Depuis lundi 4 novembre et jusqu’au 20 décembre 2024, huit adultes âgés de 22 à 65 ans comparaissent devant la cour d’assises spéciale de Paris pour leur implication présumée dans l’assassinat de Samuel Paty, décapité le vendredi 16 octobre 2020 par Abdoullakh Anzorov, un Russe radicalisé d’origine tchétchène âgé de 18 ans. Ce dernier, abattu par les policiers lors du drame ne sera jamais jugé.

La cour d’assises spéciale a été créée en 1982. En 1986, sa compétence est élargie pour juger les crimes de terrorisme, auparavant jugés par une cour d’assises normale. Elle est donc actuellement compétente pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée. Aucun juré n’est convoqué. Pour les premiers, elle se tient nécessairement à Paris. Pour le procès qui nous occupe, elle est présidée par Franck Zientara. Ce dernier a  déjà présidé une précédente cour d’assises spécialement composée lors du procès d’Abdelkader Merah, le grand frère de Mohamed Merah, en octobre 2017.

Précisons que ce procès est enregistré pour l’histoire, comme l’a indiqué le Président Zientara le premier jour de l’audience.

Le fonctionnement de la Cour d’assises spéciale

Schéma présentant la composition d’une cour d’assise spéciale (source : cour-appel.justice.fr)

Le président Il  dirige  les  débats,  et  prend  toutes  les  mesures  utiles  au  bon  déroulement  de l’audience. Il donne la parole à tous ceux qui doivent s’exprimer devant la cour (les personnes interrogées ne répondent qu’au Président). Il présente les faits reprochés à l’accusé et l’informe de ses droits. Il décide également des suspensions d’audience. Il est assisté d’assesseurs.

Les assesseurs  – Ils sont désignés par ordonnance du premier président de la cour d’assises. Ce sont des  magistrats  professionnels.  Ils  participent  au  débat  et  posent  des  questions pendant  l’audience.  Ils délibèrent  avec  le  président  à  l’issue  du  procès.  S’agissant d’une affaire jugée en 1ère instance, ils seront 4 ainsi que des suppléants.

L’avocat généralMagistrat du Parquet, il représente le Parquet, les intérêts de la société. Il exerce les poursuites contre les accusés et porte l’accusation. Dans son réquisitoire, il sollicite la peine qui lui semble la plus juste et adaptée au vu des faits poursuivis. Il peut, tout au long du procès, poser des questions aux témoins, aux experts, à l’accusé, et à la victime.

Le greffierIl  constitue  les  dossiers,  s’assure  que  toutes  les  formalités  procédurales  sont accomplies dans le respect de la loi, et authentifie les actes de la procédure.

L’huissierIl appelle les causes et veille au maintien de l’ordre dans la salle sous l’autorité du président.

Les avocats (de la défense / de la partie civile) Ils représentent et assistent les parties lors du procès. Ils peuvent poser des questions aux différents intervenants tout au long du procès, après chaque audition.

La ou les partie(s) civile(s) Elle  est  présente  en  tant  que  victime  et  peut  être  amenée  à  témoigner  des  actes commis et de leurs conséquences. Elle ne sera cependant pas entendue sous serment (article 335 du code de procédure pénale) ce qui lui permet d’assister à l’intégralité des débats.

Le ou les accusé(s)  – A tout moment du procès, sur décision du président, la parole pourra lui être donnée pour  réagir  aux  auditions  et  aux  témoignages.  Il  sera  également  personnellement entendu de façon approfondie sur les faits, mais aussi sur sa personnalité.

Les différents intervenants du procès

Les enquêteurs – Ils doivent relater devant la cour les faits constatés, les instructions reçues, les investigations accomplies, et plus généralement le déroulement de l’enquête.

Les témoins – Ils déposent dans l’ordre choisi par le Président. Il y a les témoins des « faits » qui ont personnellement constatés ces faits, et les témoins de « moralité » qui déposent sur la personnalité des parties au procès. Ils ne peuvent pas assister à l’audience tant qu’ils n’ont pas témoigné.

