Tout ça pour ça ?

Le sujet « zéro » de la nouvelle mouture du CRPE vient d’être rendu visible sur les réseaux sociaux et dans les milieux autorisés. Prévu pour se dérouler en fin de L3, il nous a particulièrement interloqué en tant que spécialistes de géographie, d’histoire et d’enseignement moral et civique.

Suppression de l’épreuve d’application…

En effet, nos disciplines jusque-là proposées dans une « épreuve d’application » avec la possibilité de leur préférer les volets « sciences et technologie » ou « arts » se voient aujourd’hui regroupées avec ces mêmes domaines mais aussi avec l’EPS et les langues vivantes (allemand, anglais, espagnol ou italien). Ce sont donc cinq domaines (A : histoire, géographie, EMC ; B : arts ; C : EPS ; D : sciences et technologie ; E : langues vivantes) que le candidat devra, cette fois en intégralité, traiter en…45 minutes !

… Pour des QCM

A raison de 9 minutes par partie (et donc de 3 fois 3 minutes pour ce qui nous occupe ici) si l’on considère le partage équitable, quel peut bien être le tour de passe-passe qui se cache derrière ça ? Tout simplement une vérification de quelques connaissances de la manière la plus simpliste possible, principalement en suivant la voie du questionnaire à choix multiples.

Des connaissances type brevet des collèges ?

Ainsi la géographie demande deux définitions sommaires (« accroissement naturel » et « développement durable ») ainsi que la complétion de la légende d’un simple croquis cartographique sur la répartition de la population française dont les intitulés ont été retirés.

L’histoire demande la remise en ordre chronologique de 6 évènements ou périodes historiques (le règne de Louis XIV, la Commune de Paris, la Renaissance, la Révolution française, la bataille d’Austerlitz, l’invention de l’imprimerie), l’identification d’acteurs majeurs de la Première Guerre Mondiale parmi 6 propositions (Maréchal Foch, Joseph Staline, Philippe Pétain, Adolf Hitler, Hirohito, Charles de Gaulle), l’identification du fait historique rattaché au document associé (ici la une du « Petit Parisien » évoquant l’assassinat de François-Ferdinand et de sa femme) et enfin la caractérisation, en 5 lignes, de ce que peut être un « état totalitaire ».

En EMC, il convient de rappeler quels sont les droits « naturels, inaliénables et sacrés » de la DDHC de 1789 et de cocher, parmi une liste de huit propositions, celles qui « correspondent » à ce qu’est la laïcité française.

Que cela est maigre !

Alors certes le concours est avancé dans le cursus, certes ces L3 ne seront sans doute pas tous issus d’un parcours pluridisciplinaire leur permettant d’avoir une petite culture générale dans tous les domaines (bien que l’objectif de la nouvelle licence PPPE – parcours préparatoire au professorat des écoles – soit justement celui-là avec d’ailleurs une bonne partie des effectifs qui auraient une place réservée au concours) mais tout de même ! Même si le volet histoire-géographie-EMC n’est pas énorme dans la nouvelle maquette (90 heures au total pour les trois disciplines sur les trois années), il y aurait tout de même eu moyen de proposer quelque chose de plus copieux pour flatter la sagacité et la motivation des candidats.

Quel peut être le projet politique sous-jacent ?

Sans nul doute de reprendre totalement les choses à zéro en master avec une volonté de mettre au pas les enseignants dans leur expertise réflexive et créative. Ce sujet résonne fort avec le projet de « choc des savoirs » qui voit déjà les programmes de français et de mathématiques se mécaniser avec l’utopie qu’un bon élève standard serait capable de les suivre à la lettre et au rythme prévu.

A l’heure où le calendrier fait paraître les sujets du brevet pour les écoles françaises d’Amérique du Nord, comment peut-on imaginer des décideurs politiques laisser des élèves de 3ème plancher 2 heures sur des questions demandant, entre autres, des « développements construits » et ne laisser que 9 minutes à des étudiants 6 ans plus vieux et engagés dans un processus de formation au professorat à qui on demanderait, au mieux, des « questions à réponses courtes » ?

Si nous avons salué une réforme du CAPES, mettant en meilleure adéquation les thématiques du concours avec celles des programmes d’enseignement du métier, nous ne pouvons que nous indigner de cette vision réellement réductrice que le corps politique a des fondations que représente le premier degré, fondations toujours plus malmenées au travers d’un concours dont on se désintéresse chaque jour un peu plus. Ce mépris envers l’intelligence des candidats est également adressé aux formateurs, aux chercheurs en pédagogie et en didactiques des disciplines, aux auteurs d’ouvrages de préparation aux épreuves dont on se demande bien comment ils pourront se différencier les uns des autres…bref, à l’ensemble d’une communauté dont la mission est pourtant de préparer l’avenir d’une jeune génération déjà elle-même bien en difficulté dans les classes !

Le « sujet zéro » est ici :