Stéphanie Trouillard, journaliste de France 24 a mené une enquête rigoureuse mais aussi comme une historienne, sur l’histoire d’une jeune lycéenne de 16 ans, de confession juive, Louise Pikovsky, vivant à Paris, déportée en 1942 et qui n’est jamais revenue. Stéphanie Trouillard, journaliste de télévision et aussi du web documentaire pour France 24 est spécialiste de questions d’histoire et est en charge actuellement du centenaire de la Grande Guerre et des questions concernant la Seconde Guerre mondiale. Elle est auteure de « Mon oncle de l’ombre – Enquête sur un maquisard breton », un livre sur son grand-oncle André Gondet, jeune résistant de 23 ans et assassiné par les Allemands dans une ferme du Morbihan.

C’est à la suite d’une rencontre avec une professeure documentaliste exerçant dans un lycée parisien, Jean de la Fontaine que le travail d’enquête de la journaliste a débuté. Stephanie Trouillard a été contactée en 2016 par Khalida Hatchy car cette dernière avait entendu parlé de ses recherches sur la Seconde Guerre mondiale et lui a demandé de l’aide au sujet de lettres retrouvées par hasard dans son lycée écrites par Louise Pikovsky durant la Seconde Guerre mondiale.

L’histoire de Louise Pikovsky : « L’ Anne Franck de notre famille »

La conférencière présente cette histoire, celle de Louise Pikovsky, un jeune fille juive déportée à partir d’un documentaire télévisée réalisée et produit pour France 24 suivi du commentaire de son site, un web documentaire remarquablement réalisé, documenté et sourcé retraçant toute la démarche entreprise pour retrouver les traces de Louise et de sa famille, leur redonner la vie et permettre de garder leur mémoire. La journaliste a été lauréate du prix Philippe Chaffanjon pour son web documentaire.

Les lettres de Louise ont été retrouvées en 2010, par hasard, dans une armoire dans le lycée Jean de la Fontaine à Paris où Louise a été scolarisée par une professeure de mathématiques qui a été intriguée par un petit mot laissé sur ses affaires adressées à son professeur de français, de grec et de latin, Mademoiselle Malingrey « Vais-je les retrouver si je reviens un jour? ». Impression d’un temps suspendu. En effet Louise a correspondu pendant les deux premières années de la guerre avec sa professeure qui a gardé pendant toutes ces années, près de 50 ans, précieusement cette correspondance avec son élève. Lors du cinquantième anniversaire du lycée en 1988, Anne-Marie Malingrey, retraitée, professeur émérite à l’université Charles-de-Gaulle de Lille spécialiste reconnue de la littérature grecque chrétienne, a déposé ces précieuses lettres pour rendre hommage à cette occasion à Louise. Elle est décédée depuis à l’âge de 94 ans en 2002.

Louise était une jolie fille, blonde aux grands yeux bleus, elle habitait Boulogne 50 rue Georges Sorel. C’était une très bonne élève, particulièrement en mathématiques, toujours disponible pour aider ses camarades de classe rapporte sa professeure de mathématiques à l’origine de la découverte. Interrogée lors de cet anniversaire elle dit ceci à propos de ces lettres « je me suis sentie comme si on m’avait passé un relais de tous les professeurs qui avaient pu connaître Louise à commencer par Madame Malingrey ». Puis elle expliqua le regret des enseignants qui avaient connu Louise de n’avoir pas pu lui rendre hommage plutôt du fait de la découverte tardive de ces lettres. La professeure de mathématiques avant de partir à la retraite se posa la question que faire des lettres de Louise et comment garder la mémoire de cette ancienne lycéenne au destin tragique. C’est en fait auprès d’un autre professeur du lycée, une professeure documentaliste qu’elle trouva un soutien. Cette dernière contacta la journaliste, Stéphanie Trouillard pour se renseigner sur cette jeune fille victime de la Shoah et pour la faire « sortir de l’ombre ».

