Dans le cadre d’une « Carte blanche à la Fondation de la Résistance », la table ronde réunit :
– Julien Fargettas, docteur en histoire, auteur d’une thèse soutenue en décembre 2010 et publiée en 2012 aux éditions Tallandier, Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légendes et réalités. 1939-1945. On pourra lire un solide compte-rendu de cette thèse, sous la plume de Bruno Leroux, dans le muméro 69 (juin 2012) de La Lettre de la Fondation de la Résistance.
– Christine Lévisse-Touzé, directrice du Musée Leclerc-Musée Jean Moulin, professeure associé à l’université de Montpellier III, qui a publié en 1998 sa thèse (aujourd’hui épuisée), L’Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945, Albin Michel.
– Jean-François Murraciole, professeur à l’université de Montpellier III, qui a publié en 2010 aux éditions Tallandier, Les Français Libres. L’autre résistance.
– Antoine PROST, professeur émérite à l’université de Paris I.
L’ exposé de Jean-François Murraciole porte sur les soldats coloniaux dans la France libre. Les Français libres sont définis par la loi comme des engagés volontaires entre le 18 juin 1940 et le 31 juillet 1943. Ils furent environ 55 000 et ne doivent pas être confondus avec les soldats de l’armée d’Afrique. L’histoire des soldats coloniaux au sein de la France libre est encore une histoire en chantier.
Ils furent vraisemblablement 23 à 24 000, soit plus de 40 % de l’ensemble des Français libres. On ne connaît pas ou très mal leur date d’adhésion. On peut les recenser ainsi : 8000 hommes venaient d’Afrique occidentale française et d’Afrique équatoriale française ; 2000 étaient des Levantins, Syriens, Libanais ; 3200 étaient Océaniens (dont la moitié venus de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie), 1200 étaient Indiens, 600 Malgaches, 500 Djiboutiens et Somaliens. Étant des coloniaux, il n’était pas citoyens français. Leur âge était en moyenne plus élevé que celui des citoyens français, 28 ans contre 25. Il y avait en effet beaucoup de soldats de métier parmi ces engagés ; il n’y avait pas de femmes et beaucoup de paysans.
Il est très difficile de caractériser leur motivation. Théoriquement tout le monde est volontaire mais il faut distinguer les civils et les militaires de carrière qui avaient absolument besoin de leur solde et qui ont souvent suivi leur chef. C’est bien souvent un engagement économique, beaucoup deviennent graisseurs ou soutiers dans la marine marchande, ce qui est très dangereux (les risques sont plus grands de mourir dans la cale d’un navire de la France libre qu’en combattant à Bir Hakeim).
Julien Fargettas consacre son intervention aux Noirs dans la Résistance intérieure. En 1940, il y avait 40 à 60 000 hommes noirs dans les armées françaises. Prisonniers de guerre, ils ne furent pas transférés en Allemagne mais internés dans des Frontstalags, en France. 70 % étaient des Maghrébins et 25 % des « tirailleurs sénégalais ».
Vichy ne chercha pas à les faire libérer et accepta en 1943 la proposition allemande de faire garder les Frontstalags par des Français, jetant ainsi le discrédit sur les cadres militaires qui apparaissent comme des collaborateurs de l’occupant aux yeux des tirailleurs. Des chaînes d’évasion se mettent en place et, en 1944, des évasions collectives sont provoquées par les maquis. Une fois évadés, certains tirailleurs restent cachés, les autres intègrent des maquis où ils sont souvent affectés à la logistique. À la libération quelques groupes de tirailleurs défilent aux côtés des FFI.
À la Libération, on leur refuse le droit de se faire démobiliser en métropole et on leur fait attendre très longtemps le rapatriement en Afrique. Leurs conditions de vie sont alors pires que durant l’occupation. De nombreux incidents éclatent, en France en novembre et décembre 1944 ainsi qu’en août 1945 ; le plus grave des « incidents » se produit à Thiaroye, près de Dakar, en novembre 1944, pour des questions de solde et de drois. La répression, terrible, fit 35 morts.
Christine Lévisse-Touzé présente quelques cas précis, en utilisant la très riche exposition qui a eu lieu dans son musée, ainsi Eugénie Eboué et sa fille Ginette qui ont rejoint la France libre grâce au réseau de Gaston Monnerville. Eugénie Telle, née à Cayenne, institutrice, à Saint-Laurent-du-Maroni, a épousé Félix Éboué et est partie vivre avec lui lorsqu’il fut nommé gouverneur du Tchad français en 1938. Le couple se rallie au général de Gaulle dès août 1940, ce qui vaut à Félix Éboué d’être nommé gouverneur de l’Afrique équatoriale française. De son côté, Eugénie Telle s’engage dans les Forces françaises libres féminines et devient infirmière à l’hôpital militaire de Brazzaville.
Elle présente la 2e DB du Général Leclerc comme un symbole de la diversité. Quand la division fut transférée en Angleterre elle comptait 14 500 hommes dont 2600 soldats et officiers de l’empire colonial français. Mais elle fut frappée par le « blanchiment » : les soldats noirs furent jugés inaptes à servir dans une unité blindée.
Présent dans la salle, Jean-Louis Crémieux-Brilhac apporte quelques compléments :
– Les Algériens sont mobilisés tandis que les Marocains sont des volontaires car le Maroc étant un protectorat, c’est en théorie un État indépendant et le Sultan fut fait compagnon de la libération le 19 juin 1945. Néanmoins, la pression des chefs de villages et des cadres de l’armée française est grande, et jette un grand doute sur la réalité du volontariat.
– Entre avril et juin 1944, le corps expéditionnaire français, constitué pour moitié de goumiers marocains, de soldats algériens, tunisiens et de tirailleurs sénégalais, s’est rendu coupable de crimes de guerre en Italie centrale et méridionale et en particulier dans les environs du mont Cassin, une région localement appelée Ciociarie, où plus de 2 000 femmes ont été violées, ainsi que 600 hommes.
© Joël Drogland