Dans un monde qui se fractionne et se construit de plus en plus selon une logique de rivalités de puissances, nous essaierons de décrypter quelles sont les forces en présence et comment leurs racines historiques, religieuses et culturelles pèsent sur la géopolitique mondiale. 

Pour ce faire, l’amiral (2s) Pascal Ausseur, directeur général de la FMES sert de modérateur à un échange riche, à même de nourrir de nombreuses réflexions. Maya Kandel, spécialiste de la politique étrangère américaine et chercheuse associée à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe (CCI France-Russie, Moscou), Emmanuel Lincot, enseignant-chercheur à la Faculté des lettres de l’Institut catholique de Paris et Camille Lons, chercheuse invitée au European Council on Foreign Relations (ECFR), animent cet échange.

 

Pascal Ausseur (PA) : notre région est au coeur de cette rivalité : Russie, États-Unis et Chine et leurs jeux de puissance, avec un éclairage du côté des pays arabes. 

Maya Kandel (MK)

Igor Delanoë (ID)

Emmanuel Lincot (EL) (note : livre paru hier sur le grand jeu en Asie centrale)

Camille Lons (CL) 

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PA : Partons du particulier au général avec le conflit I/P Qu’est-que cela change pour les stratégies des grandes puissances ? 

MK : Jake Sullivan se réjouissait quelques jours avant le 7 nov du calme au PMO… Ceci dit, Joe Biden est le 3e président US à se désengager de la région via les accords d’Abraham, en échange de garantie de sécurité à Ryad. 

L’article en ligne de Foreign Affairs a bien été changé par rapport au discours mais à la marge…

EL : une aubaine pour la Chine : on ne parle pas des Ouigours ; la Chine se caractérise par un solide pragmatisme et elle y renoue avec les alliances palestiniennes, la Chine entravant les USA sur un second front. 

ID : le second front est aussi une bonne chose pour les Russes qui s’inquiétaient d’un second front contre eux (Moldavie, Arménie). L’offensive ukrainienne ayant échoué de l’aveu de chef d’État-Major ukrainien, et l’aide une politique de marchandage au Congrès US. La thèse du double standard à Gaza est aussi une aubaine pour rééquilibrer son image en Ukraine. 

PA : comment les gouvernements et les populations arabes réagissent ? 

CL : dans ce cas il y a une très forte solidarité sur la cause palestinienne dans la rue arabe. Avec en plus l’idée que l’ordre mondial est en train d’évoluer avec le narratif russo-chinois sur le sud global qui séduit les opinions comme les gouvernements. 

Les dynamiques en cours néanmoins continuent. Par exemple, même si les EU sont très critiqués, ils sont toujours considérés comme les principaux acteurs pour la sécurité dans la région avec les négociations en cours avec l’Arabie Saoudite et Israël. 

PA : quid du Qatar, toujours original diplomatiquement parlant dans la région ? 

CL : le Qatar joue son rôle habituel pour se positionner  au centre et être un interlocuteur crucial dans les négociations. 

PA : les Américains reviennent à reculons, mais reviennent. Cette crise peut-elle changer la réévaluation des EU vis à vis de la Chine ? 

MK : l’administration Biden avait quand même corrigé le tir en rouvrant les finances à l’autorité palestinien et en évitant un conflit avec l’Iran. Il y a eu le dégel de 6 MM de $ en échange de prisonniers. 

PA : un gros caillou dans la chaussure des EU mais la Chine n’aime pas ce qui entrave le business. 

EL : le narratif chinois est un nouvel ordre mondial, tout en étant habile de ses qualifications (le Hamas n’est pas qualifié de terroriste, ce qui empêcherait l’Inde de l’accuser de soutenir des factions terroristes au Pakistan. 

La guerre en Ukraine rebat les cartes concernant la route de la soie ferroviaire via l’Ukraine jusqu’à l’UE 1er partenaire commercial de la Chine. Elle recherche des voies alternatives via les routes turques et l’Iran. Importance du découplage entre économie et politique. 

La Chine maintient son ambivalence habituelle. Elle a aussi besoin des technologies israéliennes…

ID : Pas d’intérêt à mettre de l’huile sur le feu. Ce qui compte pour Moscou c’est dans quelle mesure tel conflit peut gêner le bloc occidental, le contester (normativement, politiquement et militairement), la guerre ukrainienne étant absolument prioritaire pour le Kremlin. 