Le point de départ de leur enquête a d’abord été de parcourir les lettres. A leur lecture on apprend que Louise se pose énormément de questions sur sa foi, sur sa vie quotidienne mais curieusement il en ressort peu de renseignements sur les évènements de la guerre. On apprend seulement que son père a été arrêté et puis interné dans le camp de Drancy, situé au nord de Paris, un camp de transit de 1941 à 1944, principal lieu d’internement des juifs parisiens, devenu depuis un cité HLM. Abraham le père de Louise y a été envoyé après avoir été arrêté au cours de la rafle du Vel’d’hiv, juillet 1942.

« Chère mademoiselle, je suis bien heureuse, nous avons des nouvelles de papa. Il n’a pas quitté Drancy, nous pouvons envoyer un colis à Drancy … »

Cet extrait de lettre est très émouvant raconte la professeure documentaliste dans le documentaire télévisé car « on sent la charge émotionnelle avec aussi une pointe d’humour. » lorsque Louise écrit ceci : « … naturellement j’ai eu la chance de me trouver à côté d’une personne que je n’aime pas car il est permis de ne pas aimer n’est-ce pas? Et même de détester par exemple…».

Son père réussit à sortir du camp en août 1942 mais dans les lettres de Louise elle n’explique pas de quelles façons. La vie de la famille reprend son cours. Louise suit les cours au lycée entourée de ses camarades. La journaliste a réussi à identifier grâce à des noms inscrits au dos d’une photographie de la classe de Louise, une élève, Madeleine, qu’elle a pu rencontrer, une des rares personnes à être encore vivante malgré le grand âge. Pendant deux ans elle était assise à côté de Louise. Louise était une brillante élève, souvent citée au tableau d’honneur, la première de la classe dans pratiquement dans toutes les matières. Cela pouvait expliquer selon Madeleine, par son intelligence et sa maturité, cette relation si particulière qui unissait l’élève avec son professeur. Anne-Marie Malingrey voulait la protéger et la garder chez elle mais Louise a préféré rester auprès de sa famille. Puis un jour Louise n’est plus revenue. Ce fut le grand regret de son professeur de lettres classiques de n’avoir pu la sauver. Sur le site Yad Vachem Stéphanie Trouillard découvre une fiche de témoignage sur des proches de la famille Pikovsky, elle a été écrite par Claude Connord lors d’une visite du Mémorial de la Shoah à Jérusalem. Les parents de Claude et de Louise étaient cousins.

En août 1943 les deux familles se réunissent le temps d’un après midi à Joinville-le-Pont près de Paris. Claude écolière comme Louise a eu la chance de ne pas être arrêtée mais a gardé le souvenir de ce goûter familial auprès de son amie Louise. Le 22 janvier 1944, des policiers français frappent à la porte de l’appartement des Pikovsky. Ils leur laissent une heure pour préparer leurs affaires. Dans ce laps de temps Louise dépose une bible et une dernière lettre au domicile de Anne Marie-Malingrey, son professeur.
« Nous sommes tous arrêtés. Je vous laisse les livres qui ne sont pas à moi et aussi quelques lettres que je voudrais retrouver si je reviens un jour…», triste billet tragique lu avec beaucoup de retenu par son amie écolière de l’époque Claude. Le père, la mère et les quatre enfants sont conduits à Drancy où ils sont tous fichés. Le 3 février 1944 ils sont sélectionnés sur la ligne du convoi 67, entassés dans un bus avec plus de 1200 autres personnes en direction de la gare de Bobigny pour Auschwitz en Pologne. Après trois jours de voyage dans des wagons à bestiaux ils arrivent dans le camp d’extermination. Les membres de la famille Pikovsky sont directement conduits dans les chambres à gaz, l’absence d’archives le laisse penser. Les lettres de Louise ont été transmises au Mémorial de la Shoah à Paris afin qu’elles ne retombent pas dans l’oubli, des documents conservés par le centre des archives accessibles à tous les visiteurs.

