Nathalie Lemarchand travaille sur le commerce de détail depuis une vingtaine d’années, date où elle a passé sa maitrise. Elle n’a jamais quitté « ce champ d’étude passionnant qui est le reflet de nos sociétés », d’après ses dires.
A quoi fait-on face aujourd’hui pour penser/imaginer le commerce de demain ?
On peut penser à l’enjeu environnemental, la sécurité alimentaire, que mange-t-on ? Qu’a-t-on dans nos assiettes ? Pour consommer, on produit, et pour produire, on consomme des ressources naturelles. Se pose aussi la question de la qualité du cadre de vie. On peut donner l’exemple d’Europacity dans le Nord de Paris comme un des nouveaux centres commerciaux qui poseraient la question du cadre de vie et de la dimension environnementale ; de la mobilité et des flux des consommateurs, de l’accessibilité des liens (innovation) et de la question de la livraison des marchandises.
Cette technologie renvoie à l’identité du produit. On y inclue le digital et la musique. Le but est de construire une identité du lieu d’achat: la technologie des magasins Apple ou le fait d’aller chez Biocoop entraînera un lien futur pour forger l’identité du consommateur. C’est une Identité que ce lieu va produire pour le consommateur quand il est adepte d’y faire ses achats.
Il y a aussi les enjeux de la mondialisation sociale et culturelle à toutes les échelles, de production, de consommation et de distribution. Cela va de pair avec une justice sociale pour tous et une préservation du territoire.
Comment le commerce se transforme-t-il et quel est le succès des révolutions commerciales ?
Un grand magasin ne doit pas son succès à sa seule présence. On a pu le remarquer avec la fondation par Aristide Boucicaut du « Bon Marché » à Paris ou encore avec le « Bazar de l’Hôtel de Ville ». Le succès de ces nouvelles formes de commerce à chaque fois qu’elles ont émergées s’est accompagné de transformations spatiale, sociale et économique.
Nous avions une certaine centralité au Moyen Age autour des foires ; centralité qui a favorisé la polarisation des consommateurs.
La ville industrielle nait avec le passage aux grands magasins. On passe d’une économie qui s’appuie sur l’agriculture à une économie de la production industrielle. Cela va de pair avec une transformation industrielle. C’est la naissance des grandes vitrines : fer et verrières, créer le passage… s’accompagnant de transformations spatiales… et aussi d’une transformation sociale : la clientèle. Le Grand bazar de l’Hôtel de Ville se destine à la bourgeoisie intellectuelle et,en parallèle, on a la naissance de magasins populaires. Le schéma fonctionne-t-il au XIXème siècle avec un modèle centre/périphérie ?
Au XXème siècle, c’est l’émergence de la ville tertiaire. On a une transformation économique, car on bascule vers l’économie des services et des politiques de l’aménagement du territoire qui visent à l’industrialisation des villes moyennes au même moment délocalisées. Mais déjà le tertiaire est plus fort ! C’est aussi l’entrée massive des femmes dans les services.
Cette transformation économique est liée aux innovations : la voiture pour les ménages qui change le rythme d’achat des produits. L’hypermarché répond alors aux besoins de conditionnement et de rythme. La grande surface est visible dans le film de Jacques Tati « Mon Oncle », tout comme son urbanité qui est à la périphérie. Dans « Au Bonheur des Dames » d’Emile Zola, les petits magasins ferment au profit de la modernité.La ville post-industrielle est une ville métropolitaine. Une partie du centre-ville est piétonisée, dans les grandes métropoles on a des grands linéaires piétons. On retrouve une animation dans ces villes piétonnes.Sur cette photographie, on peut voir Radio Kiwi dans les marchés couverts de Montréal.
