Le territoire des gouvernances pionnières s’efforce de montrer comment quatre lieux, le Briançonnais, Figeac, Cergy-Pontoise mais aussi le territoire symbolique des citoyens, s’adaptent aux enjeux contemporains.
L’un s’appuie sur une vieille Charte de 1343 (Briançonnais), l’autre s’adapte aux principes coopératifs (Figeac), un autre demander à de jeunes praticiens d’ orienter la maîtrise d’œuvre urbaine (Cergy), un dernier développe les sciences participatives au Muséum national d’Histoire naturelle.
Pour traiter de ce thème :
Emmanuelle Gonzalez, directrice-adjointe de l’unité de service Mosaic au Muséum national d’Histoire naturelle
Christine Lepoittevin, directrice des Ateliers Internationaux de Maîtrise d’œuvre Urbaine (Ateliers de Cergy)
Pierre Leroy, président du Pays Grand Briançonnais ; Dominique Olivier, directeur de la coopérative ‘Fermes de Figeac ».
La coordination et la modération sont assurées par Louis Henry, responsable Transition énergétique et Ville durable à l’Institut Caisse des Dépots (CDC) pour la Recherche.
Introduction
Louis Henry introduit la table-ronde en la situant en cette année 2020. Il renvoie au livre de Guy Debord, La société du spectacle (Gallimard, coll. Folio, 1996).
A Cergy, avant même la décentralisation, l’atelier de maîtrise d’œuvre a mis en place des instruments de gouvernance locale. La gouvernance locale est un fait social. Depuis le Moyen Âge la commune est le lieu d’une gouvernance urbaine auto-organisée. Elle vise l’émancipation des habitants, la défense des intérêts communs et à la solidarité. L’enjeu est de gagner des libertés face au lien féodal.
En Afrique, l’arbre à palabres est un outil bien connu de transition sociale et de formation de la jeunesse, de résolution de crise, de consensus. Il a inspiré les chefs de quartier au Sénégal ou les « Community House » en Indonésie.
Par conséquent, la gouvernance locale repose sur l’interaction entre les acteurs clés d’un espace, l’identification des parties prenantes, la mesure de l’écart entre la légitimité de la décision et la capacité à la mettre en œuvre.
Christine Lepoittevin présente l’expérience de Cergy
Cergy, atelier urbanistique
Tout d’abord, Cergy est un atelier urbanistique depuis plus de 30 ans et un laboratoire d’idées pour les villes nouvelles. On y organise des universités d’été internationales depuis 1982 (environ 80 ont eu lieu en tout). Les autorités peuvent ainsi définir des stratégies de développement urbain à différentes échelles. Les ateliers sont pluridisciplinaires. Ils peuvent déborder des limites administratives. Enfin, ils sont collectifs et permettent la libre-proposition. L’AFD1 a exporté ces ateliers, à Porto Novo (Bénin) par exemple.
Les questionnements actuels
Actuellement, la demande évolue vers les enjeux de la ville de demain et la qualité de vie des habitants. Ces ateliers demandent une importante préparation avec un comité des partenaires entre tous les acteurs locaux. Trois jeux d’acteurs sont observés :
- le rapport entre État et collectivités hors des cadres habituels (intercommunalité, intercommunalité ignorée). Par exemple, quand on étudie l’attractivité d’un territoire élargi ou que l’on veut visualiser les interactions. On a ainsi intégré le Surinam dans les travaux portant sur l’espace frontalier de Saint-Vincent du Maroni (Guyane).
- la place de la société civile dans les décisions de l’action publique locale, notamment avec les réseaux sociaux. Par exemple à Tirana en Albanie, on mène un travail sur la place des associations de quartiers et leur relais avec le maire.
- la volonté d’un dialogue organisé, productif, pour agir ensemble. A noter, toujours important, l’Inter-connaissance des acteurs.
Dominique Olivier et « Les Fermes de Figeac »
La coopérative des « Fermes de Figeac »
Pour commencer, l’intervenant rapporte l’histoire de la coopérative « Les Fermes de Figeac », dans un territoire en déclin, le Lot au début des années 80. Malgré les conseils, les coopératives n’ont pas fusionné. En 1994, une étude sur l’avenir du territoire, ni dans les Causses ni dans le Cantal, montre qu’il faut, au préalable, forger une identité locale. Quelques jalons :
1999 : premiers essais de produits régionaux,
2003 : première boucherie des éleveurs,
2010 : rachat d’une scierie locale.
2015: la coopérative travaille sur la responsabilité sociale de l’entreprise
2020: abandon du statut de coopérative par « Les Fermes de Figeac » pour celui de société de l’économie sociale et solidaire.
Donc les produits sont un moyen de créer de la gouvernance locale. Ils créent un lien de proximité : l’auto-consommation est évaluée à 14 %.
La transition énergétique et ses conséquences
Depuis 2008, la réflexion porte sur les moyens de valoriser les ressources énergétiques locales. Citons le parc solaire coopératif (2009 = 500 toits plus le service de maintenance Interne par la coopérative – société « Ségala Agriculture et Énergie Solaire) ou le parc éolien. La démarche peut renvoyer à Godin.
