Il s’agira d’apporter – en toute modestie tant la question posée aux festivaliers ne se mesurera qu’à l’aune des événements à venir – quelques éclairages synthétiques sur ce qui a été échangé pendant ces 4 jours et de proposer quelques pistes pour le thème transversal de l’an prochain….
Pour Axelle Degans, présente depuis la 1ère édition, c’est le temps de la maturité pour un festival qui s’impose comme une référence dans un heureux pays qui compte déjà celui de Blois pour l’histoire et celui de Saint-Dié pour la géographie !
Le thème choisi était particulièrement mobilisateur et a rencontré son public avec des interventions tant à l’échelle intérieure des Etats-Unis avec des cartes à l’échelle du comté pour mieux comprendre les enjeux électoraux et les fragilités socio-économiques, qu’à l’échelle internationale avec des interventions remarquables sur leur rôle dans le cyber-espace, la guerre économique, le poids financier, la norme juridique, leur façon de penser le monde en terme géopolitiques, tout ceci avec des cartes dont l’apport pédagogique auquel le GEM est particulièrment attaché Les conférenciers ont pu participer à des ateliers avec jeux sérieux et objets connectés utilisés pour la formation des étudiants, en marge du festival… comme celles réalisées par les élèves du lycée Europole de Grenoble et leur usage central par de nombreux conférenciers, cartes qui permettent littéralement de « penser le monde ».
La géopolitique, ce sont l’histoire, la géographie, l’économie, les rapports de force, la prospective aussi ; introduire la géopolitique aux côtés de la culture générale dans un cursus de formation de nos futures élites qui devront s’adapter à un monde changeant et instable comme le fait le GEM est donc indispensable.
On voit les étudiants de l’école participer, s’investir dans ce festival. C’est heureux pour une génération que l’on dit volontiers entravée par les technologies numériques et qui trace ici une route qui est originale parce que le monde qui vient est différent de celui que nous avions connu.
Et pour l’an prochain ? Les routes… terrestres, maritimes, dans l’espace, celles qui existen déjà et celles qui s’ouvrent…
Pour Jean-Michel Crosnier, qui représente ici le point de vue des enseignants d’histoire-géographie, les festivals comme celui de Grenoble sont la meilleure formation continue possible car ils sont l’occasion d’une formidable actualisation des connaissances à transmettre à ses élèves ; ils sont aussi l’occasion de rencontres fructueuses entre collègues de toute la France qui viennent avec leurs lycéens et étudiants toujours plus nombreux, près de 200 élèves du lycée du Grésivaudan ont pu assister durant une journée banalisée à plusieurs conférences de leur choix avec un thème traité dans les programmes de terminale, avec la grande satisfaction de recevoir de leur part des retours extrêmement chaleureux…
Pour ce qui est du thème et de ce qu’on peut en dire au vu de ces 4 jours extrêmement intéressants, un classement et une métaphore sportive :
- On trouve 12 métropoles aux Etats-Unis dans les 100 premiers PIB mondiaux Voir à ce propos les CR des conférences de nos collègues géographes Christian Montès, Cynthya Ghorra-Gobin : https://www.clionautes.org/-festival-de-geopolitique-de-grenoble-2018-.html. À ce compte-là, il n’y a pas vraiment de déclin.
- « Si les Etats-Unis ont été l’équivalent du PSG dominant outrageusement la ligue 1 de footbal pendant une décennie, ils sont maintenant en liga espagnole avec une concurrence redoutable (Real, Barça, Atletico, Betis…) » Merci à Frédéric Pichon pour l’excellente anecdote 😉
Et pour l’an prochain ? Une géopolitique des réseaux et de l’internet ? Encore des routes…
Pour Thibault Renard qui a été dès la 1ère édition festivalier puis intervenant, et désormais organisateur de tables rondes, du point de vue de l’entrepreneur regardant la puissance américaine, « Rien ne change et tout change » : les Etats-Unis sont partout, sur tous les fronts économiques, financiers, technologiques et juridiques et obligent les entreprises françaises à tenir compte des techniques de management à l’américaine, à s’adapter constamment à leurs normes que l’Europe peine à contester tant chez les entreprises traditionnelles (cf. l’affaire Alsthom, abondamment commentée durant ce festival) que dans l’économie des réseaux où ils ont toujours une longueur d’avance. Les Etats-Unis sont sur une ligne souple, adaptable aux évolutions et ils faudra clairement compter sur eux pour ce siècle. Pour les entreprises, le risque « pays » dans lequel on voudrait investir s’apprécie de plus en plus à une connaissance géopolitique du terrain. Bravo donc au GEM qui l’a bien compris, et au festival qui sait lui s’adapter en montrant aux côtés d’interventions académiques de qualité des Youtubers qui peuvent parler de géopolitique Ecouter la table ronde animée par Thibault Renard, à venir sur la chaine YouTube du festival : https://www.youtube.com/channel/UC4_aP-ObQBj2P2DvEzTT1tw…
