Table Ronde avec Jean Hatzfeld, Vincent Duclert et Hélène Dumas

Quels enseignements peut-on tirer du rapport Duclert sur le génocide des Tutsi ? La normalisation et réconciliation sont-elles encore possibles ? État des lieux de la recherche sur ce crime contre l’humanité, avec des spécialistes et des hommes de terrain.

Participants

Gaïdz Minassian (modérateur) est docteur en sciences politiques, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur du Rêve brisé des Arméniens, Trois mille ans d’historiographie arménienne Le temps de la délivrance. Il est également journaliste pour Le Monde.

Hélène Dumas est historienne (IHTP-CNRS), spécialiste de l’histoire du génocide des Tutsi du Rwanda. Elle a publié Le génocide au village, Seuil, 2014 et Sans ciel, ni terre : paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), La Découverte, 2020, qui vient de recevoir le prix lycéen du Livre d’Histoire 2021. Un compte-rendu de cet ouvrage a été rédigé par les Clionautes

Vincent Duclert est historien, inspecteur général de l’Éducation nationale, professeur à Sciences Po et associé à l’EHESS. Il est spécialiste des engagements démocratiques depuis le XIXème siècle. Ses travaux ont porté sur Alfred Dreyfus ou Jean Jaurès. Il a également écrit un ouvrage sur la France face au génocide arménien en 2015 (La France face au génocide des Arméniens, du milieu du XIXe siècle à nos jours. Une nation impériale et le devoir d’humanité, Paris, Fayard, 2015, 424 p.). Il a dirigé une mission d’étude sur la recherche et l’enseignement des génocides en France pour l’IGEN dont le rapport a été remis au gouvernement en 2018. Il a présidé une commission d’historiens sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi en 2019 (rapport en 2021).

Jen Hatzfeld est journaliste et écrivain, qui a couvert plusieurs conflits au Proche-Orient, en Afrique, en Europe des Balkans. Il était présent au Rwanda. Le cinquième volet de son témoigne a été édité en 2015 (Un papa de sang).

La conférence a été filmée.

Les conférenciers. De gauche à droite, Jean Hatzfeld, Hélène Dumas, Gaïz Minassian et Vincent Duclert (de dos)

Où en est la recherche sur le génocide des Tutsi aujourd’hui ?

Hélène Dumas : La recherche est balbutiante même s’il y a beaucoup d’ouvrages écrits et publiés depuis 27 ans. Les chercheurs sont peu nombreux car les investigations sont coûteuses, tant sur le plan financier que psychologique. Les recherches sont ancrées dans les terrains archivistiques, dans les collines, dans la langue, le kynarwanda. Des « continents archivistiques » sont en train d’émerger et il faudra plusieurs dizaines d’années pour en rendre compte.

Jean Hatzfeld : Je suis mal placé pour parler de l’état de la recherche puisque je n’ai jamais lu d’archives de ma vie. Je lis peu et d’une certaine façon, je lis plus sur la Shoah que sur les Tutsi. Je travaille avec des gens qui méritent de l’attention, cela fait 23 ans que je me concentre sur un village. C’est en observant et en écoutant les gens sur le long cours que j’arrive à mieux comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe aujourd’hui. Je ne sais pas si l’on peut quantifier le temps que prendront les recherches à venir. On l’a vu avec le génocide khmer, le génocide arménien, la Shoah, plus on avance et plus on a des questions. Ce qui fascine, c’est le vertige de la non-réponse, le graal qu’on n’aura jamais. C’est une histoire qui est sans fin et je trouve de mon côté que cela va assez vite maintenant. Si l’on compare la lenteur avec laquelle le génocide juif a été traité, je trouve que cela va plus vite pour le Rwanda.

Vincent Duclert : Les génocides, c’est l’impensable. Il faut mobiliser, bien au-delà des chercheurs, pour comprendre ce qui s’est passé. Donc les journalistes comme Jean Hatzfeld sont très précieux, ou encore les artistes, les écrivains, les créateurs sont précieux pour nous. Sur la recherche, je verrais trois points.

