Dans nos lycées, nous prenons grand soin de nos aspirants bacheliers. Point n’est besoin d’évoquer des longues préparations méthodologiques, réunionites et autres heures supplémentaires gracieusement offertes aux mânes de la Connaissance pour conseiller, rassurer, répéter, répéter, encore répéter. Parlons aussi des organisations des « bacs blancs ». Dans certains établissements, il existe aussi des «planches», pour faire à l’ancienne, un peu comme les baguettes «tradition» paraissent plus croustillantes que les baguettes normales.
Ces planches consistent en des oraux d’une vingtaine de minutes, qui suivent une préparation de même durée au cours de laquelle les élèves « planchent » sur des sujets blancs du Bac, en vue de nous exposer leur plan, leur problématique et la trame de leur introduction, conclusion et développement. Nous y avons entendu pleins de bonnes choses et la plupart de nos candidats décrocheront de bonnes notes.
Nous avons tous rencontré des situations vieilles comme le monde : certains vous demandent sérieusement, «entre nous», quels seront les chapitres sur lesquels tomberont les sujets du Baccalauréat; d’autres affirment plein d’aplomb que: si, bien sûr, ils ont fait l’impasse sur tel ou tel sujet, tombé l’année précédente ou celle encore avant, ou encore même jamais tombé mais attention – « c’est mon instinct qui parle monsieur ! » Nous écrivons cela avec affection car nous apprécions la diversité de personnalités de nos élèves, mais cependant, en certaines situations, il en va de notre devoir professionnel de leur expliquer qu’ils font n’importe quoi, en s’inventant n’importe quelle justification, même la plus contre-nature.
Nous pensions avoir tout entendu après ces quinze jours d’intenses révisions, façon extinction d’incendie pour quelques-uns. Normalement, le débat se calme avec le passage du Bac qui met tout le monde d’accord, d’autant que l’été et sa plage nous tendent les bras !
Fatale erreur ! Alors même que nous croulons d’ores et déjà sous les copies à corriger, nous prenons en pleine figure deux pétitions signées par plus de dix mille élèves réclamant justice car, contrairement à leurs prévisions, le sujet tombé cette année n’est pas celui qu’ils attendaient. Et de sortir leur fameuse justification contre-nature, à savoir qu’une alternance était respectée depuis 2011 dans la distribution des sujets, alternance qui n’a pas eu lieu cette année – pour des raisons d’ailleurs de fuite quelques jours avant l’épreuve, semble-t-il. Et là, on est confondu par l’absurdité de la situation : pourquoi continuer à faire passer un examen dont la légitimité est remise en cause au point que ce ne sont plus les examinateurs mais les examinés qui veulent décider de ses modalités d’organisation et tant qu’à faire, poussons le bouchon, de ses conditions d’attribution ?
Nous luttons toute l’année pour faire comprendre l’histoire-géographie, éveiller l’esprit critique et l’esprit de responsabilité des futurs citoyens grâce à l’étude fouillée des enjeux passés, présents et futurs de l’occupation humaine de la terre ; et tout ce qu’on obtient est une pétition – au moins cet usage démocratique est maîtrisé ! – démontrant la futilité avec laquelle certains élèves accueillent en réalité notre enseignement.
À quel moment le ver s’est-il introduit dans le fruit ?
Il s’agit d’une nouvelle preuve que la scolarité secondaire doit être repensée à la fois en termes de méthode mais encore, et surtout, en termes de bonne intelligence. Il n’y a plus coopération entre enseignants et enseignés, seulement une attitude consumériste des seconds qui nourrit le fatalisme grandissant des premiers.
Ce voyage vers le Baccalauréat, nous y croyons pour chacun de nos élèves. Nous ne sommes pas de ces profs – peut-être est-ce un tort – qui considèrent que certains sont capables et d’autres non. Tout le monde peut aller loin, mais il faut pour cela être honnête avec soi-même et avoir acquis, un jour ou l’autre dans sa vie, le goût de l’effort, le souci du travail bien fait.
« Travail bien fait ? », Ce n’est certainement pas le cas, hélas, de ces deux pétitions qui circulent sur des plates-formes en ligne. Farcies de fautes d’orthographe et de syntaxe, comminatoires sur le fond comme dans la forme, et traduisant un réel mépris pour ceux qui s’engagent par ce moyen pour des causes autrement plus nobles.
