Dans une tribune publiée au Figaro ce 25 juin 2024, un collectif de juristes dénonce la « politisation rampante de l’enseignement », notamment en histoire. Le texte évoque d’abord l’agitation pro-Hamas dans l’enseignement supérieur, aux relents antisémites, avant de pointer les responsabilités du chaos : l’islamo-gauchisme enseignant qui suinterait des manuels d’histoire et du dernier sujet donné au baccalauréat en HGGSP « Juger les crimes de masse et les génocides depuis 1945 ».
Le texte nous est tombé des mains.
Une tribune du Cercle droit et débat public
Une fois de plus cet article illustre de façon criante la méconnaissance globale de la façon dont nous travaillons avec les élèves et du fonctionnement de l’enseignement. Partant du principe que les enseignants sont tous des islamo-gauchistes, ces personnalités, dont le parcours professionnel est pourtant remarquable, se révèlent incapables de nuances. Elles offrent le spectacle lamentable de citoyens à peine éclairés, se faisant un devoir de surfer sur les discours politiques les plus simplistes.
On appréciera cette absence de retenue en cette période électorale.
Remise en cause de l’enseignement du fait religieux
Non, le manuel Hachette de 5ème n’a rien à se reprocher en commençant par les origines de l’islam. C’est tout simplement le programme et ni les chrétiens, ni les juifs ne sont oubliés, puisque christianisme et judaïsme sont traités en 6ème. Rien de nouveau sous le soleil d’ailleurs. Nous tenons à la disposition de qui le demande nos vieux manuels d’histoire des années 1970 qui accordaient déjà de la place à la civilisation musulmane. Déjà de l’islamo-gauchisme à ce moment-là ?
Non, mettre à l’étude une sourate sur le sort réservé aux religions du Livre ne revient pas à donner un « quitus académique au fanatisme », ni à banaliser quoi que ce soit. Au même titre que retranscrire un passage biblique ne fait pas prendre pour argent comptant l’itinéraire dans le désert de Moïse ou les miracles du Christ.
Oui en parlant de ces sujets, les élèves recevront, quelle que soit l’origine ou la religion, un bagage élémentaire historique sur les trois grands monothéismes.
Ce n’est pas en évitant tous les sujets qui fâchent en classe que l’on améliore quoi que ce soit et c’est surprenant qu’un collectif invitant au débat dans sa titulature veuille y renoncer pour la jeunesse.
Remise en cause du sujet du bac 2024 comme entorse à la neutralité
Non, ce sujet de baccalauréat n’est pas orienté politiquement. Il a d’ailleurs été donné plusieurs fois les années passées, cinq fois pour être précis, notamment dans les centres de Polynésie et de Mayotte-Liban en 2022. Il s’appuie sur un programme qui a été conçu en 2019. Il conclut un thème qui amène à brasser la Shoah, Porajmos, la guerre d’Algérie, le génocide du Rwanda, les crimes commis dans l’ex-Yougoslavie…
Non, ce sujet n’évince pas la Shoah qui, dans le programme, est placée en « objet de travail conclusif ». Au moins six heures de cours y sont consacrées : un volume inégalé dans tout le secondaire. Tous les éléments historiques donnés par le Cercle droit et débat public sont connus des enseignants qui disposent d’excellentes formations sur le sujet et d’une bibliographie très conséquente. Rappelons quand même que le procès des médecins (1946-1947) et d’IG Farben (1947-1948) de Nuremberg, au début de la période à traiter, avaient bien pour chefs d’accusation, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (entre autres) et que cela entre donc quand même dans le sujet. Par ailleurs, le jugement des criminels nazis ne s’est pas arrêté à l’après-guerre…
Oui, les enseignants sont capables de former des élèves à réfléchir sereinement à ces questions, même si bien entendu le contexte politique peut aboutir à des débordements, des raccourcis problématiques et des procès d’intention. L’article du Figaro en est d’ailleurs la parfaite illustration.
La question d’Israël et de Gaza dans les copies
« L’exigence de tact et de délicatesse » de Jules Ferry, citée en exemple, ne signifie pas renoncement intellectuel. Que des élèves profitent d’un sujet comme celui-là pour déverser leur haine contre les juifs, c’est évidemment intolérable et ce ne sera pas toléré.
Mais ce n’est pas une raison pour interdire la réflexion sur le jugement des crimes de masse et des génocides ! Depuis quand censure-t-on préventivement une discussion par crainte de l’apologie du terrorisme ?
Et que dire de ce passage ?
Bonne note promise aux candidats mentionnant le recours, introduit devant la Cour internationale de justice de l’ONU, par une Afrique du Sud affirmant que l’armée israélienne commet un génocide à Gaza. Mais comment sera noté un élève qui critique le bien-fondé de ce recours en soutenant que la seule tentative de génocide avérée est celle commise par le Hamas lors du pogrom du 7 octobre ?
Oui, le 20 mai, le procureur de la CPI a demandé aux juges d’émettre des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien et son ministre de la défense ainsi qu’à l’endroit de trois dirigeants du Hamas. Et il faudrait ne pas récompenser l’élève qui a suivi l’actualité et qui s’efforce de transcrire correctement la situation ? Tout cela parce que le Cercle Droit et Débat public a estimé du haut de sa chaire internationalement reconnue qu’il n’y a qu’un seul génocide et qu’il a le droit de réduire au silence toute expression contraire ? Tant que la CPI n’a pas tranché, il n’y a pas de raison ni de légitimité pour un élève ou un enseignant, à se substituer à elle et nous nous étonnons que des juristes ne voient pas la limite de leur propre raisonnement.
Cette tribune jette inutilement de l’huile sur le feu dans une période qui ne le mérite vraiment pas et porte atteinte de façon inacceptable à l’honneur des enseignants. Nous espérons vivement obtenir un droit de réponse du Figaro.