Et pour l’an prochain ? Thibault propose une géopolitique des plaisirs, de l’attractivité. Ou plus sérieusement (?) d’une géopolitique du « hors-sol », mer, ciel, espace, qui excluerait le temps d’un festival la géopolitique « terrestre »…
Pour Lauric Henneton, enseignant-chercheur, le thème comprend comme son livre, un point d’interrogation Dernière parution de Lauric Henneton : https://www.babelio.com/livres/Henneton-La-Fin-du-reve-americain/988793 ; il n’y a pas de réponse tranchée. L’association entre un siècle et une puissance n’est pas évidente. Il faut distinguer le déclin absolu et le déclin relatif, celui dans un domaine et pas un autre. Les EU contraignent et ne sont pas contraints ; donc il n’y a pas de déclin sur ce plan. Mais il faut plus de finesse peut-être. Le questionnement des outils d’analyse fait comprendre le monde, et pas le résultat ; le plus important est le voyage et non pas la destination. Les réponses sont différentes. Le débat est enrichi. On se pose la question du retour à la normale après une anomalie. Les Américains se posent des questions sans cesse ; la réponse dépend de qui pose la question et de l’agenda. America first signifie-t-il que tout va bien ou le contraire ? Derrière, il y a le déclin et le spectre du déclin, la peur du déclin ; cela a un impact décisif sur la prise de décision avec la vulnérabilité et son sentiment. On peut interroger le déclin réel et le chiffrer. Mais la thèse inverse est aussi inattaquable, avec la prospective. La puissance fluctue selon qui est au pouvoir ; sous Obama, les Républicains disaient que le pays était en perdition ; quand ils ont récupéré le pouvoir, au-delà de la Maison Blanche, cela va mieux, même si c’est avec Trump…
Et pour l’an prochain ? Peut-être une géopolitique des émotions : peur, colère, etc. Cf Dominique Moïsi…
Questions du public
Il semble que vous soyez d’accord pour ne pas parler de déclin. Mais outre le fait que les EU ont perdu l’initiative – par ex. au Proche-Orient – que penser des fractures internes qui menacent le pays d’éclatement ?
TR : Qui en 1914 aurait pensé que le XXe siècle serait américain ? Pourtant dès 1915, les Européens se sont suicidés…
LH : Il y a des fluctuations qu’on tend à minimiser car on est dans l’immédiat ; il y a eu Bush, Trump mais Obama au milieu ; il y a une alternance ; les peurs et espoirs changent. C’est une sinusoïde.
Comme les Soviétiques en 1979, les Américains se sont embourbés en Afghanistan. N’est-ce pas le signe d’un déclin géopolitique ?
JMC : Les EU ont connu des désastres militaires alors qu’ils se pensaient comme l’hyper-puissance. L’Afghanistan en est assurément un : des milliards ont été engloutis, avec des milliers de morts américains, ce qui est beaucoup au regard de la doctrine Obama « No troops on the ground », mais l’économie de guerre, elle, fonctionne. Or on ne peut conclure au déclin sur un seul critère.
Est-ce que les Etats-Unis ont la capacité d’avoir leur propre siècle ?
LH : Il y a la puissance et la volonté de puissance, celle de l’exercer. Et cette volonté est intacte ; le suicide dont a parlé Thibault est le refus de la puissance et de son exercice.
JMC : En 1917 les EU sont déjà la première puissance ; mais ils ne se considèrent pas comme tels ; ils s’affichent seulement à partir de 1944 ; le siècle américain c’est aussi ça : le début du siècle américain n’est pas clair, et sa fin non plus.
TR : Les choses vont vite ; les acteurs du numérique comme Google veulent changer la société avec le transhumanisme, c’est-à-dire changer l’être humain en profondeur. Cela rejoint les grandes utopies. Quelque chose est en germe dans la Silicon Valley, peut-être une symbiose avec la technologie encore plus forte qu’avec la révolution industrielle ; et cette révolution naîtra aux EU car c’est là que sont les GAFA.
JF Fiorina : Voir l’excellent livre de Laurent Alexandre, « La guerre des intelligences ». Merci à tous. Merci à nos sponsors, à nos associations d’étudiants, et à l’équipe organisatrice.
Gràce à vous et à eux, ce festival peut continuer sereinement son histoire, avec un nouveau thème et une nouvelle organisation Thème qui sera annoncé prochainement sur les réseaux sociaux avec une organisation qui se doit d’évoluer au vu de l’augmentation de 40% de la fréquentation cette année… pour l’an prochain.