La présentation du documentaire télévisé se termine par les paroles de l’archiviste qui relève qu’en « moins d’une dizaine de lettres on a la vie de Louise qui se déroule sous nos yeux, une Bible qu’elle a lue et relue », la transmission par son professeur de français, latin et grec qui a gardé religieusement pendant toutes ces années, « presque comme une relique ». Tous ces documents sont précieux pour la transmission de la mémoire de cette jeune fille de 16 ans victime de la complicité de Vichy avec l’Allemagne Nazie et de son idéologie mortifère et antisémite. Stéphanie Trouillard clôt son reportage en précisant que la découverte des lettres de Louise et de l’enquête qui a suivie, l’ont conduite vers d’autres recherches, celles de retrouver les traces des autres jeunes filles déportées du lycée Jean de la Fontaine. Pour cela la journaliste s’est plongée à nouveau dans les archives de l’établissement et a découvert dans un vieux carton des actes de naissance nécessaires à l’époque pour l’inscription au lycée. Des élèves de cet établissement ont été mis à contribution accompagnés de leurs professeurs pour décortiquer toutes ces archives. Ainsi Colombe et Romane, deux élèves de classe de première ont établi des listes pour tenter d’identifier sur le site de Yad Vachem d’autres victimes de la Shoah. Une des lycéennes raconte comment elle a pu découvrir le nom d’un autre lycéenne déportée du lycée Jean de la Fontaine, en tapant un nom de la liste des élèves inscrits du lycée entre 1942 et 1944 elle est tombée sur le nom d’une jeune fille Berthe Bauman déportée elle aussi le 28 août 1942 depuis Drancy. En tout cinq jeunes filles ont été déportées de ce même lycée. Des plaques doivent être bientôt opposées sur les murs du lycée, un des rares lycées parisiens qui n’a pas encore eu de plaques commémoratives précise la journaliste Stéphanie Trouillard.

Présentation du web documentaire : un site pour la mémoire de Louise et des autres lycéennes déportées

http://webdoc.france24.com/si-je-reviens-un-jour-louise-pikovsky/

 

Un web documentaire est un site pour présenter avec du texte, des images, de la vidéo, un autre support de contenus plus exigeant et qui demande du temps à côté des articles proposés aux internautes. Stéphanie Trouillard pensait au départ faire un article lorsqu’elle a eu connaissance des lettres de Louise mais au fur et à mesure de son enquête elle s’est rendue compte qu’elle avait beaucoup d’informations et qu’il aurait été dommage de ne pas en faire un documentaire présentant tous les documents collectés et raconter cette histoire.

C’est un site de France 24 rédigé en trois langues, français, anglais et en arabe car la chaîne de télévision ou sur internet est écoutée dans ces trois langues. Le site sera bientôt en version allemande. Stéphanie trouillard nous commente le web documentaire.

Le site a été décliné en six chapitres avec un accès facile pour chaque entrée. L’objectif de départ a été de créer le site à l’intention des enseignants, d’en faire un outil pédagogique, et c’est une réussite. Le site est en accès libre et gratuit et c’est aussi le rôle de France 24 en tant que média public de remplir cette mission pédagogique souligne la journaliste.

Dans le premier chapitre « les lettres oubliées dans une armoire » Stéphanie Trouillard raconte comment en parcourant les archives elle a pu mener son enquête sur Louise et comment elle a pu en savoir davantage sur son parcours et sur sa famille. Ce fut à la fois un voyage dans le présent et dans le passé en se plongeant dans la Seconde Guerre mondiale. Cette enquête a commencé à Paris mais très vite la journaliste est partie à Jérusalem et elle a fait une rencontre avec les cousisnes de Louise. Pour expliquer cette démarche, son voyage à Jérusalem, ce fut à la suite de la rencontre avec cette professeure documentaliste en 2016 que la journaliste entama une première recherche intuitive sur Internet et retrouva le nom des cousines de Louise qui vivent à Jérusalem. La journaliste a décidé de montrer les lettres de Louise à ces deux personnes proches. Celles-ci avaient connaissance de l’existence de Louise, c’était leur père qui était le frère de la mère de Louise, mais elles n’avaient pas connaissance de l’existence des lettres de Louise restées dans le lycée Jean de la Fontaine.

