La table ronde d’ouverture du cycle économique des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois 2021 nous propose une introduction économique au thème du travail. La proposition des Echos, partenaire des RVHB est certes ambitieuse, mais gageons que le festival aura le temps en 4 jours d’en approfondir les premières pistes…
Après les remerciements d’usage, la conférence démarre véritablement avec un point d’histoire sur le travail, par Christophe Degrelle, président d’Agglopolys, la communauté d’agglomération de Blois.
Un peu d’histoire, pour commencer le festival
Et hier ?
On pourrait choisir des dates-clé…
1864, création de l’Association Internationale du Travail (1ère internationale des travailleurs), etc.
Ou bien remonter aux premiers temps de l’histoire…
En s’intéressant à ce que James Scott, historien à Yale, en parlant du travail, qualifie de « rivalité entre éleveurs et chasseurs-cueilleurs en Mésopotamie il y a 6000 ans James C. Scott est professeur émérite de science politique et d’anthropologie à l’université Yale. Il est l’auteur de nombreux livres, dont trois ont été traduits en français : La Domination et les arts de la résistance (Amsterdam, 2009), Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (Seuil, 2013) et Petit Éloge de l’anarchisme (Lux, 2013). ».
Avec 3 pistes au présent
Celles qu’un élu local, président d’une communauté d’agglomération, peut apporter comme « intellectuel en action » :
Arpenter le terrain :
où l’on apprend que l’usage est de plus en plus choisi, plutôt que la propriété. Exemples : acheter en 2nde main plutôt que neuf, construire des bureaux ? Avec la pandémie ce sont 25% de bureaux en moins en Ile de France. Logistique ? Les clients et les consommateurs mettent les entreprises sous pression.
Apprendre :
En lisant James Scott, ou Thomas Piketty – que l’on partage leurs idées ou pas, car il faut connaître et considérer tous les changements actuels. Ils sont nombreux et vont vite.
Admirer :
Les créateurs : Enki Bilal, qui dans « Bug » imagine dans un futur proche un krach mondial de données.
« Paresse pour tous » un livre iconoclaste qui propose de ne travailler que 3h par jour.
La nouvelle série « Squid Games » dans laquelle, en Corée, les pauvres « jouent leur vie » dans des usines à jouer…
Et une question au public : « Sommes nous pendant ces 4 jours en train de travailler ou de jouer ? »
Place au débat inaugural du cycle économique des RVHB
animé par Leila de Comarmond, journaliste aux Échos
Que vous évoque le 8 mars 2019 ?
Isabelle Plaid, DRH du groupe BRGM :
Nous avons mis en place une cellule de crise immédiate pour mettre en télétravail avec outils adéquats tous nos collaborateurs.
LdC : l’étude de la DARES sur le télétravail en 2019 : 4% des salariés (9% occasionnellement). Or en 2020, le chiffre passe à 39%…
Murielle Pénicaud, ancienne ministre du travail :
Nous avons actuellement 8% de chômeurs, chiffre non atteint depuis 8 ans avec la mise en place immédiate d’un airbag géant pour 8 millions de salariés et 1million d’entreprises. Exemple qui a été suivi par de nombreux pays.
Quelle productivité du télétravail ?
Patrick Arthus, conseiller économique chez Natixis :
L’optimum c’est le mi-temps. Il y a une grosse augmentation de la productivité pour les créatifs, mais aucunement pour les tâches répétitives faites chez soi.
« L’effet Doghnuts » ? Vous allez a une heure du centre-ville pour travailler chez soi et 30% d’utilisation des bureaux en moins ; 18% de bureaux en vacance en IDF ; le prix du bois de construction, des semi-conducteurs à explosé, conduisant à la pénurie.
MP : l’aspiration a changé le télétravail en hybride, qui est recherché surtout par les jeunes générations.
IP : pour les DRH autonomie et agilité vs contrôle ; mais attention à la dureté des échanges par mail ou réseaux sociaux !
Quels sont les enjeux de la digitalisation ?
PA : elle contribue à bipolariser le marché du travail. Disparition des ouvriers et employés intermédiaires relativement qualifiés et créations d’emploi routinières en logistique. Un robot remplace 3 emplois industriels qualifiés et crée 4 emplois de service peu qualifiés, ce qui est inquiétant. D’après Patrick Artus, ce serait la 1ère Revolution industrielle qui baisserait les qualifications ??? L’historien du XIXe doit s’étonner, car les artisans du textile étaient beaucoup plus qualifiés que les Canuts des soieries lyonnaises…
MP : on n’a encore rien vu par ex les effets de l’intelligence artificielle dans les tâches répétitives des métiers des professions intellectuelles. Or avocats et enseignants sont concernés. Par ailleurs, l’effet de la transition écologique va renforcer la tendance induise par la numérisation de modification radicale des emplois et de leur validité. L’OCDE parle de la validité sur 2 ans des qualifications ; dans les années 80 c’était 30 ans…. Désastre social à venir !
IP : C’est aussi la responsabilité des entreprises : accompagner et former aux métiers de demain, trouver des doubles profils de chercheurs et manipulateurs d’outils numériques ; le salarié va devenir acteur, comme le consommateur, mais à quel prix ?