  • C’est un génocide, quelque chose qui ne naît pas spontanément mais qui résulte d’un processus très lent et méthodique. Il faut étudier comment une dictature, celle d’Habyarimana, que la France tentait de démocratiser, bascule dans un pouvoir génocidaire. On peut se référer à la documentation utilisée par le rapport Muse, le rapport que les Rwandais ont commandé à un cabinet d’avocats américain (Levy Fireston) et qui est sorti trois semaines après notre propre rapport et qui montre que beaucoup d’archives sont encore inexploitées.
  • Le travail sur les victimes est essentiel et on peut saluer le travail d’Hélène Dumas sur ce point. Hélène affronte le plus obscur d’un génocide, le mal qui est fait à des enfants, avec cette volonté de détruire la filiation par exemple. Chaque témoin est important. Elle montre l’issue, l’écriture.
  • Les responsabilités internationales doivent enfin être évoquées. Ce génocide n’aurait pas dû exister. Il faut commencer par la France qui était la nation la plus impliquée. Il faut aussi traiter le cas de l’ONU mais ce n’est pas anormal de commencer par la France.

Qu’est-ce que le rapport Duclert ? Qu’a-t-il apporté à la recherche ?

Jean Hatzfeld : D’abord, ce qui m’a le plus surpris, c’est le changement d’attitude de la France, d’accepter de reconsidérer son histoire et sa politique de Françafrique.

Deuxièmement, ce rapport a l’honnêteté de signaler toutes les zones d’ombre. Il ne les éclaire pas, mais les désigne a minima. Par exemple, par rapport à l’armée française, beaucoup d’éléments sont pointés, avec lesquels je suis parfois en désaccord (opération Turquoise notamment), par rapport à l’Église aussi. Ce sera utile pour les historiens.

Troisièmement, une autre chose qui m’a intéressé personnellement, c’est la qualité de l’information sur les années qui précèdent 1994. Avant l’ouverture des archives, 80% du matériau venait des journalistes et il faut rendre hommage à ce qui a été fait.

Dernièrement, j’ai été frappé par l' »abrutissement de la pensée politique française ». On perçoit bien comment, en plein milieu des tueries, la France s’efforce de sauver le régime malgré tout. J’avais connu cela aussi pour la chute du mur de Berlin. Le personnage d’Habyarimana, trop souvent simplifié, mériterait à lui seul des recherches spécifiques. Sa fin de pouvoir, à partir de 1986-1988, montre qu’il a tenté plusieurs fois de quitter les affaires, parce qu’il avait peur de Kagame et qu’il souhaitait faire de l’import-export; or il a à chaque fois été rattrapé par l’oreille par la France, parce qu’il représentait la stabilité pour la Françafrique.

Le rapport Muse sur le génocide du Rwanda

Hélène Dumas (qui aurait dû être dans la Commission Duclert et ne l’a pas été) : Le rapport dispose d’une assise archivistique conséquente; il ne remet pas fondamentalement la trame narrative de co-belligérance franco-rwandaise entre 1990 et 1994, et ensuite de soutien inconditionnel français au régime rwandais. Tout était connu mais rien n’était appuyé sur des archives françaises. L’avantage du rapport est donc d’étayer les arcanes du pouvoir côté français. Ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est faire le même travail côté rwandais. Une phrase du rapport Muse me paraît essentielle : la politique française entre 1990 et 1994 à « donner le temps » aux architectes du génocide de préparer le génocide. Voilà une piste de recherche d’analyse croisée entre la France et le Rwanda.

Vincent Duclert : Ce rapport de 1200 pages est accessible à tous. Il est publié par Armand Colin mais il est téléchargeable sur le site Viepublique. Notre méthodologie et nos archives sont incluses. De ce point de vue, tous les engagements d’Emmanuel Macron ont été tenus : nous avons eu accès aux documents secret-défense, aux fonds Mitterrand et Balladur, etc. Certes, ce que nous montrons était connu, en l’occurrence une politique menée depuis l’Élysée, en faveur d’un dictateur, mais nous apportons des preuves historiques. Chacun a pu mesurer l’implication française.