La journaliste précise que les deux parentes de Louise contactées d’abord par téléphone furent très étonnées et surprises à propos de la découverte de ces lettres. Ensuite à la vue et à la lecture de ces lettres apportées sur place à Jérusalem par la journaliste l’émotion fut très forte par la découverte 70 ans après d’une trace d’une partie de la famille. Les deux cousines ont perdu aussi leur père au cours de la Shoah. Ils vivaient à Lyon, leur père a été arrêté par K. Barbie et fut déporté. Les deux sœurs ont été sauvées par le réseau de Chambon-Sur-Lignon. Pour elles ce fut inespéré de retrouver des traces d’une partie de leur famille longtemps après la fin de la guerre. Ce fut pour la journaliste un moment d’émotion intense lors de la présentation de ces lettres à cette famille. Les deux cousines de Louise ont donné par ailleurs des documents familiaux en particulier une photgraphie où l’on aperçoit Louise avec sa famille, ses parents et ses deux sœurs et son frère.
La journaliste de retour de son voyage en Israël rencontre la professeure documentaliste pour mieux appréhender cette histoire au lycée Jean de la Fontaine, créé en 1938. La visite du lycée a permis à la journaliste de se placer dans le contexte de l’époque d’autant que cet établissement scolaire a gardé son charme d’antan.

Dans le chapitre deux, la journaliste évoque le lien particulier et très fort entre Louise la jeune lycéenne et Anne-Marie Malingrey, sa professeur de lettres, de latin et de grec. Les lettres publiées sur le site sont téléchargeables. La journaliste évoque sa surprise après avoir parcouru ces lettres devant la maturité de cette jeune adolescente de 14 ans en 1942, surprise aussi devant ces qualités littéraires, pas une seule faute de français, un sens de la réflexion impressionnant, incroyable une telle correspondance aussi forte avec son professeur de français. Elle conversait beaucoup sur le sens de la vie, sur la religion, Louise était juive par contre A.M.Malingrey était catholique pratiquante mais elles échangeaient sur le sens à donner sur la religion . Louise parlait peu de la guerre, elle fait mention à un moment de son père qui a été interné à Drancy au cours de l’été 1942 après la rafle du Vel’ d’hiv. Elle évoque peu des évènements de la guerre. Elle aborde aussi des questions de son âge. Stéphanie Trouillard fait le parallèle avec une autre jeune fille qui a laissé un carnet célébrement connu, Anne Franck, qu’elle a relu et elle y retrouve le même questionnement sur l’amitié, une grande soif de savoir . Louise a hâte que ce soit la rentrée et de retrouver son professeur pour continuer à apprendre. Sa professeure de lettres lui envoie des livres pour satisfaire cette soif de connaissances.

Les lettres de Louise ont été retrouvées en 2010 dans une armoire du lycée parisien par hasard par une professeure de mathématiques en changeant une armoire de place a trouvé ces lettres dans une enveloppe. Stéphanie Trouillard et la documentaliste se sont posées la question comment ces lettres se sont retrouvées dans cette armoire. Elles apprirent qu’en 1988, il y a eu une fête pour les cinquante ans du lycée et qu’un livret avait été rédigé pour raconter l’histoire de ce lycée. Elles ont retrouvé dans ce petit dossier ce témoignage de A.M.Malingrey qui évoque Louise Pikovsky et qui explique qu’elle avait gardé les lettres de cette jeune lycéenne durant toutes ces années. C’est au moment de cet anniversaire qu’elle a déposé les lettres de Louise dans cette armoire qui furent oubliées par la suite.