Quid justement de la transition écologique ?
MP : En Pologne, 85% de l’énergie vient du charbon de Silésie. Les reconsversions seront douloureuses, les résistances fortes. Il faut se tourner vers l’économie circulaire, qui est une forte aspiration des jeunes. Pour eux, écologie et solidarité sont liés.
PA : On va détruire du capital comme dans une économie post-guerre. Exemple, dans l’automobile, dans 30 ans le thermique ne concernera plus que le parc ancien. Ce sont en conséquence 200 000 emplois à détruire et des emplois à créer mais où ? Dans d’autres branches comme l’isolation des bâtiments, dans laquelle la demande est énorme. Ce qui veut dire se reconvertir, souvent dans la contrainte. De plus, la mobilité est très faible en France du fait des difficultés à vendre sa maison…
Et augmenter les salaires ?
PA : Augmenter les plus bas salaires sans détruire de l’emploi est possible avec de nouveaux accords de branche. Ce qui se traduira par une forme de taxation pour les entreprises et d’impôt sur les particuliers.
MP : Faute d’ascenseur social en panne, peu de perspectives de reconversions positives.
Nécessité de négocier par branches ? Marché du travail dual : le statut d’indépendant est il viable ?
PA : le statut d’indépendant est une spécialité britannique et française. Alors que dans l’OCDE les autres pays développés s’en passent !
MP : beaucoup d’artisans et TPE le sont, mais ont besoin de protection. Une régulation européenne est nécessaire pour les travailleurs des plateformes. Les plateformes doivent cotiser à la formation et à la sécurité sociale comme les autres.
IP : le salariat reste essentiel pour la protection des travailleurs. La mobilité ne peut être conçue sans contrepartie.
Quel est le comportement des jeunes générations ?
MP : Les jeunes générations conçoivent le management non comme une relation hiérarchique mais comme du coaching. Quant à l’hybridation, la pandémie a généralisé la question à toutes les générations.
IP : Quête de sens et reconnaissance sont le mot d’ordre pour toutes les générations.
PA : On voit de plus en plus de jeunes diplômés choisir de travailler d’abord avec des ONG. Ce qui ne les empêche pas de finir dans le CAC 40… On constate également des reconversions très étonnantes, radicales, chez les seniors.
Questions du public :
Q1 : A propos de « l’airbag » évoqué par la ministre. Peut-on parler de dissociation du revenu avec le travail ?
MP : Avec la pandémie et le télétravail imposé, il y a redécouverte du lien social. Mais se substitue-t-il au temps de travail classique, ou est-il le désir de retrouver les collègues ?
Le salaire est venu de l’Etat parce qu’il fallait conserver ses compétences professionnelles. Le travail ne pouvait donc pas disparaître en tant qu’activité à la fois économique et sociale. Il est vrai par contre que ce rapport a surtout changé dans les métiers de la culture et des services, où la question s’est posée avec plus d’acuité.
PA : l’Etat peut il compléter les smic ? Question essentielle sur le fait de sortir les salariés de la pauvreté.
Q2 : Qui pour négocier l’accord de branche ? Dans l’artisanat les salaires sont bas. Ex la coiffure.
MP : Nous avons dû faire avec un vrai handicap en France. 800 branches professionnelles – que nous avons réussi à réduire à 200 – pour 50 en Allemagne dont certaines comme IGMetall ou Verd.i jouent un rôle fondamental dans les améliorations dont bénéficient leurs salariés.
On manque par ailleurs d’ingénieurs car les filles, qui réussissent mieux dans les filières scientifiques, ne sont que 20% à y aller. En coiffure ou dans la restauration, les salaires sont trop bas. Les minimas de branche sont ultra-concurrentiels. Comment un salon pourrait augmenter ses employé(e)s sans souffrir de la concurrence ?
Q3 : L’inflation repart de façon spectaculaire. Quelles conséquences ?
PA : le choc énergétique – en fait le choc gazier – c’est 20% d’augmentation en 1 jour ! Que faire ? L’indexation salaires / prix des années 80 avait favorisé une très forte inflation. Aujourd’hui, 20% des salaires les plus bas consacrent 15% de leur budget en dépenses énergétiques. Alors que pour les 20% les plus hauts, c’est 4%… Les inégalités se creusent !
IP : Conséquences ? Les crises sociales vont s’accentuer du fait du creusement des inégalités, des reconversions à venir que ce soit avec la digitalisation ou la transition écologique.
Le maire de Blois : Je voudrais souligner un problème majeur. Les accords de branche ne seront pas suffisants. Il faudrait un « Grenelle de l’emploi », également pour les professions intellectuelles mal payées (santé, éducation…)
PA : D’accord sur le principe. Mais qu’avons-nous comme marge de manœuvre ? Avec 5% de déficit et un impôt sur la production trop fort ?
Commentaire :
une conférence inaugurative très stimulante mais pessimiste. Si les économistes et les politiques nous disent que demain sera pire, il y a de quoi se faire du mouron.
Mais aussi s’atteler à trouver des solutions !