Face aux crises géopolitiques et à la crise sanitaire et leurs interactions combinées, comment imaginer et créer de nouvelles voies d’innovation pour le secteur agricole ?

Intervenants : Sébastien Abis – directeur du Club Demeter et chercheur, Andréa VinGroupe NatUp, Catherine Migault, Groupe Crédit Agricole, Nathalie Belhoste , Enseignante-chercheure – GEM

 

Chacun des intervenants est invité à se présenter. Puis Nathalie Belhoste introduit le sujet. D’ici 2050 il va falloir nourrir entre 8 et 10 milliards d’humains dans un contexte de bouleversements : raréfaction de la ressource, changement climatique, pollutions alors même qu’aujourd’hui, selon le Programme Alimentaire Mondial, 800 millions d’humains souffrent de la faim. La table ronde se centrera sur la France : les grands enjeux, la place de la France, l’innovation.

Quels sont les grands enjeux ?

Comment définir la sécurité alimentaire ?

SA : Agriculture et alimentation sont des notions ancrées dans une histoire très longue et semblent banales. Cela concerne tout le monde sur la planète. L’alimentation est une exigence vitale et quotidienne à satisfaire en termes de quantité, de qualité et de diversité. Face à ces exigences, des mondes professionnels agricoles complexes oeuvrent pour y répondre. L’adaptation est une réalité permanente pour le monde agricole depuis toujours. En effet, le climat change, les consommateurs ont des attentes variées et les réalités politiques interviennent également. Le monde agricole est un expert de l’adaptation.

La sécurité alimentaire suppose la production quantitative donc la disponibilité mais aussi l’accessibilité : logistique et pouvoir d’achat. N’oublions pas que l’écrasante majorité de la population mondiale considère sa dépense alimentaire comme principale. En effet, un français sur deux compte ses dépenses alimentaires. La problématique est universelle.

La sécurité alimentaire suppose aussi l’équilibre nutritionnel donc le rapport nutrition / santé est essentiel.

Il y a donc trois sujets :

  • géopolitique : pas d’agriculteurs pas d’alimentation  donc insécurité alimentaire
  • le monde agricole doit nourrir la population mais aussi réparer la planète en participant à la transition vers le développement durable
  • l’équation alimentation / santé car bien se nourrir c’est augmenter  son espérance de vie

Les acteurs traditionnels sont bien sûr mobilisés mais de nouveaux acteurs interviennent de plus en plus.

Quelle est la place de la France face à ces enjeux ?

NB : Comment interprétez-vous ces défis dans le cadre de vos structures respectives ?

CM : Je voudrais mettre en évidence les progrès agricoles de la France depuis 50 ans. Après la 2ème GM, la France était en insécurité alimentaire mais la politique publique a visé à assurer la sécurité alimentaire mais aussi à développer les exportations. La France contribue actuellement  à assurer la sécurité alimentaires d’autres pays. Si elle est critiquée aujourd’hui l’agriculture s’est adaptée et  va devoir encore  évoluer dans un monde nouveau.

Durant la COVID, l’approvisionnement a été assuré parce que le système fonctionne. cela n’a pas été le cas partout. L’alimentation est de qualité, diverse et abondante. L’écosystème agricole est performant mais on doit changer de modèles à cause du changement climatique et de la biodiversité. Ces enjeux sont de vrais challenges pour l’agriculture. Le sujet majeur est la démographie, 1/3 des agriculteurs vont partir à la retraite dans les 10 ans. Le modèle d’une agriculture familiale est remis en question, il y a des choix politiques et économiques à faire. Des transformations majeures nous attendent.

AV : Je suis très optimiste, au sein du groupe Nat Up,  face à ces défis même si la pression environnementale , sociale ou alimentaire est forte. Le secteur agricole s’adapte en permanence, les modèles agricoles se transforment.  La diversité des modèles agricoles va permettre de répondre à ces enjeux. Les défis : produire plus, une alimentation de qualité, des exploitations plus grandes pour  produite avec plus d’efficacité mais aussi demande de la société en terme de produits locaux, fermiers ou bio. Heureusement, une diversité d’agriculteurs et d’agricultrices  peut répondre.