De mon point de vue, ce rapport est un travail collectif, là où précédemment les recherches étaient plutôt individuelles. Il a bien souligné comment la France accompagne ce régime raciste, violent et corrompu et participe au processus génocidaire, jusqu’au paroxysme entre le 7 avril et le 17 juillet 1994. Il y a eu une défaite de la pensée. Les autorités avaient les moyens de comprendre et de connaître les mécanismes. La Shoah et le génocide arménien avaient fourni des points de vigilance sur la déshumanisation et la racialisation de la communauté visée par un prochain génocide. Les autorités ne pouvaient les ignorer. De même, il y a eu des alertes au sein même de l’Etat. Le ministère Pierre Joxe a affronté courageusement Mitterrand sur ce sujet, mais sans succès. À l’assemblée, il y a eu des questions de députés. Des militaires et des diplomates ont tiré la sonnette d’alarme. En 1994, Edouard Balladur freine un peu les intentions d’alignement sur Habyarimana et défend une « neutralité » étrange. Comment être neutre face à un génocide ? On le voit, il y a une certaine régularité des intentions de l’armée, qui désigne clairement les victimes, les Tutsi, et qui manifeste son intention d’arrêter les bourreaux, tandis qu’en face, le pouvoir politique se montre beaucoup plus flottant.

C’est vrai qu’après il y a un déni. Quand le Rwanda est écarté du sommet franco-africain de Biarritz de novembre 1994 et que François Mitterrand affirme que la France n’est pas responsable quand des chefs locaux règlent leurs comptes à coups de machette, la rupture est totale avec le Front patriotique rwandais qui pourtant, sur le terrain, a militairement stoppé le génocide. C’est le début de trente ans de crispations.

Venons-en aux détracteurs de ce rapport. Y a-t-il de la part de ces voix dissonantes un « négationnisme » ?

Jean Hatzfeld : J’avais compris au départ que vous parliez de voix dissonantes depuis 1994 et non exclusivement de celles qui se sont exprimées après le rapport. Au lendemain du génocide, le négationnisme est le premier mal qui mine les victimes. C’est un fléau terrible qui passe par quantité de biais différents et même parmi les rédactions. On a inventé quantité d’histoires comme celle du double génocide, les Hutus auraient aussi été victimes d’un génocide par exemple.

On a aussi dit que les soldats de l’opération Turquoise avaient fait un travail remarquable dans un contexte difficile; or quand je suis arrivé sur place avec Turquoise, j’ai reconnu des colonels qui avaient été en Bosnie et certains avaient un comportement plus qu’ambigus. En même temps qu’ils lançaient des opérations pour arrêter les tueries, certains faisaient passer des tueurs vers le Nord-Kivu. D’autres, devenus des négationnistes extrémistes, affirmaient que c’était le Front patriotique rwandais qui tuait les Tutsi.

Cette espèce de folie est comparable à ce qu’on avait vu avec les Hollandais après Srebrenica; ils sont tellement déboussolés par ce qu’ils ont vécu qu’ils finissent par penser n’importe quoi.

Hélène Dumas : Tous les gens qui contestent le rapport ne sont pas forcément des négationnistes. Tout dépend des arguments qu’ils mobilisent. Quand il y a négationnisme pour le Rwanda, la rhétorique emprunte à la logique du « oui mais ». « Oui il y a eu un génocide des Tutsi, mais il y a eu un génocide des Hutu ». La théorie du double génocide renvoie à l’imaginaire de la guerre interethnique et tribale qui, d’une certaine façon, minimise la réalité de la violence sur place.

Côté anglophone, le négationnisme s’appuie sur une hypercritique du régime actuel pour réviser radicalement les faits passés. Par exemple, une journaliste canadienne, Judi Rever, dont Hubert Védrine fait la promotion, prétend que les milices Interahamwe, liées au parti MRND d’Habyarimana, étaient infiltrées par des soldats du FPR et que ce sont donc des Tutsi qui ont tué d’autres Tutsi. Même sur les collines, elle prétend que les voisins Tutsi ont été tués par des Hutus mais parce qu’ils étaient membres du FPR; donc ce ne serait pas un génocide mais un massacre politique. Elle réactualise la vieille propagande qui fait des Tutsi une cinquième colonne au sein du Rwanda.

Il y a une phrase clé dans le rapport. « La France ne peut pas être accusée de complicité mais il y a des responsabilités lourdes et accablantes ». Comment cette contradiction est-elle possible ?

Vincent Duclert : Pour Turquoise, sur le terrain, on a observé combien cela avait été compliqué pour les hommes. Par exemple, le fait de se protéger des maquis tutsis avant même de sauver les Tutsis, résulte de l’endoctrinement des forces armées par les milieux politiques, par les notes du général Quesnot, le chef d’état-major particulier du président de la République, ou celles de l’ambassadeur conseiller Afrique Bruno Delaye. Que disaient ces notes ? Que le Front patriotique rwandais est un mouvement politique tutsi, opérant à partir de l’Ouganda. L’ethnicisation systématique aboutit au fait que, lorsque le FPR attaque, on les renvoie aux Tutsi, perçus comme une cinquième colonne.