L’arbre ne doit pas cacher la forêt, et la majorité de nos élèves, faut-il l’espérer, ne sont pas dupes de cette forme de revendication. Mais l’existence même de cette démarche « pétitionnaire » est significative d’une dérive dangereuse. Pour ce qui nous concerne, comme association professionnelle d’historiens et de géographes, engagés dans le débat public sur nos disciplines, participant de l’éducation à la citoyenneté, nous disons de façon très claire à ces jeunes adultes en devenir qui nous sont confiés : « réfléchissez ! ».
Rien ne s’obtient jamais sans effort ni engagement. Dépositaires comme futurs citoyens d’une part de la souveraineté nationale par le bulletin de vote dont vous disposerez ou disposez déjà, bénéficiaires de ces droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et d’association, ne diluez pas ces valeurs que bien des habitants de la planète vous envient.
Cette revendication malheureusement exprimée vous conduit dans une impasse; espérons que celle-ci ne soit pas une voie de garage.
Une réaction publiée sur le groupe Facebook Les Clionautes.
Je voulais vous faire part de ma modeste réflexion quant au texte de Bruno Modica et Jean-Baptiste Véber relatif à la pétition des élèves et aux multiples commentaires qui ont suivi sa publication. Certes il s’agit d’un texte réactif où l’on sent pointer l’agacement. Agacement qui me semble être parfaitement justifié. Certes c’est un texte écrit dans l’urgence, ce qui lui est d’ailleurs reproché, mais l’auteur s’en explique clairement. Il ne s’agit pas, à mon sens, d’une soumission à la nécessaire immédiateté qu’impliquent les réseaux sociaux mais du besoin de répondre de façon urgente. Y’aurait-il quelque intérêt à publier un tel texte dans deux mois ? L’action des élèves demandait une réaction rapide avec, peut être, les défauts inhérents à la réactivité. Soit. Cependant, ne pas réagir c’est aussi laisser la porte ouverte à des agissements futurs encore plus surprenants et déstabilisants. La pétition comme jurisprudence en quelque sorte.
Bien entendu il est toujours préférable de réfléchir avant d’agir mais je ne décèle pas, pour ma part, de propos irréfléchis dans ce texte. Au-delà de la simple réaction au fait ponctuel le propos est nourri d’une pensée depuis déjà longtemps élaborée. La pétition ne fait qu’éclairer de façon abrupte une situation délétère. Que l’instruction se retourne contre les instructeurs pourrait être une très bonne chose dans la mesure où cela découlerait, précisément, d’une réflexion intelligente, construite et constructive. Cela prouverait alors que les enseignants ont rempli leur mission et nous ne pourrions que nous en réjouir. Ce n’est pas le cas et comme le disent les auteurs nous avons là, je crois, l’expression d’une attitude consumériste, au risque de choquer certains. Il va de soi que tous les élèves ne se comportent pas en consommateurs mais la maladie se répand renforcée qu’elle est par des comportements sociaux dont ils sont tout à la fois coupables et victimes. Il n’était donc pas nécessaire d’attendre le mois de septembre pour se livrer une nouvelle fois à l’une de nos activités préférées : la réunionite stérile. Je reprends le mot sciemment car il me paraît tout à fait justifié. Cela étant rien n’empêche de réfléchir plus posément à la rentrée pour tirer les conclusions de cet épisode malheureux et pour, comme le souhaitent certains à juste titre, avoir une approche plus large des problèmes relatifs au Bac et à l’enseignement en général. Vous l’aurez compris je suis en plein accord avec ce texte tant sur le fond que sur la forme même si, comme tout écrit, il pourrait certainement être amélioré.
Ici intervient donc la nécessité d’un temps plus long. Aujourd’hui tel n’est pas le propos. Le prétexte du temps nécessaire à la réflexion est parfois un argument facile pour céder la place au fameux « Laissez faire, ça passera » tant répandu dans l’Éducation nationale. On ne saurait reprocher aux auteurs d’avoir voulu prendre le train en marche, si j’ose dire.
Joris Alric