Le réseau social préféré des très jeunes peut-il devenir un outil pédagogique pour transmettre l’histoire de la Shoah ? Des mémoriaux l’utilisent, ainsi que des témoins. Et vous, qu’en pensez-vous ? Des témoins et des mémoriaux s’emparent de plus en plus de TikTok pour transmettre la mémoire selon la Deutsche Welle. Est-ce pour autant le meilleur outil pour ce faire ?
Zoom sur ce qui se fait en France, en Allemagne et en Autriche. Donnez-nous votre avis à la fin de cet article.
TikTok et les reconstitutions douteuses des camps de la mort
En 2020 TikTok, le réseau social préféré des 14-24 ans a défrayé la chronique en voyant le nombre de reconstitutions fictives de l’holocauste exploser : des adolescents mimaient une arrivée au paradis suite à leur mort dans des camps de la mort sur fond sonore de pop musique par exemple. Des posts maladroits et déplacés qui “s’approchent dangereusement ou ont déjà franchi le seuil de banalisation de l’histoire” alertait le Mémorial de la Shoah à l’époque.
Aujourd’hui encore le #Holocauste est très populaire sur TikTok. Il réunit quelque 990 millions de vues sur le réseau social. La Deutsche Welle pointe que la “Génération Z” (les jeunes nés entre 1997 et 2010) a un intérêt plus fort pour l’histoire de la Shoah que la génération précédente.
En France, une enquête Ifop de 2022 montre un fort attachement des jeunes au devoir de mémoire et des connaissances perfectibles sur le sujet.
Suite aux scandales de 2020, TikTok a revu ses pratiques. Le réseau social a lancé sa propre campagne de sensibilisation, renvoie automatiquement à la page aboutholocaust.org (site multilingue – version française) créée par le Congrès juif mondial et l’Unesco pour chaque vidéo sur le sujet et soutient 15 mémoriaux – dont ceux de Mathausen en Autriche et de Neuengamme, à Hambourg en Allemagne.
Des comptes TikTok très suivis
Les mémoriaux qui utilisent TikTok sont assez suivis.
Par exemple, celui de Neuengamme a ouvert un compte TikTok pédagogique en novembre 2021 et affiche 27 000 abonnés. Depuis son lancement, les administrateurs notent une hausse de la fréquentation des jeunes visiteurs.
D’autres mémoriaux comme ceux de Bergen-Belsen en Allemagne et Mathausen en Autriche ont eux-aussi créé leurs comptes TikTok et comptent respectivement plus de 7 000 et 10 000 abonnés.
À rebours des vidéos polémiques, ces mémoriaux ne proposent pas de reconstitutions. Ils misent sur de très courtes présentations d’archives, de photos d’époque ou d’éléments de leur muséographie.
Tout est dans le format : accroche intrigante, succession de plans (explications dynamiques d’un spécialiste du mémorial, successions d’images d’intérieur et d’extérieur). “Qu’y a-t-il derrière cette porte?” interroge en ouverture une vidéo sur le stockage des archives au Mémorial de Neuengamme par exemple.
Les vidéos durent moins d’une minute. Aucun développement n’est donc proposé. Elles ressemblent davantage à des teasers qu’à des vidéos d’information.
Quid en France ?
En France, le Mémorial de la Shoah a rejoint TikTok fin 2022. Il affiche environ 800 abonnés et reprend en partie les vidéos du compte Instagram.
Il mise sur des vidéos plus longues que les mémoriaux allemands et propose, par exemple, des images expliquées, des présentations d’expositions en cours par leurs commissaires, des interviews en lien avec des tables-rondes, des extraits de témoignages, etc.
Le Mémorial de Caen, qui compte plus de 1 200 abonnés, a choisi de publier sur TikTok des vidéos plus ciblées sur les activités proposées aux jeunes comme les Journées de plaidoiries des lycéens.
Témoigner sur TikTok
Des survivants aussi utilisent cet outil, avec l’aide de leurs petits ou arrières-petits enfants.
