Le débat parlementaire sur le projet de loi « refondation de l’école de la république » est dans sa phase parlementaire. Sans surprise la question pratique des rythmes scolaires n’y figure pas et sera donc traitée par décrets.
Trois raisons à cela.
- D’abord la nature même de la loi qui ne permet pas d’intégrer les modalités pratiques des orientations législatives.
- Ensuite parce que cela implique une autre mesure législative concernant la décentralisation.
- Enfin le fait que le sujet est explosif dans la profession et dans la société en général, particulièrement auprès des élus locaux.
Il est utile de préciser avec une perspective historique et critique quelques éléments afin que nos collègues saisissent le plus complètement possible les enjeux.
Dans le primaire les choses devraient être simples et elles sont déjà compliquées. En effet, le passage à la semaine de 4 jours a été neutre sur le temps de travail des enseignants du primaire. Il n’ont pas bénéficié d’une réduction du temps de travail puisque la demi-journée supprimée a été compensée intégralement par 2 heures hebdomadaires de soutien personnalisé et des demi-journées de travail sans élèves. Il était donc possible de revenir à la situation antérieure. Si cela n’a pas été fait c’est qu’il s’agit de déconstruire la semaine pour préparer le terrain à une refonte de l’année dans le premier comme le second degré.
A partir du collège il est prévu de diminuer le temps de travail des élèves, sur la semaine mais pas sur l’année, sans diminuer l’horaire hebdomadaire des enseignants, mesure qui pourrait sembler normale au vu de la réduction du temps de travail des professions salariées ces dernières années.
Des diminutions d’horaires en Histoire -géographie
Une première conséquence de la diminution de la semaine des élèves sera la diminution des horaires des matières. L’Histoire-Géographie – on l’a constaté avec les nouveaux horaires annoncés en première et en terminale S – n’est plus, ou n’est pas, une matière prioritaire.
Il faudra donc être extrêmement attentif à de possibles réductions horaires. Cela d’autant que les matières instituées, appuyées sur des disciplines universitaires, sont fortement mises en concurrence avec des heures aux contenus « transversaux » comme l’accompagnement personnalisé ou les enseignements dits d’exploration type « littérature et société » ou pire encore car sans moyens réels, «Création et innovation technologique.»
Le socle disciplinaire s’érode. La réforme des rythmes scolaire a une logique du renforcement des activités périscolaires, déjà engagée en primaire à l’occasion de la refonte de la semaine. Elle pourrait bien être l’occasion d’engager ce processus dans le secondaire et d’attaquer encore plus le « dur » de l’Histoire et de la Géographie.
Diminuer le temps de travail hebdomadaire des élèves ne peut que mécaniquement correspondre à un nombre de semaine travaillées supérieur et, par conséquent, par une diminution du salaire horaire des enseignants. Une augmentation des traitements pourrait résoudre ce conflit entre organisation pédagogique et question salariale mais le contexte économique la rend hautement improbable.
Des conséquences pour les personnels
Bien au contraire il est officiellement prévu de laisser le salaire réel des enseignants continuer à baisser, hors promotion d’échelon ou changement de corps. Mettons en perspective concrète : depuis que le point d’indice augmente plus lentement que l’inflation le salaire des enseignants a baissé en euros constants d’environ 350 euros.
Augmenter le nombre de semaines travaillées est d’autant plus facile que nos congés ne sont nul part définis explicitement comme étant ceux des élèves. C’est l’usage, avec quelques accrocs comme l’institution de la pré-rentrée en 1970 et le passage d’un à deux jours en 1998.
J’ai connu la mesure qui, avant la « reconquête du mois de juin », repoussait d’une semaine la date du baccalauréat. Dans un premier temps cette semaine a été intégralement compensée et les lycées rentraient une semaine les collèges. Puis cette semaine de décalage a disparu en faisant donc travailler les professeurs du lycée une semaine de plus qu’auparavant.
Cette perspective d’une augmentation du temps de travail sans contrepartie peut difficilement être présentée comme telle. Elle surgira donc derrière d’autres considérations. Le plus simple pour le gouvernement serait de modifier les points du statut concernant le calcul hebdomadaire des services et d’annualiser le temps de travail. Les Travaux personnels encadrés, L’aide personnalisée lorsqu’elle est semestrialisée, certains groupes de langues fonctionnant trois semaines sur quatre, vont déjà dans ce sens.
Un peu d’éducation civique et d’histoire sociale
La démarche qui est préconisée ne permet pas d’exclure un passage en force tant est grande une forme d’apathie de la profession lorsqu’il s’agit de défendre des points proprement salariaux, surtout lorsque ceux sont présentés comme contrebalancés par les intérêts supposés des élèves.
L’École est à la fois l’ensemble des élèves qui apprennent et l’ensemble des enseignants qui travaillent à cela. Refonder l’école ce peut être construire de nouvelles fondations, espérées meilleures, pour les apprentissages. Mais ce peut être aussi fonder le métier d’enseignant sur d’autre bases que l’actuel statut, ou avec d’autres contraintes horaires. Le premier point n’implique pas nécessairement le second mais il le facilite : il en donne l’occasion. S’il s’agit de modifier l’enveloppe des enseignements et donc les conditions de travail, il me semble légitime de refuser que cela soit l’occasion d’une régression sociale dissimulée.
L’histoire du statut et de l’organisation du temps de travail des enseignants explique la logique de leurs fondements et est donc nécessaire à connaître avant toute refondation.
Le statut a été pensé pour répondre au mieux à l’intérêt général, raison d’être d’un service public d’éducation. Le professeur est inamovible pour ne pas dépendre du caprice politique d’un gouvernement. Il est payé de manière raisonnable pour ne pas être poussé vers la corruption. Il est recruté sur concours indépendant et national et non par son employeur, le Rectorat, pour garantir son excellence et éviter les petits arrangements entre amis.
Le professeur n’a pas un temps de travail précisément défini car cela nuirait à sa liberté d’organisation qui est un des facteurs de la qualité de son travail. C’est pour cela qu’il n’est défini que sous la forme d’un temps hebdomadaire de service devant élèves, calculé dès l’origine dans le souci d’aboutir à un temps réel de travail comparable à celui des autres fonctionnaires. Et c’est le cas !
Enclencher la marche arrière sur un de ces point serait d’une extrême gravité pour nos métiers. Il faut que tous en aient conscience avant de se prononcer sur la refondation de l’École, sur la réforme des rythmes scolaires, et sur leurs implications réelles.