Le tourisme international connaît depuis quelques années une forte croissance, avec des conséquences souvent positives sur le développement économiques des territoires. Mais lorsque la fréquentation est trop forte, l’environnement se dégrade, les riverains s’exaspèrent.

Quels dégâts écologiques, culturels et sociaux sont engendrés par le tourisme ? Et quelles innovations envisager ?

A quel moment vous êtes-vous intéressés à la question du tourisme dans la société ?

Aude Vidal Autrice de Dévorer le monde – Voyage, capitalisme et domination, Payot, 2024 : Je n’ai pas eu un intérêt « académique » dans un premier temps mais plutôt une expérience de voyage. J’ai été moi même touriste, grande voyageuse et j’ai expérimenté la rencontre avec d’autres touristes en me rendant compte que tout était trop rapide, trop ethnocentré. J’ai aussi commencé à réfléchir aux comportements de personnes qui se disent « évoluées » et qui cherchent à défendre la justice sociale et la question climatique tout en voyageant à l’autre bout du monde.

Le tourisme m’est apparu comme une pratique de bourgeois qui s’amusent sans considération pour les autres.

Par la suite, lors d’un travail d’anthropologie, j’ai étudié un village dépendant du tourisme, aux portes d’un parc national.

Jean-Christophe GayGéographe, Tourismophobie. Il est aussi directeur scientifique de l’Institut du tourisme Côte d’Azur (ITCA Je suis originaire de Menton et Monaco. J’ai toujours côtoyé des touristes, surtout étrangers en été sur la Côte d’Azur. Quand j’étais jeune, ils étaient le symbole d’amusement, de rencontres.

Au cours de mon travail de recherche, j’ai étudié la Polynésie Française puis j’ai été professeur d’université à l’université de Nice. J’enseigne dans le Master tourisme et projets culturels internationaux. Le tourisme est donc au cœur de mes recherches et enseignements.

Le tourisme apporte beaucoup d’argent et d’emplois en PACA mais il a aussi un coté négatif au quotidien (surfréquentation, surtourisme…) qui mécontente les locaux.

Il y a donc une dualité entre la « tourismophobie » au quotidien et le fait de vouloir aussi être un touriste.

Aller voir ailleurs (proche ou lointain) et à la fois être tourismophobe quand cela touche notre espace, peut-on aller plus loin sur cette dualité ?

JCG : le tourisme commence au XVIIe avec la mode du « grand tour » des aristocrates anglais en Europe. Dès la fin du XVIIIe , les familles aristocrates suivent.

Dans les discours du XVIIIe, on distingue le « voyageur » (qui découvre et vit un lieu) et le touriste (péjoratif, qui passe juste dans un lieu).

En 2010, est apparu la notion de « surtourisme » en lien avec les problèmes liés à l’accès au logement pour les locaux dans les villes comme Berlin ou Barcelone.

Le surtourisme est le côté négatif du tourisme = les prix des logements explosent.

D’autre part, il y a eu une diffusion sociale de la pratique du tourisme = au départ, ce sont les élites qui partent puis avec le développement de la société industrielle, les classes inférieures accèdent au tourisme.

On voit aussi se développer dès le départ une misogynie dans la pratique du tourisme. Les grands voyageurs du XVIIe, XVIIe et XIXe siècle  sont des hommes en majorité. Les voyages organisés (Thomas Cook et ses croisières) vont permettre à des femmes de pouvoir voyager. Pierre LOTI critique ces femmes (les « cookesses ») qui voyagent seules. C’est un moyen d’émancipation des femmes mais on est suspicieux sur leurs comportements.

AV : Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit : la femme qui voyage seule devient un objet sexuel.

La notion de surtourisme montre une sorte de mépris de classe : dans le tourisme de masse, les touristes vont aller dans des lieux conçus pour accueillir beaucoup de monde. Ces touristes sont en majorité issus des classes populaires. Ils « changent » de classe quand ils vont dans des pays plus pauvres car leur pouvoir d’achat est plus important que celui des locaux. Ils deviennent des personnes riches dans un pays pauvre et cela peut créer des tensions.

Comment faire cohabiter tout le monde ? Et comment prendre en compte la question écologique ?

On a un besoin de plus en plus grand de bouger qui est rendu possible par le développement et le coût des transports low cost et de l’automobile. Mais quel est coût environnemental ?

JCG : c’est un gros problème. Le Costa Rica est emblématique de ces questions. Le marketing touristique repose sur les parcs naturels , le développement durable or 90 % des touristes viennent en avion. Il y a donc un grand enjeu de décarbonation.

De plus en plus de déplacements en voiture pour faire du tourisme se font en SUV or c’est un véhicule très polluant. Mais l’alternative des chemins de fer, en France, est insuffisante car le coût du train est prohibitif.

Autre élément, Guillaume Blanc (géographe) a étudié les limites des label écotourisme. Il a étudié le parc naturel d’Ethiopie qui remet en cause les usages des habitants locaux et qui cherchent à les déplacer.

AV : Quelles raisons met-on en avant quand on voyage ? La connaissance de l’autre, des espaces. Aujourd’hui, il faut montrer ce que l’on fait sur les réseaux comme Instagram. Or si on voyage sans avoir lu ou s’en s’être renseigner sur l’espace que l’on découvre, ce qu’il va rester du voyage va être très pauvre. On y a été donc on a compris le pays ! Mais c’est faux. Il vaut mieux parfois voyager à travers les livres pour vraiment comprendre un pays.

JCG : il y a différentes modalités du tourisme = pour la sociabilité, la découverte, les rencontres, la famille, l’amusement, le shopping…

On met en avant en général le fait de découvrir. Mais une partie des touristes en été vont rester sur la plage et faire du shopping, et c’est tout. N’ont-ils pas le droit de le faire ?

SP : On peut revenir sur cette idée d’invasion des touristes à toutes les échelles. On voit dans l’actualité des « révoltes » d’habitants. est-ce une idée reçue ?

AV : Il y a de vraies raisons pour ces révoltes et elles n’ont pas lieu que dans les grandes villes. Les villes moyennes sont aussi touchées . Il y a le problème de « l’airbnbisation » mais aussi celui des résidences secondaires.

A Douarnenez, il y a eu une recherche – action menée dans le but de dépasser cette situation avec une approche sociologique.

JCG : L’Organisation Mondiale du Tourisme dit qu’en 2023, il y a eu 1,5 milliards de touristes et il y en aura 1,8 milliards en 2030. C’est donc un phénomène massif qui continue d’évoluer.

Aujourd’hui, on assiste à un marketing pour promouvoir des lieux alternatifs : par exemple, les Guides du Routard vous font croire que vous n’êtes pas vraiment un touriste mais plutôt un voyageur / découvreur, avec des bons plans. En même temps, il n’y a pas de limite du nombre de guide à vendre : ils sont disponibles au plus grand nombre !

Pour conclure ; quel compromis pour l’avenir ? On ne peut s’empêcher de voyager donc quelles solutions ?

AV : il faut entrer dans la décroissance. La question du tourisme souligne la montée des inégalités. La pauvreté augmente et en parallèle, on a de plus en plus de touristes. Les tensions vont continuer à monter.

JCG : Attention, à l’échelle de la France, 1/3 des Français ne partent pas en vacances car n’en ont pas les moyens.  N’ont -ils pas le droit d’avoir accès un jour au tourisme ? Aux voyages ? Idem pour les pays émergents ou plus pauvre ? Il y a là aussi une question d’égalité sociale.