Dans la droite ligne des expérimentations sur l’IA menées avec des élèves, voici une nouvelle étape : travailler l’HGGSP avec un robot : fantasme oui réalité qui se dessine ? Qu’adviendrait-il si l’IA intégrée d’un robot pouvait apprendre tous les cours d’un professeur ?

Pour explorer cette question, nous avons imaginé une expérience avec Nao, un robot humanoïde qui est capable depuis quelques semaines de communiquer de manière autonome grâce à GPT et Mistral. Nous l’avons entraîné avec les vidéos de ma chaîne YouTube d’histoire-géographie puis nous l’avons confronté à trois classes de lycée afin de mieux comprendre :

1/ Ce qui nous rend, nous enseignants, irremplaçables dans la transmission des savoirs
2/ Comment l’intelligence artificielle peut enrichir des cours de spécialité, ici la géopolitique
3/ La plus-value de la robotique dans l’environnement déjà hyper performant des IA génératives

Nous avons ensuite réitéré l’expérience avec ma camarade Léa Peigne, étudiante à Sciences Po Paris et membre des Clionautes, qui maîtrise les contenus disciplinaires de ma chaîne pour produire une vidéo rendant compte de nos conclusions.

➡️ Je vous laisse visionner la vidéo avant de lire à la suite ma review détaillée des apports et des limites actuelles de ce type d’outil. Bon visionnage 📖

 

Introduction

 

La société Aldebaran m’a contacté à la rentrée 2024 avec l’intention de tester le robot Nao dans un cours d’histoire-géographie. Ce robot pédagogique était jusqu’ici surtout utilisé par les professeurs de technologie, de SNT (sciences du numérique) et de mathématiques, notamment dans des cours de programmation.

J’étais un peu dubitatif même si le sujet de l’IA en histoire-géographie m’intéresse au premier plan. L’activité Jules César mise en avant sur les réseaux et dans laquelle le robot prend la personnalité d’un personnage historique ne m’avait pas parue adaptée à des lycéens. Toutefois, j’étais intrigué par la robotique en elle-même et par le fait qu’Aldebaran soit une société française. Je me suis donc prêté au jeu du bêtatest de cet outil qui existe depuis plusieurs années qui peut désormais communiquer de manière autonome grâce à ChatGPT ou Mistral ou tout autre LLM selon la préférence de l’utilisateur.

➡️ Mes attentes.

Au départ, je n’avais aucune attente particulière si ce n’est de « faire venirdes spécialistes de l’IA au lycée » dans le cadre d’une séance d’EMC de seconde (projet sur l’IA et la presse) et d’un cours de spécialité hggsp (l’enjeu de l’information). Une séance d’EMC de terminale (débat en classe sur le clonage) s’est greffée en raison de mon emploi du temps.

 

➡️ L’utilisation en classe.

J’ai donc eu la chance de recevoir au lycée Marine Chamoux, ingénieure en informatique, et Clarisse Martin, ergonome, pour tester Nao en situation. Après plusieurs échanges, nous avons convenu ce qui suit.

  • En seconde, nous ferions un cours classique sur la robotique et l’IA faisant alterner démonstration du robot, questions et explications de nos intervenantes : une présentation qui aurait pu à peu de choses près s’appliquer à de nombreuses disciplines
  • En spé hggsp, nous avons tenté une expérience plus originale. Le robot a appris le contenu de ma chaîne YouTube puis il a été en mesure d’effectuer deux séries d’exercices. D’abord des quizz conçus à partir mes contenus. Ensuite des interrogations orales sur les notions de géopolitique du programme Guerre et paix. L’activité ne devait durer qu’une heure mais les élèves ont beaucoup apprécié et nous avons utilisé les deux heures de la séance avec Nao.
  • En terminale, Nao devait soutenir une position (difficile) en faveur du clonage humain reproductif (pourtant interdit) et répondre aux arguments des élèves.

Trois exercices assez différents qui ont donc permis d’évaluer l’étendue des capacités du Nao.

 

➡️ Bilan des trois activités

Voir ce petit robot s’animer et se mouvoir procure un mélange d’excitation et d‘étonnement. Les élèves ont adoré et n’ont pas vu le temps passer. Toutefois la perception de l’activité est très différente selon la proximité avec le robot. En interaction face à face avec le robot, les échanges sont troublants. En tant que spectateur, c’est amusant mais sans ce sentiment étrange que l’on ressent à communiquer avec une machine.