La journaliste a ensuite cherché des témoignages pour en savoir davantage sur cette professeure de lettres. Elle a découvert qu’elle est restée célibataire, elle n’a pas eu d’enfants et elle a poursuivi une brillante carrière universitaire, reconnue dans son domaine, une spécialisation de l’étude des textes des pères de l’Eglise. Elle est décédée en 2002. La journaliste a réussi à trouver d’anciennes élèves de cette professeure. Ces anciennes élèves ont gardé un bon souvenir de Melle Malingrey et une d’elles se souvient que leur professeur n’a évoqué qu’une fois le souvenir de Louise en exprimant le regret de sa vie de ne pas l’avoir davantage aidée. La veille de l’arrestation de Louise, Melle Malingrey l’avait reçu chez elle dans le XVIIe arrondissement pour lui donner des cours. Il y a eu une alerte et Louise a refusé de rester chez son professeur pour aller rejoindre ses parents.

Dans le chapitre suivant, la journaliste aidée de sa collègue ont essayé de connaître davantage Louise et de connaître les raisons de cet attachement avec son professeur de lettres classiques. Elles ont retrouvé les livres de prix de l’époque distribués chaque fin d’année pour chaque classe et par matière. Louise reçoit le prix d’excellence en classe de cinquième en 1941 et première dans toutes les matières et pareillement pour l’année suivante en juillet 1942 quelques jours avant la rafle du Vel d’hiv. On peut donc comprendre cet attachement de la part de ce professeur à l’égard de cette élève brillante et vive versa celui de Louise envers son professeur lié à sa quête de savoir. Avec les lettres retrouvées il y a aussi la bible laissée par louise le jour de son arrestation. La journaliste évoque son étonnement devant le sang froid de Louise en rapportant les livres prêtés le jour même de son arrestation. La police française vient arrêter la famille Pikovsky le 22 janvier 1944, ils prennent le père et laissent une heure à la famille pour rassembler leurs affaires. La journaliste reste intriguée par ce temps accordé au reste de la famille, une heure pour se préparer ou bien une heure pour s’enfouir? Louise profite de cette heure en sursis pour remettre une lettre adressée à Melle Malingrey expliquant qu’elle et sa famille sont arrêtées et qu’elle lui confie la bible à rendre à sa destinataire.

La journaliste poursuit son enquête en essayant de retrouver les camarades de Louise à partir des photographies de classe de l’époque par chance signées au dos. La recherche fut délicate, 70 ans après, la plupart étaient mariées donc avec un nom différent de celui de la photo et beaucoup hélas décédées, approchant toutes les quatre-vingt dix ans. Au cours de cette recherche Stéphanie Trouillard a découvert qu’en réalité Louise n’était pas scolarisée au lycée Jean de la Fontaine car il fut réquisitionné par les Allemands pendant dès 1940, pour installer les bureaux de la marine de guerre . La journaliste a retrouvé des photographies montrant des allemands occupant ces locaux. Les jeunes filles avec Louise ont été envoyées dans le lycée de Janson de Sailly mais elles restaient élèves du lycée Jean de la Fontaine. Il reste encore des traces de l’occupation allemande dans les caves immenses du lycée Jean de la Fontaine avec des indications en allemand.

Grâce à cette photographie de classe, Stéphanie Trouillard a pu retrouver une amie de Louise, Madeleine Rivère, sa voisine de classe. Connaissant son nom de femme mariée et vivant dans la région parisienne, la journaliste a recherché dans l’annuaire et après de nombreux coup de téléphone, la journaliste tomba sur Madeleine et lui demanda si le nom de Louise Pikovsky lui rappelait une personne. Après un long silence Madeleine Rivère demanda à la journaliste de la rappeler le lendemain matin ce qu’elle fit et la camarade de classe de Louise après le temps de l’émotion raconta ses souvenirs d’adolescence avec Louise. Quelque part note la journaliste ce souvenir ravivé a réparé quelque chose chez elle celui d’apporter un témoignage pour la mémoire de Louise.