Les nouveaux commerces qui ouvrent dans les années 1970 s’accompagnent d’une restauration rapide avec les fast food. Et enfin s’ouvrent en masse les centres commerciaux, y compris dans les centres-villes.Avec l’apparition des hypermarchés, on peut acheter sa bague de fiançailles, le dernier prix Renaudot, des chaussettes et des steaks hachés au même endroit ! Le modèle centre/périphérie éclate et c’est le visage du commerce d’aujourd’hui qui se construit. 70% du chiffre d’affaire des commerces est réalisé dans la périphérie et le reste de celui-ci est attribué au centre-ville. Mais cette périphérie n’est pas homogène. On a + 19% d’espaces urbanisés entre 2009 et 2010 avec une densité moyenne de 400hab/km² dans l’espace urbain. Cette densité a tendance à diminuer mais en parallèle on a un étalement du cadre de vie des citadins.
De plus en plus de centres commerciaux végétalisent l’intérieur de leur galerie. Et puis on peut parler du « Dubaï Mall » qui n’a pas sa comparaison en France, là c’est carrément en centre culturel en aride et désertique !
Quel commerce dans les villes petites et moyennes ?
L’Association « Ville de France » définit une ville moyenne comme une ville ayant de 15 000 à 100 000 habitants et pouvant être plus ou moins polarisantes, avec leurs activités administratives, des activités portuaires… Ces villes moyennes ont majoritairement une valeur touristique sur lesquelles elles s’appuient pour augmenter leur fréquentation.
La vacance des logements en centre-ville ne cesse d’augmenter : elle passe de 7% en 2012 à 12% en 2017. Le long de voie de communication rapide, on voit des cabinets d’expert-comptable qui s’installent par exemple. La situation n’est pas la même partout. Les chercheurs, lorsqu’ils regardent, s’aperçoivent qu’il y a encore nombre de villes dynamiques en matière de commerce. On peut prendre l’exemple des petites villes en Bretagne avec une vitalité des tissus commerciaux dans ces espaces non métropolitains. Schéma multipolaire centre/périphérie.
Beaucoup de magasins se mettent en scène : on a envie de tout croquer quand on passe dedans et devant, comme « La Cure gourmande ».
Il est à prendre en compte la transformation commerciale avec le e-commerce. C’est un changement dans la société de consommation. Les jeunes ménages qui ont vécu leur enfance dans la périphérie de la ville s’installent eux même dans l’espace périphérique. Où commence la classe moyenne et où finit-elle ? A-t-on un éclatement des classes sociologiques ? Un « start-upeur » qui commence n’a pas forcément le capital social de Bourdieu et va faire éclater les typologies sociales.
On peut parler d’une nouvelle société de consommation : 80% des ménages possèdent une voiture dans la moyenne européenne mais, en France, nous sommes au-dessus de ce chiffre. On a aussi une consommation de la culture et une revalorisation du local. Le consommateur recherche une proximité de valeur morale : par exemple les « Artisans du monde ». On peut rechercher une classe semblable à la nôtre mais ailleurs : l’exemple de l’aide et du commerce équitable est aussi une proximité de commerce de territoire. On peut faire émerger l’idée d’une déconsommation par le commerce d’occasion et de recyclage.
Le commerce de demain sera celui qui arrivera à développer les enjeux de la diversification des territoires commerciaux, dans les lieux et dans les formes multiples variées, avec des quartiers qui doivent aussi être des lieux d’achat mais aussi des espaces de consommation eux-mêmes : c’est l’expérientiel. On va transformer le consommateur quand il vient avec juste une ambiance et un environnement urbain. Le but est de flâner, s’amuser, se distraire, sortir de la temporalité du quotidien : le marché pour cela représente un bon moyen. La temporalité et l’échange commerçant, social, permet d’apprécier ce moment.
Le commerce virtuel aussi passe de plus en plus au physique : « Pure Player » est une enseigne qui a commencé uniquement sur le net et elle commence à avoir de vrais magasins, car elle s’est rendue compte de la nécessité d’un échange réel.
Voici quelques exemples des commerces de demain (Cela peut faire penser au film « Le Cinquième Elément » avec la voiture volante). Le commerce alimentaire revient dans ces villes souvent sous la forme de circuit court. Le commerce de demain devra relever le défi de l’enjeu technologique et de la mondialisation. Car oui, on a une dimension techniciste du commerce avec la robotivité.