Le rapport Muse disait que la France adonné du temps aux génocidaires et d’une certaine façon, c’est vrai que la France conforte les génocidaires dans leur programme, en validant cette haine anti-tutsi, en visant le FPR et la population tutsi.

Le génocide des Tutsi est souvent mis en rapport avec le génocide Hutu c’est vrai, mais il est aussi associé au prétendu génocide que Paul Kagame aurait commis au Congo contre les forces armées rwandaises réfugiées là-bas, et contre une parti des Hutu. Ce discours ne tient pas face aux enquêtes des chercheurs.

La France a joué une part importante dans ce processus génocidaire. Je voudrais revenir au texte : « la crise rwandaise s’achève en désastre pour le Rwanda, en défaite pour la France. La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. » Nous restons dans notre rôle d’historien; nous n’avons pas trouvé d’intention française de s’associer au programme de destruction des Tutsi. Rien n’interdit aux magistrats et aux parties civiles de poursuivre l’État français pour complicité, s’ils le souhaitent.

Concernant les responsabilités lourdes et accablantes, au niveau politique, il y a des interrogations sur le rôle de François Mitterrand et il y a au niveau militaire, le rôle de l’armée. La France a plaqué des logiques ethniques sur un conflit qui n’y répondait pas. L’Elysée a pris le contrôle opérationnel alors que ce n’est pas son rôle; il y a un chef d’état-major. En étudiant les systèmes de communication, on a vu que tout transitait de l’Élysée au Rwanda en passant par Bayonne, c’est-à-dire les Forces spéciales du 1er RPIMA. Ce n’est pas le fonctionnement régulier de nos institutions.

Dans le dernier numéro de la revue Esprit, Stéphane Audoin-Rouzeau écrit à propos de cette défaite de la pensée, « cette défaite doit d’abord être attribuée à François Mitterrand lui-même ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

La revue Esprit. France-Rwanda et maintenant ?

Jean Hatzfeld : Il est trop tôt pour parler de complicité je pense, parce qu’elle n’est pas établie; mais cela ne signifie pas qu’elle n’a pas existé. Le rapport a travaillé sur des archives partielles et partiales. Ce sont des archives françaises, sur une certaine période, et surtout incomplètes. Le rapport souligne lui-même que des archives de l’ambassade de France ont disparu. Je pense qu’on ira vers la complicité. La France n’est pas monolithique et au sein de chaque corps, il y a des divergences exprimées. Au sein de l’armée française, beaucoup d’officiers n’auraient pas dû se trouver là. À la caserne du GACO, certains travaillaient, à la veille du génocide, avec les Interahamwe. D’où venaient-ils ? Que faisaient-ils là ? Dans les années à venir, on va donc certainement changer de point de vue.

Hélène Dumas : Je suis d’accord. Sur certains points, entre les remontées d’archives et les témoignages, on pourra peut-être faire émerger des complicités. Prenons le cas des violences sexuelles, commises par certains soldats français, avant le génocide et pendant l’opération Turquoise. On ne les a pas trouvées dans les archives consultées pour le rapport Duclert mais elles sont mentionnées dans le rapport Mucyo de 2008 commandé par le Rwanda et qui avait interrogé un certain nombre de femmes victimes. Et puis il y a la conscience ou pas par les militaires français d’avoir entraîné des miliciens qui ont participé au génocide.

Vincent Duclert : Il y a la question de la non-arrestation des génocidaires par les Français mais je rappelle que ce n’était pas les ordres de l’Élysée. Quand une dépêche Reuters rend compte de l’arrestation de génocidaires, la riposte est immédiate : Balladur et Mitterrand expliquent qu’il n’y a pas encore le TPIR et le mandat d’ ONU, alors que ledit mandat peut parfaitement être plié. Il y a des marges de manœuvre. Or, ces marges ont servi à exfiltrer les génocidaires. En travaillant sur l’Algérie ou sur l’affaire Dreyfus, j’ai déjà vu des modèles d’officiers factieux. Ce n’est pas le cas ici. Ce qu’on a, ce sont des témoignages embarrassés par rapport aux ordres reçus ou aux absences d’ordres.

