Rencontres stratégiques de la Méditerranée 2023. Cette conférence inaugurale se compose d’un panel réuni par Pascal Ausseur, directeur-général de l’institut FMES (Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques) avec François de Canson, vice-président de la région PACA, Thomas Gassilloud, président de la commission de la Défense Nationale, Xavier Pasco, directeur-général de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS)
Pascal Ausseur : la FMES est un think tank que depuis 30 ans tourne ses regards vers la Méditerranée et notre « Grand Sud ». 3 points nous semble essentiels :
- Privilégier le débat d’idées face à un monde complexe incertain nous enjoint de vous proposer des conférences suffisamment longues pour permettre des éclairages contradictoires.
- Inviter des experts en relations internationales, des militaires d’actives en charge de préparer les conflits qui se profilent et aussi des experts de technologies de rupture.
- Le plus important étant certainement la rationalité des débats contre l’émotion, le court-termisme, l’hystérie des RS. Si on veut comprendre ce qui se passe il faut pouvoir débattre avec ceux qui ne pensent pas comme nous et garder la tête froide.
Et montrer aux jeunes présentsDe nombreux lycéens de Terminale en spécialité Géopolitique étaient présents avec leurs professeurs à Toulon à l’invitation de la FMES et de sa directrice des relations internationales Marie-Caroline Debray qu’on peut parler des choses qui fâchent sans se fâcher !
François de Canson souligne l’importance du think tank pour la région et face à la nouvelle réalité du monde jamais aussi complexe car constituée d’une succession de crises simultanées. La Russie se dresse contre l’Occident ; le Hamas sonne la fin des accords d’Abraham ; 100 000 Arméniens sont chassés de la terre ancestrale sans que les Azéris pensent en rester là. Et puis le découplage Chine – Occident, les crises climatiques , la multiplication des swing states.
Merci aux militaires et aux experts de nous éclairer, car « La guerre n’est pas une aventure, c’est l’épreuve d’une vie » (Saint-Exupéry).
Nous avons besoin d’une Europe forte et qui s’assume. Il lui faut s’accepter comme puissance géopolitique, que la guerre en Ukraine a brutalement remis sur la table. L’enjeu pour l’Europe est aussi la perception que les autres blocs régionaux auront d’elle.
Thomas Cassilloud rappelle à son tour que nous avons tous à réfléchir et à « rejeter le poison des certitudes » dont parlait le général Beauffre. Il y a besoin de se parler dans un monde où les conflits renaissent partout, « un monde qui s’affole »Selon le livre de Thomas Gomart « L’affolement du monde ».L’enjeu est de ne pas laisser la violence régler nos différences.
Xavier Pasco souligne l’importance du lien fondamental entre notre région méditerranéenne et l’Europe. Associer toutes ces compétences militaires, stratégiques et industrielles est absolument nécessaires. Les fondements de notre réflexion doivent être réévalués devant la jeunesse qui se forme à la géopolitique.
PA : Les RSMED ont été lancées il y a 2-3 ans avant l’Ukraine, et aujourd’hui la fracturation du monde est à l’oeuvre : interne dans notre pays et externe avec un ressentiment anti-occidental qui se généralise. Plutôt que d’évoquer « le Sud global », nous avons en fait plusieurs champs de force antagonistes Est-Ouest et Nord-Sud et notre région Méditerranée est à la jonction de ces 2 vecteurs de tension. Facteur aggravant, ces 2 vecteurs s’articulent ensemble contre l’Ouest.
Nous en sommes surpris, car depuis 40 ans le monde nous semblait écrit. Nous avons été fainéants car nous n’éprouvions pas le besoin d’être attentifs, désireux de profiter des « dividendes de la paix ». Les autres ont par contre fait cet efforts. Le boomerang nous revient d’autant plus fort.
D’où la nécessité de retravailler intellectuellement pour re-rentrer dans l’histoire, car dans notre Méditerranée, le retrait occidental est réel, malgré la présence de porte-avions US. Et oui, nous Français, sommes marginalisés dans notre influence et notre diplomatie, que ce soit à Astana, dans le Haut-Karabakh, le Sahel et maintenant la Palestine…)
Nous avons à retrouver 3 logiques pour ne plus être perdus !
1- Refaire de la politique, en Palestine, avec la Russie dans le concert européen, en Arménie.
2- Assumer une logique géopolitique de prise en compte des rapports de force et des intérêts froids des Etats.
3- Comprendre « la logique des passions »Voir Pierre Hassner « la revanche des passions », ed. Fayard, 2015.avec le retour d’un monde religieux radical, des fiertés nationales, du ressentiment des oubliés, renforcés par la guerre de l’information et l’influence des réseaux sociaux.
La compréhension complète des enjeux est nécessaire sans vouloir asséner des vérités. Pour cela, il faut relire Raymond Aron et son livre « Paix et guerres entre les nations » paru dans les années 60.
PA : Faut-il revoir la récente loi de programmation militaire ?
TG : On est sur des grands programmes structurants qui reposent sur une réflexion stratégique. Ce qui se passe dans le monde n’est pas vraiment une surprise mais c’est l’accélération du tempo qui surprend. Cette loi est pensée pour la France et l’Europe avec des alliance otaniennes et la crédibilité de la dissuasion. Elle reste donc valable.
Pour autant nous devons être à la hauteur des ruptures technologiques à l’oeuvre actuellement dans les airs ou les fonds marins. La réflexion reste ouverte : on a besoin de moyens capacitaires en plus grand nombre ; quelle est notre offre stratégique sur les terrains de conflits ? Nous avons également à réfléchir plus au « faire-faire » : rappelons que 1% seulement de la population est militaire en France sur 30 millions d’actifs. Or, n’est-on pas dans un monde où chacun doit se réengager d’une façon ou d’une autre ?
PA : La région PACA est en première ligne sur les tensions méditerranéennes et internes à la région. Comment y faire face ?
FdC : Nous avons dans notre région PACA d’importantes communautés habituées au partage et au vivre ensemble. Le président Muselier a prévu des budgets de 10 M pour les forces de sécurité, de 5 M pour les pompiers, avec une forte captation de fonds européens disponibles. Nous avons pu ainsi installer des bornes d’urgence de proximité, des gardes nationaux présents dans les lycées, financer des actions en milieu scolaire afin de faire connaître le passé des communautés (Shoah, Pieds-Noirs et Harkis, génocide arménien)
PA : Comment voir la complexité ?
XP : On est retombé les pieds sur terre avec la fin de la mondialisation heureuse : regardons la comparaison entre ce monde abstrait du « village planétaire » face à Gaza, en fait un tout petit terroir, mais pleinement stratégique. Car ces 2 échelles existent ensemble et doivent être prises en compte comme des strates qui s’empilent.
Géologie et géopolitique : ne pas considérer chaque période comme une séquence indépendante des précédentes !
Reste l’expression à privilégier : « le tempo » qui change. Les bouclent raccourcissent avec la panique de l’immédiateté. Notre challenge est de tenter d’expliquer en prenant la mesure du tempo tout en prenant en compte les couches de la falaise…
Une conférence inaugurale de haute volée, qui pose les bases de ces Rencontres Stratégiques de Méditerranée 2023 : prendre le temps de réfléchir, sans occulter la moindre question.