Stéphanie Trouillard continue son enquête pour savoir qui étaient les parents et la famille de Louise. Comme le patronyme l’indique sa famille n’était pas d’origine française et grâce à des sites de généalogie la journaliste a retrouvé des cousins éloignés de la famille Pikovsky qui lui ont expliqué que la famille était originaire de la région d’Ukraine. Le père de Louise est né à Nikolaïev en 1896, au nord d’Odessa, dans une région qui a connu des pogroms anti juifs dès la fin du XIXe siècle. Toute famille Pikovsky est partie en 1905 en France et s’est installée à Paris. Du côté de la mère de Louise c’est une famille juive originaire de l’Est de la France, la famille Kohn, dont le grand père maternel était le grand rabbin de Colmar. Le père de Louise est arrivé en France en 1905, il se marie en 1919 mais son épouse meurt brutalement et il se remarie avec la mère de Louise, et ils ont quatre enfants. A partir des actes de naissance de ses enfants Stéphanie est arrivée à tracer les différents métiers du père, horloger, chauffeur de taxi en autres. La famille Pikovsky vivait au 50 avenue Georges Sorel à Boulogne Billancourt. La journaliste s’est rendue sur les lieux et a essayé d’interroger les habitants de l’immeuble qui n’avaient jamais entendu parler de cette histoire. La journaliste a contacté la mairie de cette commune avec qui elle collabore depuis dans le but de faire mettre une plaque à la mémoire de la famille Pikovsky déportée vers les camps de la mort.

Stéphanie Trouillard dans le cadre de son enquête historique, rigoureusement scientifique basée sur des archives a fait appel à Serge Klarsfeld la personne de référence sur la Shoah en France, pour lui poser des questions sur le père de Louise car elle ne comprenait pas quelles ont été les circonstances qui ont pu permettre de libérer le père après avoir été arrêté lors de la rafle du Vel d’hiv en juillet 1942. Selon Serge Klarsfeld, Abraham Pikovsky, le père de Louise qui a été naturalisé français en 1937 et perdu sa nationalité avec les lois de Vichy de 1941, sa femme et ses enfants étant français, a certainement poussé son épouse a faire une demande pour que son mari puisse sortir de Drancy mais malheureusement deux ans plus tard toute la famille a été arrêtée en janvier 1944.

Stéphanie Trouillard consacre une chapitre suivant sur la déportation. La famille est arrêtée le 22 janvier 1944 à son domicile à Boulogne Billancourt et tout de suite envoyée à Drancy. La journaliste a pu voir et étudier les fiches concernant leur arrestation, appartenant aux Archives nationales, et qui sont au Mémorial de la Shoah. Il y a une fiche pour chaque membre de la famille. On peut lire leur nom et prénom, leur adresse et une lettre B en majuscule pour indiquer que la personne doit être déportée le plus vite possible et hélas toute la famille Pikovsky est concernée par cette mention terrible. Cette famille de six personnes a été arrêtée le 22 janvier 1944 puis internée au camp de transit de Drancy puis déportée le 3 février 1944 par le convoi numéro 67. Leurs noms apparaissent sur les listes de convois dans le Mémorial de la Shoah. La famille Pirovsky partent avec les 1214 personnes dans le même convoi. La journaliste a essayé de retrouver des survivants de ce train vers la mort. Plus de 900 personnes déportées sont gazées dès leur arrivée au camp Auschwitz et quelques personnes ont survécu comme cette femme, Léa Schwartzmann et sa sœur, douze membres de sa famille ne sont pas revenus des camps de la mort. La journaliste a recueilli un témoignage douloureux et terrible de ces voyages de trois jours dans des wagons fermés à plus de cinquante à cent déportés dans chacun d’eux, sans air, sans sanitaire et ni eau. Pour la famille de Louise la journaliste n’a plus trouvé de sources pour savoir à quel moment ils ont été gazés et s’ils ont été séparés. Aucune trace de cette famille n’a été trouvée dans les archives du camp. Ils sont probablement morts pratiquement à leur arrivée. Pourquoi Léa du même âge que Louise a pu rentrer dans le camp et non pas Louise. Une question qui restera sans réponse.