La rapport Mucyo

Les archives du chef d’état major particulier ont été, je le précise, croisées avec celles de l’attaché militaire à Kigali, le colonel Galinié. Nous avons retrouvé des fax, hors voie hiérarchique, et qui demandent à Galinié de trouver des preuves de l’implication de l’Ouganda dans les offensives du FPR. On voit les manipulations.

Par rapport à la question des archives françaises, il faut rappeler que ce n’est que de la documentation internationale. La France veut garder le contrôle sur le Rwanda, de créer une tête de pont francophone à partir du Rwanda. Pour les viols, il faut effectivement rassembler les témoignages, cela va prendre du temps pour recenser et croiser les bases de données. Citons le viol sordide enregistré par les prévôts, c’est-à-dire par les gendarmes qui sont affectés aux troupes déployées, mais un certain nombre de crimes ne sont pas documentés. Nous avons attesté seulement de ce qu’il y a dans les archives.

Comment expliquer que notre pays serve de refuge ?

Selon le rapport Muse, une centaine de génocidaires, dont l’épouse de l’ancien président, vivrait tranquillement en France. Dans un article de Vincent Duclert dans ce numéro d’Esprit, il est dit que nous avons du retard en matière de connaissance et de reconnaissance du génocide. Comment l’expliquer ?

Vincent Duclert : Il y a d’abord des raisons universitaires, de champs académiques. Henry Rousso a souligné combien il était difficile de travailler sur l’implication de Vichy dans la Solution finale. Le second septennat de François Mitterrand ne suscite pas beaucoup de vocations. On l’a dit, il y a l’éloignement, la barrière de la langue, la rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda et puis il y a ces problèmes politiques. Le déblocage est venu avec le discours du Vel d’Hiv pour la Shoah et pour le Rwanda, ce fut le discours de Macron à Kigali. Macron a donné raison à tous ceux qui s’étaient efforcé de faire entendre les faits.

C’est une avancée pour les chercheurs dont les travaux, fondés sur des témoignages d’administrateurs, de locaux, étaient contestés. Je parle d’ailleurs de chercheurs au sens large, cela inclut ceux qui, sans être des professionnels, appliquent les méthodes de la recherche. Un jeune diplomate, rédacteur au Rwanda dans les années 1990, a laissé des notes expliquant que le régime d’Habyarimana, sur la base de lectures et de recherches rigoureuses, était monstrueux sous l’angle politique et sociale et que la France ne pouvait pas le soutenir. Il est écarté de la direction des affaires africaines et malgaches. Aujourd’hui, il est ambassadeur de France au Rwanda. Il s’agit d’Antoine Anfré.

Jean Hatzfeld : je ne sais pas si la France a plus de difficultés que les autres pour regarder les génocides. Je n’ai pas l’impression que le Cambodge, l’Allemagne ou la Turquie aient plus de facilités. Je pense que l’apathie et l’aveuglement français n’est pas lié à une méconnaissance locale. Je pense d’abord qu’on ne peut pas affronter intellectuellement un génocide. Même quelqu’un qui a pu approcher les nettoyages ethniques dans les Balkans a de grandes difficultés à comprendre le processus. C’est dire. Et puis, il y a le cas de François Mitterrand. Sur tous les sujets, que ce soit lors de la chute du mur de Berlin, la Réunification, l’effondrement soviétique, Sarajevo, on retrouve cette volonté de gagner du temps face à la poussée du monde anglophone. À la sortie de son second mandat, un journal de Newsweek interroge l’ancien président sur ce qui avait été son plus grand regret. Sa réponse  « la francophonie ». Il n’a pas fait preuve de complicité au sens strict mais il a tout fait pour retarder les échéances pour faire barrage à Kagame.

Hélène Dumas : il y a un travail considérable à mener auprès des publics scolaires. L’intégration dans les programmes de spécialité HGSSP était essentielle.

Notons que sur ce dernier point, notre association a déjà publié plusieurs ressources pédagogiques pour ce chapitre de spécialité et que Gilles Sabatier a conçu une séquence autour du Rwanda.  

Comme nous étions deux clionautes à cette conférence, vous pouvez aussi consulter le compte-rendu de notre camarade Marc de Velder