Ainsi, on est passé d’un territoire perçu comme une contrainte, à un territoire matrice avec la charte paysagère, puis à un territoire allié en 2012. Une thèse INRA Montpellier-Agro Paris Tech sur les gouvernances et les territoires et les moyens d’éviter les clivages entre agriculteurs et habitants, est édifiante. Depuis 2018, le territoire est un avenir mais pose la question de ses compétences pour 2030.
Or, le pôle territorial de gestion économique ne marche pas. Il est perçu comme concurrent par les élus et les entreprises. Statut ESS le capital est détenu par les agriculteurs 40 % des salariés les consommateurs. Sur la durée, la coopérative défend une agriculture plurielle, une gestion innovante du vivant et ouverte à tous. Le projet est un bien commun à construire. Pour cela il faut que les élus financent de l’ingénierie.
Et demain ? Rester un territoire de projet !
Les projets d’avenir sont l’installation de jeunes, le développement de la production agricole et la recherche de nouvelles valeurs ajoutées, économiques et environnementales. Cela passe par la production d’énergies renouvelables, la gestion de la biodiversité et du paysage, etc.
Pierre Leroy, président du Pays Grand Briançonnais
S’inspirer d’une charte de 1343
Ancien maire de Puy-Saint-André (Serre-Chevalier), Pierre Leroy fait référence au livre de Mathieu Rivat, Ces maires qui changent tout, Sous-titre Le génie créatif des communes, Actes-Sud, 2017.
Le Pays Grand Briançonnais, pôle d’équilibre territorial et rural, est confronté à l’adaptation aux changements climatiques sur un vaste territoire et avec une population de 36 000 habitants. Les températures moyennes ont augmenté de 2,2 % avec pour effet les difficultés du travail de guide, l’effondrement du tunnel du Chambon, les éboulements en montagne (la Meige), la diminution de l’eau en alpage. La réflexion2 s’est appuyée sur l’histoire d’une charte médiévale. La charte de la république des escartons, fondée sur le le rachat des droits seigneuriaux d’Humbert II en 1343 et sur un slogan « tout faire ensemble ». L’intervenant souligne l’intérêt d’une réappropriation de l’histoire pour plus de solidarité. La transition écologique ne se fera pas sans lutter contre les clivages. Sur le long terme, il s’agit de satisfaire les besoins primaires des populations. C’est aussi la problématique des gilets jaunes.
Quel bilan ?
En fait, on sait faire. Les déchets ont diminué de 40 %, on gaspille moins les ressources énergétiques et on économise l’eau. Il y a un problème d’ingénierie territoriale. Faire ensemble pour redonner le pouvoir aux patients, aux citoyens, aux territoires. Les élus sont des animateurs, pour prendre soin d’un territoire, d’une population mais la baisse des subventions de l’État freine le « faire ensemble ».
Pour finir, l’intervenant donne un exemple d’atelier sur le PLU de sa commune : c’est quoi votre village désirable dans 20 ans ? Il y a nécessité de recréer de la confiance, notamment d’intégrer les jeunes aux débats. L’atelier a débouché sur le nouveau PLU et sur un projet d’habitat participatif sur un terrain communal. Il s’agit d’un travail de la fabrique des transitions.
Emmanuelle Gonzalez – Sciences participatives, Muséum, Mosaïc
Traditionnellement, le Muséum demandait aux voyageurs partant vers les colonies de rapporter des éléments pour construire un savoir. Cette démarche peut être une source d’inspiration pour le Muséum.
Ainsi, le projet Mosaïc est un projet de sciences participatives, d’intelligence collective et du partage du savoir entre gouvernants et gouvernés. Autour du concept de communauté apprenante, le projet Spipoll3 est un programme de suivi des insectes pollinisateurs lancés en 2000. Chaque acteur apprend à son rythme avec comme conséquence une transformation de soi, et de ses pratiques. À terme, c’est toute la société qui se transforme. La méthode peut s’appliquer à d’autres enjeux, par exemple à Carpentras autour de la biodiversité ou dans quelques quartiers de Seine-Saint-Denis sur l’addiction aux écrans des enfants de moins de trois ans. Ces projets permettent de développer la démocratie participative. Ils permettent enfin de bâtir un projet politique (par exemple le projet « semences paysannes »).
Ces témoignages témoignent de modes de gouvernance pionnières pour un territoire.
Si vous souhaitez lire les autres comptes-rendus de conférence des Clionautes pour l’édition 2020 des RDVH de Blois, vous pouvez vous rendre sur la page dédiée.
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1 Agence française de développement
2 « Nos prédécesseurs, sur ce territoire des Escartons, il y a 650 ans ont fait des choix. Serons nous en capacité de faire de même ? » https://paysgrandbrianconnais.fr/le-petr/histoire-de-lassociation-du-pays-au-petr
3 Suivi photographique des insectes pollinisateurs