NB: Être agriculteur, est-ce avoir plusieurs métiers ?

AV : Un agriculteur produit,  est victime des évolutions climatiques, agit sur l’environnement, et est acteur de la transition écologique  par son utilisation d’intrants par exemple. Il apporte  également des solutions. Le métier se complexifie. 

NB : Pouvez-vous donner des exemples ?

AV : Il faut valoriser la production et trouver des débouchés. Nous  recherchons des filières ou  des niches économiques. Le groupe NatUp a développé, par exemple,  une filière Lustucru /blé dur normand. La transformation du blé se réalise en local.  Mais est-ce que le consommateur est prêt à payer la qualité de ce produit ?

Les agriculteurs contribuent à la réduction des GES avec de nouvelles pratiques puisqu’il faut modifier les habitudes. En matière de réduction des produits phytosanitaires qui sont décriés, on innove pour trouver des solutions alternatives. Les agriculteurs fonctionnent sur l’annuel c’est-à-dire qu’ils sont soumis aux saisons. Il a une quarantaine de saisons d’exploitations pour tester de nouveaux produits ce qui est rapide. Le coopératif permet de mettre en commun pour trouver des solutions. 

NatUp a développé une filière lin.

NB : On veut diversifier, avoir des biens compétitifs mais on risque de devoir polluer… Peut-on concilier ces injonctions contradictoires ?

SA : La  France et  l’Europe  ont une spécificité. En effet, le système fonctionne bien, la sécurité alimentaire est une réalité et il n’y a pas eu d’inflation alimentaire pendant la crise COVID. 

À l’échelle mondiale, les agricultrices (SA souligne agricultrices) sont la base de la production alimentaire. En Afrique moitié des femmes qui travaillent, travaillent dans l’agriculture, en Asie c’est  1 /3. La féminisation est globale. 

Ce qui peut poser problème pour innover, investir c’est qu’il faut des prix rémunérateurs pour l’agriculteur. Aujourd’hui la qualité des productions augmente mais pas les prix. Comment monétariser les services écologiques comme la séquestration du carbone ?

Une tension existe autour de la reconnaissance sociale et de la justesse économique.

En France, l’agriculture produit de la nourriture mais aussi des matières premières. Par exemple, la betterave produit du sucre mais elle contribue aussi au mix-énergétique (agrocarburants) et à la fabrication du gel hydroalcoolique si utile avec la COVID.

Le monde agricole est très diversifié dans ses pratiques et  débouchés. Il est un maillon de la chaîne de la sécurité alimentaire. Les mondes agricoles sont très présents et  s’adaptent sans arrêts.
Les innovations y sont plus présentes que ce que pense le public.

Comment l’innovation intervient-elle dans ces défis ?

NB : Qu’est-ce-que le Crédit agricole, NatUp mettent en place pour soutenir l’innovation ?

CM : Je voudrais rappeler l’importance de la dimension collective du métier d’agriculteur. Les questions de revenu sont importantes. En effet, les marges dégagées par les agriculteurs sont assez faibles. On ne peut pas investir si les revenus sont faibles. Face à cela les injonctions sont dures : arrêter les phytosanitaires mais comment produire sans ? Il faut organiser aussi de nouvelles filières telles que le lin qui doit être re territorialisé pour limiter l’impact carbone et répondre justement aux injonctions climatiques. 

L’agriculture est un maillon de la chaîne avec les industriels, l’État, les régions, la PAC, et le banquier assureur qu’est le Crédit Agricole. Il a son rôle pour, demain, assurer les pertes de rendement liées au changement climatique.  Les aléas climatiques entraînent des pertes de repères. Certains assureurs pensent au désengagement.  Cela qui serait dramatique pour les agriculteurs qui doivent investir de manière sereine. L’accompagnement technique et financier  est essentiel.  De même,  les consommateurs et les citoyens  peuvent  participer par une meilleure connaissance de ce secteur économique. Le challenge est vraiment collectif car l’agriculture véhicule des valeurs universelles. Heureusement des acteurs nouveaux commencent à s’intéresser à ces sujets.

