Cet ouvrage m’a été confié à la suite d’une demande de mes estimés collègues, animateurs comme moi-même de la Cliothèque. Catherine et Xavier, qui sont gens facétieux mais de bonne compagnie. Ils savent que j’entretiens avec Twitter et certains des aficionados de ce réseau social des relations particulières, et cela depuis 2010.
Force est de constater que mes deux compères ont eu raison. Cet ouvrage est important et utile. Important car il s’agit d’une synthèse très documentée sur les évolutions et les usages du second réseau social au monde, après Facebook, utile car il permet au profane où à l’utilisateur non averti de comprendre les enjeux du système.

Chez les Clionautes, comme dans le monde éducatif auquel nous appartenons, comme association disciplinaire, la question de twitter a été souvent évoquée. Certains courants des « sciences de l’éducation », y voient une sorte de Révolution copernicienne qui devrait irriguer la pédagogie à la suite d’expérimentations que je persiste à considérer comme limitées et peu représentatives eu égard aux faibles effectifs des expérimentateurs sans parler de l’absence de bilan. On peut toutefois considérer que cette pratique dans le monde éducatif est innovante par essence mais encore faut-il que cela soit évalué de façon scientifique. Et dans ce domaine, justement l’évaluation n’est pas une science exacte.
Cet ouvrage est composé par 12 contributions qui sont autant d’approches différentes de ce réseau social, apparu en 2006 et dont la croissance, avec plus de 500 millions d’utilisateurs et 500 millions de dollars de revenus publicitaires attendus en 2014 est extrêmement rapide.
Les twitts, c’est à dire des messages limités à 140 caractères, sont devenus des objets médiatiques à part entière puisque les medias traditionnels, anciens dirait-on, les citent comme des informations en tant que telles. Twitter est aussi devenu un media autonome, si l’on s’appuie sur l’un des articles du recueil, celui de Valérie-Jeanne Perrier et Tristan Mendès-France, « Du micro au macro, quand le journaliste témoigne d’un événement sur Twitter ».

Dans cet article, les auteurs évoquent le suivi du procès du tueur norvégien en juin 2012. Plus près de nous d’ailleurs, la capacité des « twittos », à rapporter un événement a été illustrée par les attentats de Boston, le 16 avril 2013. (Nous rédigeons cet article le 17 !)

En février 2011, pour la première participation des Clionautes au salon du livre des sciences humaines, des rédacteurs de la Cliothèque avaient ainsi rendu compte d’une très importante table ronde avec Michel Foucher et Sylvain Kahn sur le devenir de l’Europe. (Cela s’appelle un tweet live !). Le plus drôle dans l’histoire réside dans le fait que les promoteurs de twitter et des réseaux sociaux en général au sein des Clionautes n’aient jamais pensé à le faire avant !)
C’est d’ailleurs de cette époque que date le compte twitter @Cliotheque, qui est suivi, depuis par des centaines de followers… A ce propos, la méthode du RT, c’est à dire du retweet, la rediffusion du message, à ses propres abonnés, est qualifiée de virale.

Twitter, comme Facebook, et Google vendent un produit, et ce produit c’est l’utilisateur. En utilisant Twitter on est exposé à des messages publicitaires en mode texte, peu intrusifs, mais sans doute efficaces. De la même façon, les Tweets sont archivés et les informations qu’ils révèlent, de Twitter facilement indéxées sont autant de sources d’informations sur une frange de consommateurs-cibles.

C’est à ce niveau que les perspectives publicitaires de Twitter sont les plus étendues. Les Twittos correspondent à une catégorie socio-économique intéressante, mieux éduquée, socialement plus favorisée et plus avertie que des utilisateurs d’autres medias. Ce sont ces cibles qui sont recherchées par les annonceurs.

L’autre article qui nous interpelle en tant qu’utilisateurs de Twitter est celle de la curation. La contribution de Vincent Lambert et de Vanessa Landaverde a retenu notre attention.
La pratique de la curation de contenus concerne la récolte, le tri et la conservation des informations trouvées sur Twitter, ces informations étant elle-même trouvées sur le web. Cette pratique est largement développée grâce aux médias sociaux, d’autant plus qu’un système de widget, des outils de clic sur les pages web, permet d’en automatiser la pratique. Ensuite, mais l’article n’en parle pas, on peut metre en place un compte Scoopit ou Paper.li, les deux interfaces ayant leurs avantages et leurs inconvénients.

Les deux auteurs se livrent à une analyse sémantique du terme de curation, et insistent sur la notion de soin apporté à la conservation d’un savoir dispersé et à son classement. Le terme vient de l’anglais « curator » plus complet, il réunit les termes de veilleurs, de conservateur et de classeur. Évidemment ces actions ne sont pas neutres.

A partir de cet article nous serions tentés de nous intéresser à l’usage de cet outil dans les pratiques enseignantes.
L’article de Xavier Inthilguerra est à certains égards éclairants puisqu’il traite d’une pratique de l’interaction pendant le cours, considérant l’apprentissage informel comme partie intégrante du processus de formation à distance. Le postulat serait que la dynamique communautaire favoriserait l’engagement et la participation des apprenants en situation d’apprentissage distant. Cette simple réflexion invaliderait à mon sens les expérimentations dans les petites classes, école primaire, collège et même lycée, dans la mesure où l’espace de travail est la classe avec sa dynamique propre qui est fonction d’un relationnel a-symétrique entre la parole du maître et celle de l’élève. Twitter favorise l’échange de pair à pair, certes mais dans ce cas, nous quittons la dimension éducative. L’auteur de l’article évoque d’ailleurs une expérience outre atlantique, dans laquelle une université de l’Indiana a permis l’intégration dans l’espace numérique de travail d’un fil twitter permettant d’interagir dans le cours. Cela a été qualifié de pertinage, contraction entre bavardage et pertinent.

Toutefois, et c’est sans doute la limite de l’objet de l’téude, la finalisation de l’usage est quand même l’apprentissage, rendu facile par une diffusion plus rapide mais se pose tout de même au final la diffusion de contenus. Si l’on se base sur des expériences de Formation ouverte à distance, tel que développées par ICADEMIE, on aboutit au final à la mise en place de formations hybrides association de présentiel et d’enseignements distant. Encore une fois, nous sommes dans une démarche de travail sur les contenus. Le fait que la Confcall, la conférence à distance soit podcastable, montre bien qu’au final on revient sur un support de cours classique, c’est à dire la parole de l’enseignant en direction de l’apprenant.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces usages d’outils dont la vocation n’est pas désintéressée. Cela n’est pas un problème si les usagers sont effectivement éduqués à ces pratiques. Cela est plus inquiétant lorsque le décalage se creuse entre le langage et les sociolectes, c’est à dire des langages spécifiques aux contraintes techniques des outils utilisés. Le risque est celui que nous avons évoqué à plusieurs reprises celui d’usages normés, obéissant dès leur conception aux contraintes et aux limites des outils.

Enfin, au moment où j’écris cet article, dans un train qui me conduit vers un cours en présenciel, je m’interroge sur la sociabilité d’un univers où mes compagnons de voyages qui twittent de concert, viennent de quitter leur place sans un regard dans ma direction. Si la curation sociale qui se retrouve dans les usages de twitter, cette notion qui intègre aussi le « care », le soin et l’attention aux autres devraient être développés non seulement dans l’univers virtuel mais dans le monde réel.

Bruno Modica ©Les Clionautes

http://clio-cr.clionautes.org/twitter-un-monde-en-tout-petit.html#.U4CZ3yi8BZI