Lily Ebert, 99 ans, survivante d’Auschwitz-Birkenau, compte ainsi 1,9 millions d’abonnés. Son compte propose de courtes vidéos dans lesquelles elle témoigne de sa déportation et de ses terribles conditions de vie dans ce camp de la mort.
Gidon Lev, 88 ans, a quant à lui fait la promotion de son livre sur ses années au camp de Theresienstadt, Theresienstadt , situé à 60 km de Prague en République tchèque, était un camp destiné à berner les gouvernements étrangers sur la réalité des conditions de vie des juifs et de la finalité des déportations. sur TikTok avec l’aide de son éditrice et compte 427 000 abonnés. Gidon Lev s’inquiète de la montée de l’antisémitisme ces dernières années et considère qu’il faut agir “de toutes les manières possibles” pour sensibiliser les adolescents et riposter face aux négationnistes. Pour lui, le medium TikTok permet de toucher les jeunes.
En France, le magazine Marie-Claire a publié un grand article sur les témoins les plus suivis sur les réseaux sociaux. Les interventions de Ginette Kolinka affichent des nombre de vues impressionnants : plusieurs centaines de milliers au moins, des millions sur des comptes d’influenceurs comme Jerem Star (spécialisé célébrités, il a réalisé une interview de Ginette Kolinka parue en plusieurs capsules vidéos).
Sophie Nahum, réalisatrice du documentaire Les Derniers a d’abord travaillé sur les réseaux sociaux avant de produire de plus longs formats. Elle explique à Marie-Claire que sa démarche était loin de faire l’unanimité : “Certains acteurs de la mémoire n’ont pas accueilli le projet à bras ouverts, car il était pensé pour les réseaux sociaux, et donc, perçu comme ‘peu sérieux’. Mais plus on avance dans le temps, moins les nouvelles générations auront envie de débuter cet apprentissage en visionnant Shoah de Claude Lanzmann. Avec des épisodes de huit à dix minutes, j’ai pensé que les plus jeunes ne seraient pas envahis d’appréhension au moment d’en lancer un premier. Et souvent, un second, puis un troisième… »
Si le grand âge des derniers survivants rend urgent de filmer les témoignages de celles et ceux qui peuvent encore raconter ce qu’ils ont vécu, les réseaux sociaux sont-ils le meilleur moyen de les transmettre ?
Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah, indique à Marie Claire que ce medium est devenu incontournable et le considère comme complémentaire de celui des institutions : “il est crucial d’être présent sur ces plateformes pour faire échec aux falsificateurs. Notre seul défi : trouver la balance, les formats qui permettent de garder la dignité du sujet. Je suis convaincu qu’aujourd’hui il doit y avoir un travail de mémoire 2.0. »
Malgré tout, les formats courts, les plus consommés par les jeunes, manquent souvent de profondeur d’analyse. L’émotion est omniprésente sur les réseaux sociaux, souvent au détriment de réflexions plus complexes.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Face à ce phénomène qui prend de l’ampleur, l’Association « Familles et Amis des Déportés du Convoi 77 » vous propose de donner votre avis.
TikTok est-il, pour vous, un bon medium pour transmettre la Shoah au XXIe siècle ?
Donnez-nous votre avis (jusqu’au 02/06/2023). Les résultats paraîtront en juin.
Sources et liens :
- https://www.dw.com/de/holocaust-tiktok-erinnern/a-64479671
- https://www.courrierinternational.com/article/memoire-tiktok-nouveau-lieu-de-sensibilisation-a-l-holocauste
- https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-monde-nouveau/un-monde-nouveau-du-mardi-04-avril-2023-3764728
- https://observers.france24.com/fr/europe/20220128-nazis-tiktok-survivant-auschwitz-holocauste-shoah-lily-ebert
- https://fr.timesofisrael.com/un-survivant-de-la-shoah-devenu-star-de-tiktok-lutte-contre-lantisemitisme-en-ligne/