PA : objectivement si les choses se détériorent en Palestine, n’est-ce pas tout bénéfice pour Moscou ? 

ID : ça se fait tout seul ! la seule limite pour la Russie c’est de ne pas se retrouver en rupture diplomatique avec Israel. 

PA : ce jeu à deux (Chine – EU) comment est il perçu  par les Etats arabes ? 

CL : il y a beaucoup d’attitudes différentes selon la dépendance au parapluie US, mais ils sont très attentifs aux changements dans les équilibres de puissance. Une certaine inquiétude face au retrait US et à la débandade en Afghanistan ou le refus de l’intervention US après la menace sur les installations pétrolières de l’Arabie Saoudite. 

La Chine apparait donc comme une opportunité avec les routes de la soie conçues comme routes pétrolières et d’investissement, la chine étant le 1er importateur mondial et la priorité absolue pour l’Aramco. D’autant que le découplage intérêt de sécurité et intérêt énergétiques est fait aux États-Unis. 

Les projets de découplage vis à vis du $ sont aussi scrutés avec attention. 

PA : un pays jouerait-il un jeu différent ? 

CL : les Émirats sont devenus très souples dans leurs alliances et dans leur relation avec la Chine. 

MK : on prend très au sérieux aux EU l’alliance Chine – Russie et son renforcement. L’administration Biden, le pôle centriste soutien à Israël et la fracture générationnelle des jeunes à la Chambre qui sont plus dans une position équilibrée voire pro palestinienne. Il y a aussi des dissensions importantes au secrétariat d’État. 

La politique étrangère compte déjà depuis 2 cycles électoraux, alors qu’on pense traditionnellement que seule la politique intérieure compte. 

PA : n’y a t il pas un nouveau cycle aux EU d’une vague de contestation religieuse . 

MK : La montée des opinions de non-appartenance à une religion inquiète fortement la base religieuse ultra conservatrice. 

Autre aspect essentiel : les 2 guerres désastreuses menées après le 11 septembre ; la baisse de l’espérance de vie, l’élection de Trump ; la dissémination des armes à feu avec plusieurs dizaines de milliers d’anciens démobilisés, bref la montée de l’isolationnisme. 

PA : c’est bon pour la Chine ? 

EL : la Chine a des succès réels car pays vierge dans la région et non entachée d’impérialisme ou de colonialisme. Tous les pays régionaux sont voué à rentrer dans l’OCS. L’axe Pékin – Islamabad – Téhéran – Ryad est dans les têtes. 

L’opinion chinoise ? Peanuts mais c’est vite dit car on peut considérer que les difficultés intérieures économiques qui sont sur une pente préoccupante. La politique sanitaire a détruit des millions d’emplois et appauvri les campagnes avec un taux de chômage forcément sous-estimé. 

Donc le maillage des routes de la soie est d’autant plus nécessaire mais limité pragmatiquement à l’espace eurasien. Les Arabes ont le pétrole et nous avons les quadras disait Deng. Mais les quadras ont vieilli…

Donc la politique extérieure est un affectée.

PA : et pour la Russie ? 

ID : les EAU sont un hub pour la Russie et est le premier partenaire éco, ainsi que les pays du Golfe alors que c’était avant l’Iran. Voir le cadre OPEP + avec un cadre et une prévisibilité. Les Russes partagent pour la première fois un facteur de souveraineté. 

La Russie sur 160 M d’h compte 26 M de Musulmans et fait partie de l’organisation de … musulmane. Les chefs musulmans servent d’intermédiaires tout en étant parfois mal maîtrisée comme l’incident à l’aéroport de 

Conclusion vu des pays arabes ? 

CL : ce qui est en train de se passer c’est la diversification des relations avec les grandes puissances mais avec un certain pragmatisme vis à vis de la Chine. Les attentes fortes à l’annonce des routes de la Soie sont actuellement tempérées. 

(Peut-être faut-il interroger la mentalité traditionnelle chinoise…) 

PA : un jeu de puissance à somme nulle ? 

 

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