Pour éviter l’agribashing, il faut éduquer la société qui doit comprendre.  On ne peut pas  exiger des évolutions impossibles.

AV : L’innovation fait partie des gènes de NatUp. Le collectif, c’est important. Nous accompagnons des groupes qui testent une modulation de l’apport d’engrais à la parcelle. Grâce à une connaissance précise du sol, on apporte la juste dose au bon endroit. C’est donc une performance écologique et économique. Les agriculteurs sont ici accompagnés et avancent ensemble. 

Les innovations sont nombreuses : robotisation, tracteurs autonomes, agriculture de conservation des sols, travail sur les semences, mise à disposition de nos coopérateurs de produits phytosanitaires innovants.

CM : L’innovation est une obsession du Crédit Agricole. Nous soutenons des startups dans 37 villages en régions. 1100 startups, dont 86 sont dédiées à l’agriculture,  sont accompagnées au sein des villages et travaillent avec différents partenaires. Les autres sont dans l’agro-alimentaire. Elles travaillent l’innovation « du champ à l’assiette ». Ces startups représentent des valeurs ajoutées.

SA : L’innovation doit être bien calibrée aux besoins des agriculteurs. Elle est  plurielle : digitale, socio-organisationnelle, environnementale et climatique car il faut réduire l’empreinte carbone de cette activité. L’agriculture doit produite, nourrir la planète et la réparer en même temps. Par conséquent, cela nécessite l’innovation mais celle-ci doit servir le maximums d’acteurs et de consommateurs. 

Une bonne innovation est capable de traverser les époques et de supporter les crises (climat..) donc d’être constante. On a besoin d’innovations venues du monde entier et de tous les secteurs. La Chine et le Japon innovent beaucoup mais  il  ne faut pas oublier l’Afrique notamment grâce aux initiatives des femmes.
L’agriculture peut peser sur les transitions.

Questions du public

Pouvez-vous proposer des exemples d’innovations ?

CM : Une startup modélise les systèmes pour des simulations d’aide à la décision, par exemple simuler un accident climatique et montrer les effets sur le revenu de l’agriculteur

AV : Les Data. Exemple d’une startup normande Veragro de fertilisation à base de lombrics.

SA : L’innovation n’est pas seulement dans les startups. Le monde agricole est un formidable Lego qui permet à la chaîne alimentaire de s’exprimer. La France est un leader européen de la foodtech.

On produit assez pour nourrir le monde mais il y a un problème de disponibilité (logistique, chaîne du froid, gaspillage).

Les deux leviers de la sécurité alimentaire :

-La paix est indispensable comme la lutte contre le gaspillage

-la lutte contre les pertes agricoles, les gaspillages.  

L’innovation permet évidemment de rapprocher la production du consommateur.

Question sur les PAT (plan alimentaire territorial)

CM et AV semblent ignorer ce que sont les PAT.

Va-t-on vers une agriculture trop industrielle ?

SA : Deux écueils sont à éviter une vision passéiste de l’agriculture familiale de subsistance et les très grandes exploitations type « ferme des 1000 vaches ».

En Europe,  existent des modèles diversifiés avec des tailles d’exploitations moyennes. Mais ils sont performants et très différents de la grande monoculture brésilienne.
On a besoin de complémentarité au niveau européen en faisant attention  à ce que les PAT n’enferment pas dans une approche trop localiste.

En guise de conclusion par SA : le rapport à l’alimentation devrait être travaillé depuis le plus jeune âge dans les écoles pour sensibiliser et modifier le rapport à l’alimentation. C’est un sujet qui permet de rassembler.