Les experts 

Les experts techniques – Ce sont des experts qui donneront à la cour un éclairage sur le déroulement le plus vraisemblable des faits, ou sur des éléments de preuve scientifique. Ex : médecin légiste, expert en balistique…

Les experts de personnalité – Il s’agit de professionnels tels que les psychologues, les médecins psychiatres qui donneront à la cour des informations concernant notamment la psychologie de l’accusé, à sa capacité de discernement etc.

( source : https://www.cours-appel.justice.fr/ )

Au total, 98 témoins sont cités à comparaître, dont 53 par le PNAT (Parquet national antiterroriste) et 18 experts, tandis que 24 parties civiles ont été enregistrées. 

Sont jugés jusqu’au 20 décembre :

  • Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, en BTS, amis de l’assassin, sont renvoyés pour complicité d’assassinat terroriste, un crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Originaires d’Evreux, et en détention provisoire depuis plusieurs années, ils sont très jeunes (23 et 22 ans) et accompagnaient Anzorov deux jours avant l’assassinat pour l’achat à Rouen d’un couteau retrouvé sur les lieux du crime. Naïm Boudaoud a également véhiculé Anzorov dans un magasin d’airsoft à Cergy pour y acheter des billes en plastique, des cartouches de gaz et de deux armes de poing airsoft : l’une de ses armes a été utilisée contre les forces de l’ordre par Anzorov.

Les six autres relèvent de l’association de malfaiteurs terroriste  pour laquelle ils encourent jusqu’à 30 ans de prison :

  • Yusuf Cinar, 22 ans, accusé d’avoir diffusé le message de revendication de l’attentat ainsi que la photo de Samuel Paty décapité,
  • Ismaïl Gamaev, 22 ans, en licence d’économie-gestion. Il est accusé d’avoir encouragé l’assassinat et d’avoir exprimé sa satisfaction après l’annonce de la décapitation de Samuel Paty,
  • Louqmane Ingar, 22 ans également, étudiant infirmier, qui a participé aux groupes Snapchat et qui évoquait un éventuel départ pour une organisation terroriste dans une zone de guerre,
  • Priscille Mangel (la seule femme), 36 ans, sans emploi, Nîmoise convertie à l’islam et citée dans d’autres procédures antiterroristes, qui a échangé de très nombreux messages avec  Anzorov,
  • Abdelhakim Sefrioui, 65 ans, militant islamiste,
  • Brahim Chnina, 52 ans, aide à domicile pour personnes malades. Il est le père de famille de l’élève absente ayant menti. Il est accusé d’avoir élaboré des vidéos présentant de fausses informations et appelant à la haine. 

Le calendrier du procès

  • La cour commencera par examiner lors des semaines deux et trois la question de l’éventuelle complicité des deux amis du terroriste (Nabil Boudaoud et Azim Epsirkhanov),
  • En semaine trois et quatre, seront abordés ce qui a « catalysé la haine » à savoir les vidéos réalisées par Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui  et, enfin, comment la djihadosphère a pu contribuer au drame (Yusuf Cinar, Ismael Gamaev, Lougmane Ingar et Priscilla Mangel ). 

Les particularités du procès

Le site du club des juristes propose une analyse de Jacques-Henri Robert, professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas afin de comprendre les enjeux du procès ICI

L’analyse sur le site de France culture et l’émission Questions du soir, le débat avec en intervenants :

  • Marc Trévidic Président de cour d’assises, ancien juge antiterroriste
  • Florence Sturm Journaliste à France Culture, chroniqueuse judiciaire
  • Virginie Sansico Historienne, rattachée au laboratoire Histoire-territoires-mémoire de l’université de Caen et au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) de l’université de Saint-Quentin en Yvelines.

Les dossiers des journaux

-Sur le site du journal Le Monde

-Sur le site de Libération ICI

Le portrait des 8 accusés et les chefs d’accusation

-Sur le site de France TV info ICI  et ICI

-Sur le site d’actujuridique.fr, un portrait en 4 parties est proposé à partir des éléments de l’enquête et des premières audiences.

Entrée de la salle des grands procès, palais de justice de Paris (Photo : ©P. Cabaret)