Questions posées à l’intervenante :
• Rôle des franchises : satellisation du commerce, est ce que les franchisés sont en train de se développer par rapport aux petits commerces ?
La franchise a déjà plus de 30ans, elle est arrivée en même temps que la piétonisation (dont la première ville à l’avoir mis en place est Rouen) et avec l’essor des Fast Food. La franchise sert aux enseignes à développer leur réseau. Souvent, aujourd’hui, elle ferme avec le développement du e-commerce et par rapport à la vitalité du territoire sur lequel elles vont s’implanter. « Nature & Découverte » va fermer une vingtaine de magasins, par exemple.
• Monnaie complémentaire, top ou flop ?
C’est bien pour redynamiser l’échange local, mais ce n’est pas en soi une solution pour la redynamisation du commerce de centre ville. Quel est l’identité des centre commerciaux ?
• Dans les années 1950/60, par manque de motorisation, les artisans et commerçants livraient à domicile, y a-t-il des perceptives aujourd’hui encore de renouveau dans cette pratique ? (Ex : vente de tupperware)
La tournée, nouvelle génération de vendeurs attentifs motivés de développer un petit commerce artisanal et au plus près du territoire dans lequel ils s’installent. Le commerce ne pourra rien faire pour son territoire.
• Image des villes et des centres villes et de leur vacance : « Action Cœur de Ville », réelle manière ?
Ce panorama sombre des centres-villes n’est pas partout pareil ! Il y a des centres villes dynamiques. Plurifonctionnalité : le commerce est une activité transverse : les élus considéraient qu’il suffisait d’ouvrir un magasin, avoir la place, pour que ça fonctionne. Maintenant, les élus commencent à comprendre qu’il faut bosser avec les acteurs privés et les commerçants pour revitaliser leur territoire. La vacance, c’est 12% de logements dans certaines villes moyennes, ce sont souvent des logements en mauvais état. Le logement moderne et connecté, c’est celui de la périphérie, donc il faut une opération de remise en état des logements dans le centre-ville. Sur le culturel et sur l’animation, il y a aussi des choses à faire. Les nouvelles unités de production se mettent en périphérie : Toyota est implanté à 10min d’autoroute de Valenciennes, à Saultain ! Pas à Valenciennes… Les petites unités de production spécifique peuvent revenir dans le tissu urbain mais cela pose la question de la population, donc la production restera encore majoritairement en périphérie.
• Repenser les politiques de stationnement ?
La question de la mobilité est importante oui, mais elle pose la question du défi environnemental. Cela peut se combiner au e-commerce, aux commerçants virtuels et physiques qui peuvent se combiner. Par exemple, l’enseigne « Carrefour » ouvre ses « drives piétons » : on va chercher son panier dans un petit casier. Dans le PLU, nécessairement, la question des livraisons et des déplacements est une obligation. De Gaulle voulait modifier les villes en disant que la voiture devait venir en ville. Maintenant non.
• Thierry Paquot s’est exprimé sur l’ouverture des commerces le dimanche. Pour favoriser l’achat, augmenter la comparaison commerciale, les acteurs publics y sont aussi de plus en plus favorables. Mais Nathalie Lemarchand espère qu’on va conserver un temps d’échange amicale, familiale et associatif en dehors des espaces commerçants le dimanche !
• On peut noter une absence d’engagement de la part des enseignes : elles doivent respecter le code du commerce et de la libre entreprise, donc cela pose un problème. Les franchises ne développent par leur réseau aussi facilement qu’il y a 6 ou 5 ans mais il y a des stratégies de réseau. Pour l’enseigne, cela peut avoir un intérêt mais pour la municipalité ça doit être un travail de coopération pour que ça marche, un ensemble des fonctions établies sur le territoire de la municipalité.
© Pauline ELIOT, pour les Clionautes