Cette enquête sur Louise a amené la journaliste à faire d’autres enquêtes sur des jeunes filles du lycée Jean de la Fontaine qui ont connu aussi la déportation. Avec une professeure de lettres, la journaliste a recherché à partir des listes de remise de prix, des bulletins scolaires, voir des archives faisant mention des élèves victimes de la guerre établies après la guerre, les noms de jeunes filles déportées. A la suite de son enquête sur Louise, Stéphanie Trouillard portée par cette histoire a souhaité continuer ses recherches pour retrouver le nom et les visages des autres jeunes filles déportées scolarisées dans le même lycée que Louise.

Avec Khalida Hatchy, professeure documentaliste au lycée Jean de la fontaine, la journaliste décida de faire don des lettres au Mémorial de la Shoah. Le nom des jeunes lycéennes déportées avec Louise et sa sœur Lucie, ont été retrouvés grâce à des photographies et à la suite d’une recherche dans les archives de Paris par la documentaliste du lycée qui a retrouvé une note laissée à la Libération par le proviseur du lycée Jean de la fontaine indiquant le nombre d’élèves victimes de la déportation. Un travail a ensuite été mené par des élèves d’une classe de première du lycée Jean de la Fontaine avec leur professeur de français. Deux jeunes filles, Romane et Colombe, ont retrouvé le nom de plusieurs élèves scolarisées en même temps que Louise. Stéphanie Trouillard avec l’aide de leur enseignante, ont cherché des photographie s pour les sortir de l’anonymat.

La conférence se termine par le rappel de l’inscription du nom de toute la famille déportée Pikovsky sur le mur du Mémorial de la Shoah à Paris mais la puissance des images, le thème des RVH de Blois retrouve ici tout son sens avec ce travail de mémoire et de recherche d’identification par les images insérées dans le web documentaire et des archives en accès libre pour ne pas oublier Louise, ses camarades de lycée, ses parents, tout ceux qui ont été déportés pour cause d’antisémitisme, de xénophobie, victimes d’une idéologie mortifère à laquelle a participé le gouvernement de Vichy, qui a pris en otage de nombreux civils. Des qualités indéniables de présentation, de clarté, d’explication par la journaliste qui ont été vivement applaudies, Louise a fini par nous habiter aussi, gagnés par l’émotion et le récit si proche de la vie de Louise que nous fûmes nombreux à rester pour poser à la journaliste les dernières questions.

Discussion avec la conférencière avec un public ému et intéressé

Le web documentaire restitue remarquablement la mémoire de Louise et de sa famille. Le public est impressionné par la masse d’informations recueillies en si peu de temps.

Elle nous explique que l’enquête a démarré en mars 2016, des recherches faites sur son temps libre, en dehors de ses activités professionnelles, au total six mois d’enquête et six mois pour créer et alimenter le site, et en même temps elle a continué à reconstituer toute l’histoire de cette famille et d’autres familles par ricoché. Beaucoup de chance nous dit-elle, guidée par une bonne étoile, elle a pu approcher les témoins encore en vie.

Une question posée par l’assistance, après avoir à nouveau encensé le travail de la journaliste, sur le parallèle avec Anne Franck, une comparaison pas nouvelle, mais une remarque sur les possibles similitudes et les rapprochements entre la jeune fille allemande et Louise française. Louise et Anne ont le même âge répond l’auteur du documentaire. Il y a aussi une similitude entre les écrits de Louise, sept lettres pour elle et un journal pour Anne, mais une même intelligence, les mêmes questions sur la religion, sur le sens de l’amitié, sur le savoir, et hélas un même destin tragique en 1944, « une incarnation française d’une spécificité de la Shoah à travers Louise Pikovsky » conclut Stéphanie Trouillard.

