Que veut dire « être attaché à la terre » en pays diola, en Basse-Casamance, dans un contexte marqué par le travail agricole et la sociabilité paysanne ? Les croyances font de la terre un lieu de rencontre entre vivant·es, ancêtres, obligations et traditions, mais aussi entre rebelles et Etat central.
Camille Ollier, géographe, présente quelques unes des conclusions de sa thèse Cultiver l’absence : trajectoires et relations paysagères en pays Diola (Basse-Casamance, Sénégal méridional)Thèse soutenue en décembre 2023, Résumé de la thèse : En Basse-Casamance, la riziculture historique évolue récemment à l’aune des changements environnementaux globaux et des changements socio-économiques locaux, qui restructurent l’ensemble des pratiques agricoles, longtemps perçues comme « traditionnelles », et de ce fait immuables. L’étude de ces nouvelles inflexions dans les trajectoires paysagères révèle à l’inverse la souplesse d’un système agricole et social toujours profondément attaché à la production du riz, mais capable de faire évoluer ses pratiques et ses discours. Les représentations environnementales des cultivateurs et des cultivatrices sont une clé d’entrée dans la compréhension des pratiques agricoles dynamiques. Leur étude permet également de saisir la pluralité des discours portés sur l’environnement et ses transformations, où coexistent les paradigmes de la science de l’environnement, de l’animisme, des autofictions individuelles et collectives. Contre l’idée qu’il existerait un régime de savoir scientifique sur l’environnement et un régime de croyances locales parfaitement distincts, l’étude des représentations environnementales et paysagères de celles et ceux qui produisent ses paysages suggère au contraire l’intrication complexe des régimes de valeurs, de croyances et de savoirs, qui résultent dans des pratiques agricoles et environnementales tout aussi subtiles, dynamiques et contrastées. Cette thèse s’intéresse à la collecte, l’analyse et la mise en récit de ses représentations, autant qu’aux effets qu’elles ont éventuellement sur les pratiques agricoles, sociales et alimentaires. (https://www.archeorient.mom.fr/annuaire/ollier-camille).
Le mot Terre, thème de cette année à Saint Dié, est trop vaste et trop francophone pour aborder cette question à propos des Diolas. Pour eux, la terre, c’est le sol, l’eau, la sueur ; Etaamay, c’est la parcelle cultivée, la terre arable, mais aussi le support des relations sociales, comme une liane qui serait attachée au cou du Diola. Dans la tradition, Dieu a pris les Diolas dans sa main et les a jetés sur terre, comme eux qui, à chaque hivernage, sème le riz.
Comment cette relation est-elle remise en cause par le changement climatique, la salinisation des terres, l’érosion côtière qui conduisent à la migration ? Comment gérer cette relation à la terre, quand faute de main-d’œuvre, l’entretien des aménagements est menacé ?
Quelle identité sociale dans un monde qui bouge ?
Le riz est sacré, le lien à dieu; d’ailleurs on ne le vend pas, on le conserve pour la semence et les grandes occasions.
Comme l’avait déjà montré Paul Pelissier dans sa thèseLes paysans du Sénégal, les civilisations agraires du Cayor à la Casamance, soutenue en 1966, disponible en ligne https://data.over-blog-kiwi.com/0/47/01/11/201306/ob_d9ab16_pelissier-les-paysans-du-senegal.pdf. On peut lire la recension de Pierre Gourou dans les Annales de Géographie, n°419, 1968., quand un Diola n’a ni femme, ni fille, il ne peut rien faire vu le partage genré des tâches.
Le riz est un ciment social qui se fissure, aujourd’hui, avec les irrégularités de la pluviométrie et le conflit casamançais.
Les récoltes ne suffisent plus à nourrir la famille. La migration, plus ou moins lointaine12 % de la population de Dakar est diola, rompt en partie les liens de solidarité autour de la terre. La relation se fait désormais à distance, l’envoi d’argent au village maintient le lien à la terre. Cet argent finance une main-d’œuvre jeune qui souhaite être salariée, ou le battage mécanique quand les filles ne sont plus là.
Les jeunes migrants cultivent ainsi indirectement la terre, gage d’un retour possible, lien indispensable pour participer aux cérémonies d’initiation. Ils gardent une maison au village : partir n’est pas se détacher.
Le gouvernement a tenté de faire appliquer la loi sur la propriété de l’État pour les terres sans titreCe qui est l’une des causes de la rébellion casamancaise. Cette notion est en forte contradiction avec la pensée casamançaise, quand cultiver équivaut à posséder, au moins collectivement. L’attachement diola à la terre s’oppose au droit de propriété, car la terre est le support des relations sociales.
Aujourd’hui, l’argent de la diaspora sert aussi à acheter d’autres produits, y compris le riz « parfumé » d’importation qui reste la base de l’alimentation quotidienne.
Le village n’échappe pas à la mondialisation. Le riz importé est toujours moins cher sur le marché que le riz localSur les réalités de l’économie agricole, on peut se reporter à l’ouvrage de Tidiane Sané, Les systèmes agraires de la Basse-Casamance, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2023.
La faible récolte est thésaurisée pour les grandes fêtes, renforçant ainsi le lien à la terre. Les pratiques agro-alimentaires changent, mais l’identité demeure. La crise de la COVID, avec un retour partiel des urbains au village a bien montré la force de cette solidarité.
Sans Etaamay, le Diola n’est rien.