Cette table ronde propose de faire dialoguer Monique POULOT, géographe, Christian HUYGUE, Directeur Scientifique Agriculture à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE), Eric FOTTORINO, écrivain, journaliste, auteur de Mohican (Folio) et Hélène BÉCHET, coordinatrice territoires et collectivités à Terre de liens.
Elle est animée par Thibaut SARDIER, géographe et journaliste qui propose tout d’abord à chaque intervenant d’être nommé Ministre de l’agriculture en cette période de chaise musicale ministérielle et de dire quel serait son programme pour l’agriculture française à l’horizon 2050 !
CH : 2050 devrait être l’époque d’un Everest alimentaire :
- avec une agriculture qui produira des bien alimentaires mais aussi de l’énergie, car actuellement trop d’énergie solaire tombe sur le sol sans être exploitée
- pour toute activité agricole on devrait arriver à mesurer les bénéfices et les coûts cachés comme les impacts sur l’environnement et la santé, ce qui n’est pas assez fait actuellement
- les territoires ruraux et agricoles évolueront vers plus de production et consommation locales avec des économies de gamme et d’échelle, pour une réelle évolution des systèmes alimentaires.
- certainement nous aurons moins de machines mais plus de panneaux solaires dans les champs, car 1 ha de panneaux photovoltaïques permet à 1 voiture électrique de moyenne gamme de faire 2 millions de km (pas la Zoé de Renault car elle consomme moins). D’où l’intérêt de générer des crédits impôts/recherche pour aboutir à des activités plus vertueuses.
HB : Développons « Terre de liens », mouvement citoyen pour l’accès au foncier et l’épargne civile ! Son credo : « Faisons pousser des fermes ! » avec une taille familiale et jeunes pour dynamiser les campagnes. La SAFER contrôle le marché des terres en France et c’est d’ailleurs quasiment le seul pays en Europe où c’est le cas.
EF : Il ne faudra plus penser « je produis donc je suis » mais « je produis et je protège donc je suis ! » D’ici 2050, il faudra protéger l’agriculteur avec des pratiques différentes et une agriculture raisonnée, sans épandage près des écoles… Le monde agricole ne doit plus être une « hémorragie d’agriculteurs qui coûtent plus chers qu’un chômeur ». Cf. René Drumont et Henri Mendras qui ont écrit La fin des paysans ou encore Fernand Braudel Identité de la France où l’on montre le chambardement de le France rurale là où l’Allemagne ou les Pays Bas ont plus été des nations d’agriculteurs capitalistes protestants.
Lire Qu’est-ce le revenu agricole ? publié par l’INSEE pour décortiquer le revenu de nos paysans. Cela permet aussi de comprendre quelles sont les incitations à la production et au productivisme.
MP : 2050 devra être l’année d’un contrat de l’agriculture avec la population. Le productivisme a brisé la confiance entre les consommateurs et les producteurs. Il faut renouer le fil, comprendre l’agriculture hautement techniciste et décapitaliser celle-ci car il est devenu impossible de lire l’agriculture. Aussi il faut y remettre des hommes et du sens. L’exemple de l’élevage charolais où 1 éleveur seul sur place H24 dans son exploitation ne touche même pas un SMIC doit cesser !
HB : La loi EGalim qui oblige 40% de bio dans la cantine scolaire va dans le bon sens. Les communes rurales ont du foncier à mettre à destination des cantines, il faut créer plus de « fermes municipales » et de maraîchers municipaux ! Même à Paris le long de la vallée de la Seine on a des productions à destination des cantines. Généralisons le bail rural environnemental qui oblige le maintien de haies sur les exploitations en échange de la location de terre aux paysans !
CH : La question portera d’ici 2050 sur la dépendance de l’agriculture face aux conditions locales (sols, climats, humains…). 70% des Français vivent en ville et les aides de la PAC sponsorisent toujours les moyens de production… Pour l’élevage dans le Charolais jusqu’en 1962 des éleveurs travaillaient avec des charrues.
On a besoin de reterritorialiser ! Lactalis est le 1er groupe de production de lait au monde mais pourtant il ferme des fermes en France et ne prend pas en compte le service environnemental. Nous devrions plus travailler sur les holobiontes : fruits des gènes d’un hôte et de ses microbes, pour mieux contrôler les maladies fongiques et regarder ce qu’il se passe ailleurs dans le monde pour nous permettre de faire face à nos incertitudes et de réaliser des diachronies. Ex : la démographie de Lagos est une des plus exponentielles, comment la nourrir dans un scénario de zone tropicale compliquée pour la vie humaine selon le GIEC ?
Enfin il faut que le consommateur accepte de payer le vrai prix des choses.
MP : Cela pose la question de la responsabilité de tous : la responsabilité foncière des collectivités ou dans les consommer local des citoyens. D’où l’action de relocalisation locale, à l’intercommunalité ou dans le département au maximum, en échelle emboîtée.
EF : La fermeture des grands stocks céréaliers va poser problème. Cf. l’ouvrage d’Eric Fottorino en 1990 La France en Friche. Brice Lalande en 1980, ministre de l’Agriculture sous Mitterrand associait vraiment l’agriculteur à un pollueur.
De nos jours, beaucoup d’agriculteurs ne sont pas forcément fils d’agriculteurs : 60% des personnes qui souhaitent s’installer en exploitation en 2020 ne sont pas issus de l’agriculture !
Il conviendrait de payer le juste prix de leur production agricole tout en ayant un souveraineté alimentaire même s’il est difficilement concevable que les échanges et frontières soient fermés aux produits agricoles étrangers.
HB : Le bail rural sécurise le paysan car on ne peut pas lui reprendre la terre qu’il loue n’importe quand et comment et il a l’assurance de fournir les cantines. Il faudrait donner plus de cours aux intendants des établissements pour contourner le marché public. Il faudrait aussi fluidifier la ceinture verte autour de la ville avec des réglementations. Cf. Le site Territoire fertile, un outil libre et gratuit au service de la transition agricole et alimentaire dans les territoires. Dans les Vosges on a assez de terres pour nourrir toute la population des Vosges ! Pourtant on ne le fait pas…
PH : Cela pose la question de la distribution. Avoir une souveraineté alimentaire ne signifie pas forcément être autosuffisant. Cf. Les travaux d’Edgar PISANI, ancien Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire de la France, qui fut l’artisan des grandes lois agricoles de 1960 et 1962 qui permirent la modernisation de l’agriculture et la refonte de l’enseignement agricole, ainsi que le rôle des Chambres d’agriculture créées en 1924.
MP : L’innovation des MIN (comme celle de Rungis) pour nourrir des grandes agglomérations a été déterminante. Les communes ont du mal à empêcher les grandes surfaces de s’installer dans les villes petites et moyennes. Aujourd’hui, 70 % de nos achats alimentaires sont faits en grande surface ! Il faudrait une politique publique pour limiter les grandes surfaces car les collectivités les acceptent souvent pour l’emploi qu’elles procurent. En même si la collectivité refuse l’installation, la grande surface peut s’installer sur la commune d’à côté…
HB : Une diversification des fermes est à envisager avec plus de promotion pour l’humanité et la désirabilité du métier d’agriculteur (plus de vacances, assurances et aides pour sortir de l’isolement…)