Pourquoi la famille Pikovsky ne s’est-elle pas cachée demande une autre personne du public. Plusieurs raisons pense la journaliste, c’est d’abord une famille modeste, une famille un peu isolée et une famille comme la plupart du temps qui n’a pas voulu se séparer, seules quelques mères ont eu le courage de se séparer et de cacher leurs enfants.
Une autre question sur pourquoi ce média, France 24, et pourquoi un livre au lieu d’un site. Journaliste de métier et spécialiste de l’écriture sur le web pour Stéphanie Trouillard le choix de la restitution de l’enquête ne s’est pas posé.

Stéphanie Trouillard travaille sur une autre support celui de raconter la vie de Louise à travers la bande dessinée, un projet destiné pour les jeunes. Pourquoi le choix du média France 24 car le professeur documentaliste du lycée à l’origine du projet a une sœur qui travaille avec la journaliste et qui lui a parlé de la découverte des lettres. C’est l’Importance de ces documents, de ces lieux de mémoire et de la transmission de cette mémoire aux plus jeunes qui a été le plus déterminant dans leur travail en équipe.

Les anciens déportés sont inquiets de ne plus témoigner et ils se posent la question sur comment transmettre lorsque les témoins disparaîtront d’où l’importance de ces archives collectées, des voyages de la mémoire et des lieux de la mémoire en France qui sont importants. Tous les documents concernant la déportation n’ont pas été retrouvés car la préfecture de police a détruit des archives d’où la collection phénoménale des documents d’archives, les fiches d’identification des juifs déportés, par le couple Klarsfeld, bien précieux contre les négationnistes. Stéphanie Trouillard raconte que son travail d’enquête sur Louise a intéressé un lycée d’Ukraine car la famille Pikovsky était originaire de cette région et elle s’y est déplacée. Les photographies prouvent l’existence de la shoah.

Des gens lui ont posé la question au cours de ces différentes interventions, pourquoi encore la Shoah, cela pose la question de la concurrence des mémoires. La journaliste nous rapporte cette anecdote au cours d’une conférence faite en Afrique où France 24 est beaucoup vue dans les pays africains, de nombreuses personnes lui demandèrent pourquoi ne pas travailler sur l’esclavage, sur des soldats des colonies, or Stéphanie Trouillard leur répond qu’elle travaille aussi sur ces questions en particulier sur les soldats tirailleurs mais qu’il ne faut pas tout mélanger.

Une question a été posée sur le débat qui a eu lieu au moment où a été imposé aux écoliers de choisir un nom parmi les enfants déportés et de « porter la mémoire » de cette victime de la Shoah et de demander à la conférencière son avis sur cette décision. Les deux lycéennes qui se sont appropriées la recherche de la mémoire d’autres jeunes filles déportées de leur lycée Jean de la fontaine, répond la journaliste, a été faite dans un contexte différent; ce n’était pas obligatoire mais lié à leur implication dans la recherche mémorielle, elles ont choisi.

Stéphanie Trouillards annonce qu’elle participera à un projet européen, le convoi 77, le dernier convoi à être parti de Drancy en 1944. Tous les pays dont les populations ont été déportées sont concernés, le projet consiste à constituer la biographie de toutes les personnes qui sont parties lors de ce dernier convoi. Stéphanie Trouillard propose plein de pistes pédagogiques pour les enseignants afin de faire travailler les élèves à partir de ces listes de convois de déportés, de retrouver leur biographie, de constituer une enquête sous des formes diverses et de travailler aussi sur d’autres archives en France car il y a encore beaucoup de « Louise » oubliées.

Une intervention remarquable, un web documentaire indispensable à destination de tout public et en particulier pour les professeurs préparant avec leurs élèves le concours de la Résistance et de la Déportation dont le thème cette année 2018-19 porte justement sur « Répressions et déportations en France et en Europe, 1939-1945. Espaces et histoire ».