En France, la lutte entre jacobins et défenseurs des langues locales est séculaire. Je vais parler ici de l’occitan, qui est la plus grande langue régionale, du moins par la superficie concernée, et dans un autre document j’aborderai celui des langues locales ou minoritaires en général.

Données de base

L’occitan est une langue dérivée du latin, comme le français ou l’espagnol, ses voisins du Nord et du Sud. Elle est ou était parlée de Bordeaux aux Alpes (où elle mord un peu sur l’Italie), et du Massif central aux Pyrénées (où elle mord un peu sur l’Espagne). Voir la carte :

Cette carte, comme la plupart de celles relative aux langues de France, induit les non-avertis en erreur, parce qu’elles ne font pas ressortir que ces langues sont aujourd’hui parlées par une très faible partie de la population. Et ce nombre de locuteurs surestime le nombre de pratiquants, car il faut trouver un interlocuteur ce qui est de plus en plus rarement le cas en famille ou face à une personne en activité, donc trop jeune pour la parler encore. Enfin j’ai choisi la carte la plus simple, d’autres cartes subdivisant encore plus l’occitan en dialectes locaux.

L’enquête INSEE de 2011 évoque 600 000 locuteurs (actifs ou passifs ?) sur au moins 20 millions d’habitants (selon l’endroit où l’on place à frontière de la langue), soit 3 % de la population locale. Les textes spécialisés évoquent l’absence d’enquêtes sociolinguistiques pouvant préciser ce nombre.

Du fait de l’âge des intéressés, la proportion est encore plus faible aujourd’hui même si quelques dizaines de milliers d’élèves (extrapolation optimiste après consultation de plusieurs sites d’enseignement) ont appris plus ou moins d’occitan à l’école.

L’occitan existe-t-il ?

Bien sûr, mais il faut bien préciser de quoi on parle.

S’il s’agit de la langue effectivement pratiquée, les variations sont considérables entre le gascon à l’ouest et les vallées italiennes à l’est. Et parmi ces variantes de l’occitan il y a le provençal, qui, pour certains, est une langue à part entière.

La première idée qui vient à l’esprit est de vérifier s’il y a intercompréhension, c’est-à-dire si un villageois gascon peut échanger avec son homologue des Alpes italiennes. Malheureusement il n’y a pas témoignage sur ce sujet, car l’occitan n’est effectivement parlé qu’entre seniors voisins.

Cela nous mène à l’occitan « officiel », celui qui est enseigné dans les écoles et qui a donné lieu à des manuels, et donc à une standardisation. La question devient alors : les élèves formés à l’occitan dans ces écoles sont-ils compris par leurs grands-parents ? Oui bien sûr disent les partisans de l’apprentissage scolaire de cette langue. Sans avoir fait d’études sur ce sujet (y en a-t-il d’ailleurs ?), quelques témoignages recueillis m’ont montré que ce n’était pas évident. Mais ce n’est pas un échantillon scientifique et j’en ignore la représentativité. En tout cas pour le breton pour lequel j’ai davantage témoignages, les réactions sont très mitigées.

Bref la scolarisation a davantage pour objet de « sauver » la langue que de l’utiliser en famille, même dans celles qui, exceptionnellement, ont un « senior » qui l’utilise.

Faut-il « sauver » l’occitan et comment ?

J’aborde cette question pour l’ensemble des langues locales ou minoritaires dans le deuxième texte que je vous ai signalé. Je vais donc seulement ici me borner à leur application à l’occitan.

Il y a d’abord l’aspect historique et scientifique : de même que nous avons « sauvé » le latin et le grec ancien, ou que les Indiens ont « sauvé » le sanscrit, il y a le respect pour toutes les formes culturelles, ce qui implique une attitude ouverte et des mesures d’archivage. J’ai notamment vu passer des informations sur un archivage sonore des langues de France ayant pour objectif d’en faire un atlas. Je pense que ce point recueille l’accord général.

Il y a ensuite l’accueil et la considération des locuteurs actuels. À mon avis c’est du ressort des autorités locales, car la proportion de personnes concernées est très variable d’un endroit à l’autre et peut par exemple être notable dans tel village. C’est au maire de décider s’il veut par exemple tel affichage bilingue, appuyer telle école ou association, nommer telle interprète pour faciliter les démarches des – très rares – occitanophones ne parlant pas bien français etc.

Il y a également la question de l’enseignement bilingue ou par immersion. C’est évidemment une manière efficace d’apprendre la langue, en ne perdant pas de vue que ce sera la langue standard et non la langue parlée. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Les uns disent qu’il vaudrait mieux utiliser les heures de cours d’occitan au bénéfice d’une meilleure maîtrise du français, des mathématiques etc. D’autres soutiennent qu’un apprentissage bilingue est excellent pour le cerveau, ce qui est probable, mais également valable pour le latin, l’anglais ou l’espagnol. Ma préférence personnelle va au latin qui est le meilleur moyen que je connais de parler un français de bon niveau, mais je sais que c’est controversé. De toute façon, à mon avis on est dans le domaine de la liberté individuelle ou d’association.

Et non, toujours à mon avis, dans celle d’une législation nationale, par exemple une officialisation partielle ou totale. En effet, l’officialisation si pose des problèmes de coût et de complexité pour lesquels je vous renvoie à mon autre texte. Cette revendication est néanmoins soulevée assez vigoureusement en Corse et moins nettement pour le breton, l’occitan, l’alsacien, le basque…

Vous remarquerez que je n’ai pas soulevé l’objection jacobine : « la république étant une et indivisible, toute différenciation, linguistique en l’occurrence, est une menace pour l’unité nationale ». Cette objection en effet ne me paraît pas valable dans le cas de l’occitan : quelques centaines de milliers de seniors n’ont ni l’envie ni les moyens de se lancer dans une action séparatiste.

 

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