testés quelques années avant l’autorisation définitive de l’INAO. Pour l’élevage, les températures d’été à plus de 30 degrés justifient le retour des prés vergers afin de fournir de l’ombre au bétail.

Une vision moins centrée sur l’ancrage : vers le retour de la nature ?

Au final, on assiste progressivement à un retour à la nature à travers des interventions minimalistes des Hommes qui sont valorisées en plus du cahier des charges réglementaire. Ainsi, certains vignerons font le choix des vins sans sulfites, dits naturels, à côté de leurs parcelles de vins conventionnels. Le vignoble alsacien est emblématique de cette orientation vers la biodynamie, ce qui permet à la fois de régénérer les sols et de créer des paysages appréciés des touristes.

Les attentes sociétales de retour au « local » sont visibles aussi dans les arbitrages entre les produits avec appellations assez industrialisés et les produits issus des circuits courts. Cette relocalisation de l’alimentation est visible à travers des mouvements comme « Terres d’ici », à Grenoble qui réactive des variétés plus anciennes de fruits. Dans l’élevage, au sein de l’appellation comté, on trouve aussi à présent des élevages de moutons pyrénéens, plus rustiques, qui pourront mieux s’adapter. *

Enfin, ces enjeux sont aussi liés à la concurrence pour le foncier entre les fonctions productives et les fonctions résidentielles.