Je ferai peu de commentaire sur la séance en seconde qui avait de vraies vertus pédagogiques sur la robotique et l’ia mais qui était moins directement liée aux enjeux de l’enseignement de l’histoire-géographie.

La séance d’hggsp était beaucoup plus intéressante pour moi. C’est le protocole réemployé dans la vidéo YouTube. La limite principale des IA génératives actuelles, c’est la question de la base de données. Alimentez une IA sur un corpus sexiste et vous aurez du sexisme. Alimentez là avec wikipédia et vous aurez du wikipédia, du wikipédia guidé, amélioré, mieux organisé mais du wikipédia qui ne sera pas forcément adapté au public scolaire. Alors certes, vous pouvez demander à l’IA d’agir « en tant que » ou l’orienter vers tel ou tel type de contenu mais rien ne vaut la sélection manuelle, par des enseignants, de la base à partir de laquelle ils vont travailler. De ce point de vue l’expérience a été très concluante, Nao répondait comme un prof de spécialité.

La séance de débat enfin était particulièrement utile. L’un des intérêts majeurs de l’IA est de pouvoir varier les points de vue sur un sujet donné ou de bénéficier d’une expertise extérieure à moindre frais. Sans surprise, le robot était très fort même s’il a un talent extraordinaire pour la langue de bois !

 

➡️ La plus-value l’IA intégrée

L’absence d’interface et d’écran ainsi que la capacité du robot à s’animer font que nous sommes très éloignés d’une expérience avec un mur de texte. C’est à peu près la même différence qu’entre lire un bon livre de contes et assister au spectacle d’un conteur.

La démonstration (pour l’instant scriptée) : « Nao, raconte-moi Star Wars » laisse entrevoir des possibilités immenses. Le robot mime des tirs de fusil blaster ou des combats à l’épée et prend la voix de Dark Vador ou imite le bruit du sabre laser. Tout le monde a trouvé ça incroyable.

Je pense que l’absence d’interface informatique offre par ailleurs de multiples possibilités pédagogiques dans un contexte scolaire et auprès de petites classes. Cela me semble une porte d’entrée assez extraordinaire en 1re et au collège pour « utiliser l’IA » sans directement faire manipuler l’IA aux élèves comme les recommandations officielles le demandent pour l’instant.

 

➡️ Les axes d’amélioration

L’interaction homme-machine reste très perfectible. Le robot a du mal à savoir quand on s’adresse à lui, quand commence notre prise de parole et quand elle se termine. Il détecte cela à partir des blancs d’une conversation. Par conséquent, si vous cherchez vos mots quand vous lui parlez, il vous coupera et commencera à vous répondre sans attendre la suite de votre phrase. Je pense qu’il faudrait un système de mot-clé de début et de fin pour rendre les interactions plus efficaces. C’est actuellement le gros point noir mais rien qui ne puisse être amélioré et je pense que c’était le sens des tests en situation de Marine et Clarisse.

Pour une utilisation de l’IA en classe se pose plus que dans tout autre domaine la question des sources. En alimentant l’IA avec des cours de professeurs, nous sommes totalement restés dans le cadre attendu d’un cours de spécialité. Cela m’a semblé très concluant. Il est donc urgent que les acteurs de l’IA s’adresse aux professeurs et aux éditeurs scolaires pour créer des contenus réellement adaptés à nos utilisations. Nous ne sommes qu’au début de ce processus et je pense que le cœur de la bataille de l’IA à venir sera celle du data. En France, des acteurs majeurs du savoir comme la BNF, Hachette, Belin, les PUF ou encore la presse sont à mon avis les vrais maîtres du jeu. Il y a pléthore de modèles de langages qui font tout de même beaucoup penser à des clones, il n’y a qu’un Gallimard et qu’un Dessous des cartes.

Passeurs de savoir, prenez le contrôle !

Je remercie la société ALDEBARAN, une entreprise française qui conçoit des robots sociaux, pour avoir rendu cette expérience possible et pour avoir géré la partie data et programmation du projet. Je remercie aussi le label NEFLE/CNR du ministère octroyé au lycée Raynouard (Académie de Nice) pour notre travail sur l’IA depuis 2022 et Laure Mayer du Pôle académique de soutien à l’innovation qui nous accompagne depuis les premiers temps de nos expérimentations.